- Speaker #0
Bonjour à vous, poditeurs et poditrices d’Extraclasse.Aujourd’hui, Parlons pratiques s’adresse particulièrement à vous : vous, la prof d’histoire-géo qui s’est abonnée à une revue spécialisée pour se tenir au courant des dernières avancées historiographiques. À vous l’enseignant de lettres qui animez des ateliers d’écriture dans votre quartier,À vous le prof des écoles qui passe ses vacances à prendre des photos ou récupérer du matériau pour ses cours parce que « ça sera parfait pour tel projet de classe »
- Speaker #1
Ou encore à vous, profs d'enseignement spécialisé, passionné de jeux de plateau qui imaginez de nouveaux jeux éducatifs pour vos élèves.
- Speaker #0
À vous, devenu prof après une première carrière professionnelle.
- Speaker #1
À vous qui utilisez des blogs de profs, les réseaux sociaux et des podcasts pour trouver des idées pédagogiques.
- Speaker #0
Savez-vous que tel des monsieur ou madame Jourdain, vous pratiquez tous et toutes sans vous en rendre compte la formation buissonnière ?
- Speaker #1
Et aujourd'hui, nous allons parler de ces apprentissages informels, de ces compétences, de ces connaissances ou savoir-faire. acquis par des voix qui échappent aux formations institutionnelles. Oui,
- Speaker #0
car si la formation académique pose les bases, les enseignants s'enrichissent aussi d'expériences et d'apprentissages informels, de leurs passions, de leur parcours de vie.
- Speaker #1
Alors, qu'est-ce qui se cache derrière ce joli terme de formation buissonnière ?
- Speaker #0
Quelle est sa part dans l'identité professionnelle des enseignants ?
- Speaker #1
Comment reconnaître ces apprentissages informels, souvent encore sous-estimés ?
- Speaker #0
Pour discuter de tout cela, nous avons le plaisir d'accueillir Olivier Molini et Régis Calment.
- Speaker #1
Olivier Moulini, bonjour.
- Speaker #2
Bonjour.
- Speaker #1
Alors, vous êtes professeur ordinaire à l'Université de Genève dans le domaine de l'analyse du métier d'enseignant. Vous dirigez l'Institut universitaire de formation pour l'enseignement et le laboratoire de recherche, innovation, formation, éducation. Et vous avez co-dirigé l'ouvrage, ces deux books, la formation buissonnaire des enseignants. C'est bien ça ?
- Speaker #2
Absolument.
- Speaker #1
Alors, une question expresse pour entrer dans l'émission, que tout le monde se pose en... En ayant vu le titre de cet épisode ou en nous entendant dans l'introduction, d'où vient cette expression de formation buissonnière ?
- Speaker #2
Alors l'idée est assez simple puisque le concept ou la notion d'école buissonnière est assez bien connu des enseignants. C'est une vieille tradition ou peut-être un mythe d'ailleurs. Bien connu dans l'école, le fait que les enfants peuvent par moment apprendre beaucoup plus de choses en courant dans les bois ou dans leur quartier que sur les bancs de la classe et donc on a voulu transposer un peu l'idée à la formation des enseignants.
- Speaker #1
Merci.
- Speaker #0
Régis Calment, bonjour.
- Speaker #3
Bonjour.
- Speaker #0
Vous êtes principal au collège Les Côtes à Perronat, près de Bourg-en-Bresse. Et une question rapide aussi pour vous, avant de participer à cette émission, est-ce que vous aviez une idée de ce que pouvait être la formation buissonnière ? Est-ce que vous vous étiez posé cette question ?
- Speaker #3
C'est un nom que je ne connaissais pas du tout, que j'ai découvert à l'occasion de cette émission. Et le concept, je le trouve fabuleux. Et si j'avais vraiment, en tant que chef, on a toujours à prioriser un petit peu, si j'avais à choisir entre la formation buissonnière et la formation traditionnelle, je serais persuadé que la formation buissonnière est certainement celle qui, aujourd'hui, apporte le plus aux élèves.
- Speaker #1
On a toute une émission pour en discuter, je vous propose qu'on entre dans la première partie de l'émission avec le titre qui est parlant à lui tout seul Qu'est-ce que la formation buissonnière ? Dans cette première partie d'émission, on va essayer de comprendre ce qui constitue cette formation buissonnière et son importance dans le parcours des enseignants notamment Je vous propose qu'on écoute un extrait d'un énergie scolaire mathérape On va entendre Antoine Carrier, il a 36 ans Il est ensuite à capuche, il a des boucles d'oreilles, du tatouage, on ne le voit pas. Puisqu'on est dans un podcast, mais vous l'imaginez, ça ne correspond pas d'emblée à l'image que beaucoup se font d'un enseignant. Et ce prof de maths, il est passionné de musique et il a décidé de conjuguer ces deux passions avec ses vidéos qu'il a appelées Rappématiques
- Speaker #4
Je m'appelle Antoine Carrier, j'ai 36 ans, je suis professeur de mathématiques depuis maintenant 13 années, c'est ma quatorzième. J'ai mes projets musicaux personnels. Mais j'ai aussi développé le projet Rap & Mathique, qui consiste à allier rap et maths pour faire réviser les élèves en musique et avec le sourire. Alors l'idée, je l'avais un petit peu déjà depuis quelques années, mais en vrai, c'est une association de quartier qui fait pas mal d'aides de devoirs et qui s'occupe des jeunes de Blanquefort, en fait. Dans cette association, il y a maintenant un ami qui s'appelle Jérôme Avril qui m'a un peu soufflé l'idée, qui m'a dit ça te dirait pas d'allier un petit peu tes deux passions, qui sont les maths, Enfin, enseigner les maths surtout et le rap. Et du coup, il a fallu que l'idée germe un petit peu dans ma tête. Et quand la formule m'est apparue, là je me suis dit, ah ouais d'accord, il y a un truc vraiment bien à faire comme ça. Donc à la base, les raps améliatiques c'est fait pour réviser. Maintenant, ça a été détourné par pas mal de jeunes qui s'en sont servis pour comprendre certaines notions en fait. Alors j'ai... Je commençais à travailler de mon côté tout seul. J'avais demandé l'autorisation au préalable à mon chef d'établissement qui m'avait dit oui si c'est à visée pédagogique, pas de souci. Par contre, il voulait regarder quand même avant pour valider. Et c'est tombé l'année où je me suis fait inspecter. Donc l'inspectrice... Une fois l'entretien fini, je voulais lui en parler pour savoir si elle validait aussi le projet. Elle m'a dit c'est super, il faut continuer.
- Speaker #1
Olivier Molini, on a beaucoup d'exemples comme ça, on en connaît tous. D'un prof passionné qui emmène sa passion, tel prof passionné de vélo qui monte un projet de classe vélo dans l'Union Européenne, un autre passionné d'animaux qui enseigne l'éthique animale, les gens passent et des meilleurs. Est-ce que ça entre dans la définition de la formation buissonnière ?
- Speaker #2
Ça peut, bien entendu, puisque les enseignants peuvent, comme vous le dites et comme le montre très bien cet exemple, avoir à la limite des violons d'ingres qu'ils vont mobiliser dans leur pratique. Les élèves, souvent, ont tendance à apprécier ça. Il y a des enseignants qui, d'ailleurs, montrent même les coulisses de cette pratique, la façon dont eux-mêmes l'ont apprise, la façon dont ils s'y sont intéressés. Mais la formation bussionnière, c'est bien sûr beaucoup plus que ça. Ça peut être aussi des tas de choses qui vous forment aux compétences de base du métier et que vous vivez à l'extérieur de l'école.
- Speaker #0
Vous pouvez nous en donner quelques exemples un peu plus précis du coup ?
- Speaker #2
Oui, alors ce qu'on sait c'est que beaucoup d'enseignants ont des pratiques de formation buissonnière qu'on pourrait appeler des pratiques revendiquées. C'est-à-dire que certains vont carrément s'inscrire à des cours de danse ou de peinture à l'huile pour perfectionner leurs pratiques et puis ensuite en faire profiter leurs élèves. Certains militent dans des mouvements pédagogiques qui organisent jusqu'à des universités d'été entièrement consacrées à la mise à jour des démarches d'apprentissage. Et puis il y a tout le pan qui, à la limite, est encore plus intéressant parce que précisément il passe davantage inaperçu qui est celui de la formation informelle ou inconsciente même. Et même de la formation par moments subies. Si un prof est traîné au tribunal par une famille qui considère qu'il a mal noté son enfant, par exemple, eh bien, on peut considérer que c'est une expérience qui va contribuer à sa formation. Et d'ailleurs, certains le disent.
- Speaker #1
Régis Calment, de votre côté, comment est-ce que vous pensez que votre expérience personnelle, elle influe ou elle a influé sur votre activité professionnelle ? Et est-ce que vous en avez eu tout de suite conscience, puisque ce mot est venu aussi tout de suite ?
- Speaker #3
Je suis de conscience, mais j'ai été 10 ans enseignant aussi, prof de mathématiques, et j'ai été touché par le témoignage, puisque ça m'est arrivé aussi parfois de faire réviser certaines phrases à prendre par cœur sous forme de rap. J'ai été touché par deux choses dans le témoignage de ce qui vient d'être fait. C'est le fait qu'il a demandé l'autorisation avant à son chef s'il pouvait le faire, et qu'ensuite il a demandé à son inspectrice ce qu'il en pensait. J'ai un souvenir d'enseignant, quand j'ai commencé à faire parfois, à faire chanter du rap sur des phrases que je voulais faire répéter. jamais demandé l'autorisation, ça me paraît évident. Et aujourd'hui, la question que je me pose même, c'est pourquoi on s'autorise, enfin on demande l'autorisation pour faire ça. Un enseignant qui va faire répéter un théorème de manière très fastidieuse, jour après jour, va demander l'autorisation à personne pour savoir si c'est bien ou pas. Et celui qui va oser faire quelque chose d'un peu différent, il va se demander s'il a le droit. Bien sûr qu'il a le droit. Et j'aurais tendance à dire aujourd'hui, il a le droit. J'ai exagéré un petit peu en disant ça, mais presque, il en a le devoir. À un moment, il faut qu'on change un peu les choses, il faut qu'on renouvelle. L'enseignement, ça doit être passionnant. Et pour être passionnant, il faut se nourrir de tout ce qu'on a pu vivre nous-mêmes, de manière passionnée dans notre vie.
- Speaker #0
Olivier Molini, ça pose vraiment la question de l'approche que peut avoir l'institution par rapport à ces pratiques informelles. Quel accueil on réserve à ce type de compétences ou de passions ?
- Speaker #2
Les institutions scolaires en particulier peuvent être ambivalentes par rapport aux initiatives que prennent... En l'occurrence ici les enseignants, elles peuvent par moments les valoriser beaucoup parce qu'elles apprécient que les enseignants soient des personnes humaines au plein sens du terme dans leur travail. Et puis à d'autres moments effectivement, elles peuvent se méfier ou disqualifier des pratiques qui seraient trop en infraction par rapport à ce qui est attendu. Ceci dit, la formation buissonnière encore une fois, c'est pas forcément et uniquement une formation qui va aboutir à des pratiques qui seraient elles-mêmes buissonnières. qui seraient elles-mêmes des pratiques en marge du travail scolaire ordinaire. Vous avez de la formation buissonnière qui vous apprend des choses qui sont au cœur du métier, de l'ordinaire du métier, et peut-être par exemple que vous donnez différemment les devoirs à vos élèves à partir du moment où vous êtes vous-même parent d'élève. Et donc ça c'est de la formation buissonnière que d'avoir des enfants et peut-être de voir l'école sous un autre angle.
- Speaker #1
Et ça c'est un exemple parmi d'autres effectivement. Est-ce qu'il y a des... Je ne sais pas, des données, des recherches qui montrent un petit peu la part de cet informel, de ce buissonnier par rapport à la part académique.
- Speaker #2
On a des recherches disponibles sur le sentiment des enseignants. À propos de ce qui les forme ou de ce qui ne les formerait pas, on sait que dans nos pays en particulier, la formation formelle, formalisée, scolarisée des enseignants a souvent tendance à les décevoir, alors qu'ils peuvent accorder beaucoup d'importance à des choses qui vont se passer de manière plus interactive, plus fluide, soit dans leurs pratiques privées, soit éventuellement d'ailleurs dans les institutions de formation. Et donc cette espèce de clivage possible entre la dimension scolarisée de la formation et puis les expériences de vie, disons, qui pourraient être vécues comme davantage formatrices par les enseignants, c'est très paradoxal. Pourquoi ? Parce qu'en fait, scolariser les apprentissages, c'est justement ce que fait l'école. C'est justement ce qu'on demande aux élèves, finalement, d'écouter des leçons et de ne pas uniquement se former par des expériences de vie. Et les enseignants, eux, ont souvent tendance à faire la valorisation symétrique. Alors que dans d'autres pays, on a d'autres traditions, d'autres conditions de travail aussi, qui font que l'équilibre est peut-être un peu différent.
- Speaker #0
Oui, Régis, calment.
- Speaker #3
Oui, par rapport à ce qui est dit là, j'aurais tendance à séparer un petit peu de deux côtés. À l'école, en formation, on va apprendre, si je prends l'exemple d'un professeur de mathématiques, on va apprendre à bien enseigner Pythagore, connaître bien le détail du théorème, toute la partie technique. Et ensuite, il y a... Une autre partie qui me semble très importante côté chef d'établissement, côté parents et côté vie de l'établissement, est-ce que l'enseignant va l'enseigner correctement ? Ça, c'est technique. Est-ce qu'il va donner l'envie ? Est-ce qu'il va donner la passion ? Est-ce qu'il va faire que les élèves ont envie de travailler ? Est-ce qu'ils ont plaisir à travailler ? Cette partie-là ne se reprend pas en formation. Cette partie-là, elle est principalement liée à sa manière de vivre les choses, à sa manière de les transmettre. Et dans le même modèle que ce qui était dit tout à l'heure de la phrase d'inspecteur, il y a des phrases qui sont à des moments très fortes. Je me rappelle d'une phrase que j'ai… que j'ai reçu quand j'étais enseignant de la part d'un inspecteur. L'inspecteur était venu me voir en cours et il s'arrête devant mes élèves qui étaient rangés devant la classe avant même que la séance démarre. Il me dit Monsieur Calment, je vais venir vous regarder par principe, mais mon inspection est terminée. Quand je vois le sourire de vos élèves, quand je regarde le regard qu'ils ont avant de rentrer en cours, visiblement, ils sont passionnés, ils ont envie de venir là. Je ne vois pas ce que j'ai à vous dire de plus. J'ai trouvé très fort de la part de quelqu'un qui était censé juger ma pédagogie de pouvoir me donner un retour sur ma manière de transmettre. Et ça m'a beaucoup marqué dans ma carrière et dans la suite de ma profession.
- Speaker #1
Olivier Molini, est-ce que ça, l'exemple dont nous parle Régis Calment, ça relève simplement de la personnalité de l'enseignant ou aussi d'une forme de formation buissonnière qui lui apporte ces compétences-là ?
- Speaker #2
C'est clair que si on veut dire ces choses dans un langage plus savant, on pourra dire que les enseignants enseignent avec leurs prédispositions et que leurs prédispositions peuvent par exemple les inciter... à être plus ou moins curieux de ce que les élèves comprennent, de ce qu'ils leur disent ou non. Ils peuvent se sentir plus ou moins sécurisés dans leurs interactions avec la classe, ce qui fait qu'ils vont avoir une conversation avec les élèves et une manière d'enseigner qui va davantage les associer, où les élèves vont se sentir respectés, écoutés, guidés, et donc toutes ces choses. peuvent et doivent s'apprendre en formation initiale et continue des enseignants. Moi, je suis formateur d'enseignants, donc je ne vais pas vous dire que ça s'apprend uniquement à l'extérieur. Mais bien entendu que ça peut aussi s'apprendre au dehors. Et les enseignants ont en général toute une richesse d'expérience qui peut les amener à rencontrer les élèves, encore une fois, en étant plus ou moins et plus ou moins activement. curieux de ce que les élèves ont aussi à leur apprendre. Et ça, ça fait une grande différence, apparemment, dans l'expérience que vivent les élèves et dans la qualité de leurs apprentissages à l'arrivée.
- Speaker #0
Mais Olivier Moliné, est-ce que ça veut dire, quand même en creux, que la formation académique, est-ce que ça dessine finalement ce que la formation académique ne fait pas, ne propose pas ?
- Speaker #2
Alors, la formation académique ne peut pas tout faire, ça c'est clair. Maintenant... Je pense qu'on a tous vécu, comme enseignants, des expériences de formation académique dans lesquelles les formateurs nous demandent expressément, alors le font-ils suffisamment, trop, pas assez, ça je ne sais pas, mais nous demandent expressément de faire référence à nos pratiques ordinaires de la chose qui va être travaillée. Ça peut être l'écriture, ça peut être la lecture, ça peut être le numérique, ça peut être... Le harcèlement entre élèves, il y a des formations et des formateurs qui font appel à ce que, par exemple, les enseignants ont vécu eux-mêmes comme élèves, et puis qui a pu impacter leur rapport à la violence scolaire, ou aux textes injonctifs, ou aux textes théoriques, les choses qui sont travaillées en formation. Et donc ça, les formateurs le font depuis relativement longtemps. C'est vrai que... Ancrer la formation des enseignants dans leur expérience des questions pédagogiques, ça peut être une stratégie qui donne du sens ensuite à ce qui va être éventuellement plus académique.
- Speaker #1
Régis Calment, en préparant cette émission, vous nous avez parlé de quelque chose qui nourrit votre pratique professionnelle et qui vient de votre pratique personnelle. C'est cet engagement humanitaire que vous avez mené avec des élèves en étant enseignant, mais que vous continuez à mener en chef d'établissement. Est-ce que vous pourriez nous en donner quelques éléments ?
- Speaker #3
Oui, un des enjeux de passion effectivement personnel, je suis assez engagé dans l'humanitaire, avec l'envie quand j'étais jeune d'aller en Afrique voir si je pouvais sauver du monde. Concrètement, ma mère m'a répondu que je n'avais pas grand-chose à faire là-bas, j'étais trop jeune. Et j'ai découvert qu'effectivement il y a beaucoup de choses à faire ici pour éduquer à l'humanitaire nos populations sur place. Plutôt que d'aller sur place, il y a des médecins, il y a des gens qui sont compétents. Et un de mes moteurs effectivement personnel aujourd'hui est de faire en sorte que dans tous les établissements où je rentre, Je met en place un projet assez classique qui s'appelle la course contre la faim. On fait courir soit une moitié du collège, soit l'ensemble du collège, avec une partie que je fais maintenant que je suis en direction, où je vais moi-même sensibiliser les élèves, avec un petit objectif de faire en sorte que 100% des élèves qui ont le choix de participer ou non participent, et qui s'engagent au maximum. Et là derrière, il y a un peu l'idée, une phrase que je ressors assez souvent, ça ne sert à rien d'être intelligent si on ne sait pas à quoi cette intelligence va servir. Il y a vraiment ce côté fondamental. J'ai plaisir à éduquer. Cette éducation ne sert pas uniquement à des enjeux personnels, mais si elle aide à améliorer de moins, à notre mesure.
- Speaker #0
Si ça va au-delà aussi des enjeux scolaires.
- Speaker #3
Tout à fait. Faire des maths pour faire des maths, il n'y a pas de plaisir particulier. Si nos mathématiques nous aident à développer des outils nouveaux, si nous aident à faire des recherches qui vont aider des populations à vivre mieux, là, ça commence à avoir du sens. Ce n'est pas forcément absolu. Je n'ai rien contre ceux qui vont faire des mathématiques pour le plaisir de la recherche théorique. Mais j'ai cette envie de transmettre que si on peut ajouter à tout ce qu'on va apprendre à l'école quelque chose qui est de l'ordre de la relation à l'autre et de la sensibilité à l'autre, moi, la première chose que je souhaite qu'on apprenne aux enfants, c'est ce sens de l'autre, au-delà de l'ensemble des matières qu'on peut parcourir.
- Speaker #1
Olivier Moliné, les propos de Régis Calment me font penser à une chose que vous avez dite en préparant cette émission aussi, c'est moins c'est conscient Plus c'est puissant, cette formation buissonnière ? Expliquez-nous ça, s'il vous plaît.
- Speaker #2
Bon, ça c'est, si vous voulez, c'est une idée qui nous a été transmise par les philosophes ou les sociologues qui étudient les ressorts de l'action humaine. Des recherches plus récentes montrent que les enseignants expérimentés disent souvent qu'avec l'expérience, précisément, ils enseignent ce qu'ils sont plutôt qu'uniquement les objets du programme. Et donc tout ce qui a pu nous former, tout ce qui a pu nous transformer, y compris et surtout inconsciemment, c'est quelque chose qui peut conditionner nos pratiques d'enseignement. Et donc bien entendu que la formation est d'une certaine manière d'autant plus puissante qu'elle est inconsciente.
- Speaker #0
Je vous propose qu'on poursuive cet échange dans un deuxième temps autour de la complémentarité entre formation buissonnière et parcours professionnel des enseignants. Et là encore, on va démarrer avec un extrait d'un épisode d'Energie scolaire, c'est le numéro 66. C'est une directrice d'école, Manon Roumanet, qui toute l'année est directrice d'école primaire dans le Lot-et-Garonne. Et puis l'été, elle est directrice de Colonie de Vacances. Elle anime des séjours sportifs avec des adolescents sur la côte basque. Et elle va nous parler de sa formation, de sa relation avec les jeunes. On en entend un petit extrait.
- Speaker #5
Je m'appelle Manon, j'ai 29 ans. Je suis enseignante et directrice d'école en Lotte-et-Garonne, à l'école de Roquefort, pendant l'été, avec l'organisme UCPA. Je dirige des surfcamps sur la côte atlantique. Je trouve que la capacité qu'on a en tant que directeur d'école à chercher les informations lorsqu'on en a besoin, elle nous est très utile ensuite que lorsqu'on est en colo. La direction de l'école, on est aussi sur l'animation de l'équipe, et donc là, forcément, c'est tout autant de compétences qu'on va réutiliser sur une colo. On n'anime pas pareil une équipe d'animateurs qu'une équipe d'enseignants, mais sur le plan de la motivation ou même des idées du travail en groupe, on est vraiment sur les mêmes compétences, donc c'est très transversal. Moi j'ai des CE2 à l'année, donc ils ont 8 ans, je suis en école primaire, donc il y a de la maternelle également, mais c'était un choix de ma part de ne pas avoir cette tranche d'âge-là en colo, parce qu'elle existe sur le CPA, il y a des camps avec des tout-petits. Je ne voulais pas pour... vraiment avoir une expérience différente pour ne pas avoir de déformation professionnelle non plus, puisque quand ils sont à l'école, ce n'est pas la même chose que quand ils sont en colo ou en vacances. Et l'expérience auprès du public des ados, des 15-17, elle est vraiment très, très enrichissante, même dans ma façon d'être ensuite à l'école, dans ma façon de voir un petit peu l'évolution d'un enfant jusqu'à un adolescent, puisque finalement, après 10 ans, on ne les voit plus à l'école. Et je pense que ça complète mon expérience personnelle sur tout ça.
- Speaker #0
Olivier Molini, une réaction par rapport à ce témoignage ? On voit bien cet aller-retour entre une activité professionnelle parallèle et puis l'activité d'enseignante ou directrice d'école.
- Speaker #2
Je dirais d'abord que c'est très impressionnant de voir une enseignante qui passe ses étés à animer des colonies de vacances.
- Speaker #0
Réflexion qu'on s'est faite aussi avec Régis tout de suite.
- Speaker #2
Je crois que c'est relativement plus répandu en France que chez moi par exemple. En Suisse c'est des choses qu'on n'observe presque pas. On peut observer l'inverse, c'est-à-dire qu'on peut observer des jeunes qui... qui ont une expérience de moniteur de camp de vacances et puis qui vont aller vers le métier d'enseignant à partir, par exemple, de ce qu'ils thématisent comme leur amour des enfants ou leur désir d'avoir un métier en lien avec la jeunesse. Ici, l'enseignante en question, elle parle d'abord en disant qu'elle mobilise ses compétences d'enseignante pour diriger le camp de vacances, ce qui est effectivement très luxueux, je pense. Avoir un camp de vacances dirigé par une instite, j'imagine que ça doit quand même être assez confortable. Et puis elle dit qu'elle peut boucler la boucle en remobilisant des choses qu'elle vit dans le camp, dans sa pratique. Et là, je vais juste dire un mot, si vous permettez, pour revenir à mon idée du tout début, qui consiste à ne pas idéaliser ou enjoliver le rapport entre la formation buissonnière et le métier, parce qu'on peut avoir des jeunes qui débutent dans le métier, par exemple, qui ont fait beaucoup de camps de vacances et qui vont connaître. pas mal de difficultés à changer de rôle, à entrer dans le métier d'enseignant, à accepter les contraintes de la didactique, du rapport au programme, et qui pourront éventuellement confondre des effets d'entraînement qui peuvent fonctionner dans un camp de vacances, c'est-à-dire qu'on fait des activités ensemble, et tant que les enfants sont heureux de les faire, finalement on a gagné. Là, quand on est à l'école, le contrat change. Et donc, il y a pas mal de formateurs d'enseignants, par exemple, qui doivent pas mal travailler avec des publics de ce genre pour, effectivement, rendre l'expérience initiale utile pour la formation, mais qu'elle ne fasse pas obstacle. Elle peut faire obstacle, ça peut arriver.
- Speaker #0
C'est de la déformation buissonnière à ce moment-là.
- Speaker #2
Absolument.
- Speaker #1
C'est éclairant ce propos, Régis Calment. J'ai envie de rebondir en vous demandant, vous avez été enseignant, vous êtes maintenant chef d'établissement. Et on pourrait se dire que c'est une progression tout à fait naturelle et que ce que vous avez... acquis comme compétence en tant qu'enseignant vous servent complètement en tant que chef d'établissement, mais est-ce qu'il y a des choses qui entrent moins en résonance, pour le coup, à côté des buissonniers, comme l'a dit Hélène ?
- Speaker #3
Le fait d'avoir été enseignant aide beaucoup, et je me rappelle que quand j'étais enseignant, il y a un petit moment où j'avais envie de passer en direction, j'avais un petit carnet où c'était marqué quand je serai chef, que je ferai ce que je ne ferai pas J'observais ce qui était autour de moi, j'avais fait la même chose quand j'étais étudiant, j'avais un petit carnet qui s'appelait quand je serai prof Et j'ai beaucoup utilisé mon côté utilisateur pour observer les gens avant de prendre moi-même la fonction. Et pour la petite histoire, j'ai été aussi directeur, animateur, formateur, baffeur, etc. Donc c'est aussi quelque chose qui me parle. Dans ce que j'ai pu retenir et dans le lien qu'il peut y avoir entre ce qu'on va voir sur les centres de vacances et notamment la partie direction, moi j'ai beaucoup appris sur la gestion de conflits par exemple. Dans un centre de vacances, on a une centaine d'enfants, 20 à 30 adultes, on vit 24 heures sur 24 et le moindre petit conflit peut vite devenir important. puisqu'on ne va jamais se quitter, on ne va jamais retourner à la maison pendant un mois, et on va gérer ça comme on va gérer ça en famille. Et du coup, on ne peut pas tout à fait se permettre de laisser un conflit, de venir là-dedans et s'installer dans le centre de vacances. Il faut être réactif, il faut être humain, il faut y aller directement. Et ça, je m'en suis beaucoup servi de cette expérience-là dans mon métier de chef d'établissement.
- Speaker #0
Un autre cas aussi qui peut être intéressant à analyser, c'est le cas des enseignants au lycée professionnel sur des... Des disciplines professionnelles qui eux-mêmes ont exercé ce métier pendant plusieurs années avant de devenir eux-mêmes enseignants. Olivier Molini, comment ça se passe dans ces cas-là ? Qu'est-ce qu'ils apportent ? Ils arrivent avec des valeurs, des compétences ? Comment ça nourrit leur pratique ? Est-ce que ça se passe toujours bien finalement ? Peut-être qu'effectivement il y a aussi des désillusions ?
- Speaker #2
Oui, bien sûr. Le cas des enseignants en formation professionnelle... On peut l'aborder de différentes façons. Ils sont d'une certaine façon spécialistes de leur discipline, tout comme le professeur d'histoire. Le professeur de menuiserie peut être attaché à la menuiserie comme l'est le professeur d'histoire à l'histoire. Et donc faire de cette compétence quelque chose de relativement académique avec des guillemets. C'est-à-dire qu'il va vouloir faire entrer les enfants dans sa conception du métier de menuisier. Ce qui va relever davantage la formation buissonnière, c'est ce que ce professeur, tout comme le professeur d'histoire, va apprendre en dehors de son métier, en marge de son métier. Et donc, on peut croiser les deux situations, c'est-à-dire que fait partie de la formation buissonnière des professeurs de discipline académique. éventuellement les expériences professionnelles qu'ils auront eu ailleurs. Et en particulier, alors ça peut être des jobs d'étudiants. Si on a travaillé pendant six mois dans un McDonald's, peut-être qu'on apprend des choses qu'on n'apprend pas ailleurs et qui vont donc nous faire interagir autrement avec les enfants, un peu comme... Monsieur Calment le disait à propos des conflits dans les camps de vacances. Et pour un prof de menuiserie, évidemment, ça peut être des compétences qui viennent de l'autre bord. Si ce prof, par exemple, vit avec une institutrice, il risque d'apprendre beaucoup de choses à la table familiale qu'il va réutiliser dans son métier.
- Speaker #1
Formation buissonnière, ménagère, quelque part, qui se passe aussi à la maison, dans le quotidien. Tout à fait.
- Speaker #2
D'autant plus que les profs ont tendance à cohabiter.
- Speaker #1
En général, ce n'est pas faux, ce n'est pas faux. Ça mériterait d'autres études, effectivement. Monsieur Calment, sur ce début d'émission, vous nous disiez que ces questions de formation buissonnière, vous n'y aviez pas pensé en ces termes-là. Maintenant que vous êtes chef d'établissement, que vous managez, que vous dirigez des personnes, est-ce que vous valorisez, est-ce que vous encouragez ces pratiques de formation buissonnière dans les activités annexes des enseignants ? Et quels seraient vos leviers autour de ces questions-là, pour le coup ?
- Speaker #3
Le levier c'était toujours le même et en fait le levier qu'on a en chef d'établissement avec ses équipes, c'est exactement le levier qu'on a en tant qu'enseignant avec ses élèves. Il y a un mot que j'aime beaucoup utiliser, qui est parfois un peu tabou mais qui me semble important, c'est le mot aimer. Quand j'étais enseignant, je pouvais prétendre aimer mes élèves, pas être le même amour que celui qu'on va avoir, il y a plein de formes d'amour, mais en tout cas ce n'est pas tabou pour moi d'aimer ses élèves. Et quand je suis devenu chef d'établissement, je me suis aperçu que j'aimais mes équipes aussi. et que les enseignants avec qui je travaillais, ils avaient énormément besoin de ce regard-là. À partir du moment où il y a ce regard bienveillant et qu'on croit en ce qu'ils font, et qu'on parlait tout à l'heure, cet enseignant qui avait besoin de faire valider par son inspecteur ou autre, savoir si ce qu'il faisait était bien ou pas, aujourd'hui, le principal levier que je puisse avoir, c'est d'encourager à chaque fois que je vois une pratique, à chaque fois que je vois quelqu'un s'engager quelque part, en général, j'encourage. Et j'ai un point de vue même presque tranché sur le sujet, je pense qu'un enseignant qui démarre quelque chose avec cœur, ça sera forcément bien. J'ai rarement un avis préalable. C'est très rare que je dise non à quelqu'un qui me demande s'il peut faire quelque chose. S'il a envie de faire quelque chose, je reste persuadé que s'il a envie de le faire, il y aura quelque chose à apporter aux élèves. Je ne sais pas à l'avance ce que ça sera, mais je sais quasiment de manière sûre que ça sera bien et que derrière, il y aura une vraie nouvelle.
- Speaker #0
Mais cette disposition-là, est-ce que vous arrivez à analyser, si elle vient de votre histoire personnelle, si elle vient de votre expérience professionnelle ? Est-ce que vous arrivez un peu à... à prendre du recul par rapport à votre façon de manager et à voir un peu comment vous l'avez construite ? Elle vient à la fois d'une expérience personnelle et professionnelle. Personnelle, je pense que j'ai été un enfant avec une belle enfance, très aimé par sa maman, par son papa aussi d'ailleurs, mais j'ai été marqué par l'amour d'un moment. Il m'a toujours dit que j'étais quelqu'un de bien et ça m'a aidé. J'ai été aussi beaucoup encouragé autour de moi dans ma vie professionnelle, mais pas forcément de manière professionnelle, encouragé finalement par des gens qui m'ont dit que ce que je faisais était bien ou qui m'ont fait des retours positifs. Des élèves, des familles, des parents d'enfants, etc. Et j'ai envie de retransmettre cette partie-là. Aujourd'hui, à chaque fois que j'ai eu un mot positif, ça a engagé des choses énormes derrière. Je pense qu'à chaque fois que j'ai une phrase positive, ça aide derrière à pouvoir aller très loin.
- Speaker #1
Eh bien, je pense que vos équipes ont de la chance de vous avoir. Je vous propose qu'on aille dans la troisième partie d'émission, les défis de la reconnaissance des formations informelles. Et je vous propose qu'on écoute un troisième et dernier extrait. Alors là, on est... toujours dans les énergies scolaires, c'est l'épisode 23, se former avec les rendez-vous de l'histoire. Et on a le témoignage de Hervé Debaquer, j'espère que je le prononce bien, qui est prof d'histoire géo et il est adepte du parcours pédagogique de ces fameux rendez-vous de l'histoire de Blois. Et il nous évoque, en tout cas c'est un extrait, sa démarche personnelle. Et il part du constat que l'enseignement de l'histoire nécessite des mises à jour régulières de ses pratiques et une solide assise scientifique.
- Speaker #2
Je m'appelle Harvey de Gaillekert, je suis professeur d'histoire-géographie de MC et d'histoire des arts au lycée de Pitiviers dans le Loiret depuis maintenant 2004. Blois permet finalement, sur des questions qui ne sont peut-être pas nouvelles, mais sur lesquelles on a besoin de se mettre quand même à jour parce qu'on a besoin de renouveler le cours, d'avoir de nouvelles approches, ça permet de se remettre à la page sur des questions qui pourtant on enseigne depuis des années. Ces interventions permettent vraiment de solidifier tout un ensemble de connaissances. Et déjà par rapport aux élèves, on a une légitimité qui est celle justement de notre savoir. Ce qui n'empêche pas qu'on peut dire aux élèves sur certaines questions, on ne peut pas tout savoir, on leur dit je ne sais pas, la fois prochaine j'aurai fait mes recherches dessus. Mais ça aide quand même sur beaucoup de chapitres, en ayant cette connaissance à partir de laquelle on va faire notre sélection pour répondre aux attendus des programmes et aux attendus institutionnels. Parce que nécessairement, il arrivera un moment ou un autre dans le cours où des élèves auront des questions qui ne seront pas forcément centrées sur purement ce qu'on a enseigné, mais qui seront un point de détail, etc. et qu'on puisse avoir des connaissances dessus, qu'on puisse assez vite y répondre, renforce notre légitimité auprès des élèves. Ça, c'est certain. Et de fait, les rendez-vous de l'histoire, c'est vraiment un instrument qui est pratique et puis en plus qui permet aussi de repasser dans la peau d'étudiant, entre guillemets. de se remettre en question. Et ça fait du bien, d'une part, de le faire, parce que ça permet aussi de continuer à avancer dans le métier qui nous amène toujours à de nouvelles choses, de nouvelles compétences, de nouvelles connaissances. Et puis, derrière ça, c'est vrai que ça permet d'être encore plus convaincu de ce qu'on fait, donc plus convaincant.
- Speaker #1
Olivier Molini, j'ai envie de pousser plus loin cet extrait. Il nous parle évidemment du fond, des connaissances qu'il approfondit. Mais si on va aussi dans... dont la forme est d'une manière plus générique, avec ces enseignants qui participent à des événements ou qui se regroupent, vous l'avez évoqué rapidement au début de l'émission aussi, il me semble, en collectif, il y a tout ce rôle des collectifs disciplinaires. Cet apport aussi annexe, quelque part, des échanges entre eux, ça participe aussi fortement de cette formation buissonnière ?
- Speaker #3
Oui, alors là, on est vraiment dans le format presque de la formation formelle. auto-administré, c'est-à-dire que, si j'ai bien compris, cet enseignant va suivre un programme de cours, de conférences, d'échanges, qui est vraiment calé dans le domaine de l'histoire, et puis, comme il le dit lui-même, il y va pour mettre à jour ses connaissances, et pour qu'il puisse être, face à ses élèves, porteur d'un savoir vivant. C'est peut-être un hasard, il s'agit d'un professeur d'histoire, mais je pense qu'on est bien placé, vous êtes particulièrement bien placé en France aujourd'hui pour savoir qu'enseigner des disciplines de ce genre, ça peut vous confronter à des questions socialement vives qui peuvent aller jusqu'à vous mettre en danger, qui d'une certaine manière incitent, voire forcent les enseignants à s'interroger sur l'actualité. de leur discipline, sur la manière même dont ils sont encore en mesure de l'enseigner, sur ce qu'ils sont légitimes ou non d'imposer aux élèves au nom de l'école républicaine. Et donc ça, c'est effectivement, d'une part, un questionnement de plus en plus vif dans la profession, et puis d'autre part, quelque chose qui peut, parce que là on voit un enseignant qui fait une démarche personnelle, mais qui peut effectivement inciter les enseignants à se regrouper pour... pour se faire une culture commune de ce qu'ils entendent valoriser du point de vue des savoirs qu'ils doivent enseigner et des savoirs pour enseigner.
- Speaker #4
Il me semble que dans l'ouvrage que vous avez coordonné, il est question à un moment de dire que finalement ces interactions, ce réseautage un peu, est presque plus important, plus formateur que les informations elles-mêmes qu'on va aller collecter dans... dans ces collectifs ? Est-ce que j'ai bien compris ?
- Speaker #3
Oui, les collectifs enseignants sont très importants. J'évoquais tout à l'heure les contrastes entre les situations nationales. Ce qu'on sait, c'est que dans certains pays, Le cahier des charges de l'enseignant n'est pas du tout conçu comme il peut l'être dans nos régions et en France en particulier. Là, on le voit avec cet exemple du professeur d'histoire. D'un côté, il y a vos obligations institutionnelles. Peut-être que de temps en temps, l'institution vous oblige à vous former, à suivre une formation obligatoire qui peut être vécue comme plus ou moins calée avec les besoins de la profession. Et puis d'un autre côté, alors vous avez la fameuse liberté académique. ou liberté pédagogique ou autonomie du corps enseignant qui va librement, avec toujours le soupçon de est-ce que les enseignants le font-ils ou non ? parce qu'on connaît des enseignants hyper investis et d'autres qui peut-être le sont moins. Et donc là, on est vraiment dans le modèle de la profession libérale. Alors qu'il y a d'autres pays, en particulier en Europe du Nord et plus encore en Extrême-Orient, où au cahier des charges de l'enseignant figurent... l'obligation de construire les séquences didactiques collectivement dans les établissements. C'est-à-dire qu'à la limite, vous avez deux fois moins d'heures d'enseignement face aux élèves qu'en France, mais le reste du temps, c'est du travail sur site, entre collègues, à construire les séquences, à analyser la façon dont les choses se sont passées, et en fait, on se forme en travaillant. C'est pas qu'on se forme en dehors du travail, c'est qu'on se forme en travaillant, et on le fait collectivement. Et bien sûr que ça, ça peut être quelque chose, vu de chez nous, qui est très exigeant, parce que ça s'inscrit aussi dans une forme de construction de la collectivité qui est moins individualiste et moins fragmentée que chez nous.
- Speaker #1
Mais là, on n'est plus du tout dans la formation buissonnière, on est d'accord ?
- Speaker #3
Alors, tout dépend où on fixe les frontières, puisque là, précisément, on est dans des opérations qui ne s'appellent pas des opérations de formation. C'est des opérations de conception du... des séquences d'enseignement en groupe. Et donc, ça fait partie du travail enseignant. Ça ne fait pas partie de la formation des enseignants. Ça fait partie du travail. Et c'est là, c'est le travail qui devient formateur, en fait.
- Speaker #4
Mais ça veut dire que, finalement, laisser cette liberté à l'enseignant d'aller chercher, de se mettre à jour en permanence sur sa discipline, sur sa pédagogie, etc. C'est à la fois... une forme de reconnaissance de son autonomie, de sa capacité, et en même temps peut-être une façon de le laisser un peu seul, face à une responsabilité, de se débrouiller un peu tout seul finalement ?
- Speaker #3
Ça c'est un peu la situation du corps enseignant dans nos pays aujourd'hui, qui peut hésiter entre la défense de ce modèle, et puis par moments, soit des désirs, soit des nécessités, de davantage se fédérer, parce qu'on a besoin de faire corps. face à l'extérieur, par exemple, pour que les pratiques soient mutualisées et qu'on n'ait pas le sentiment qu'elles vont dépendre uniquement de la bonne volonté ou des violons dingres d'un enseignant exceptionnel à côté d'un autre qui serait plus médiocre.
- Speaker #1
Vous voulez y réagir, M. Calment ? Oui,
- Speaker #0
sur le sens d'apprentissage collectif, par rapport à la formation buissonnière, je pense qu'elle est quasiment incompatible avec le collectif. Pas complètement non plus, mais globalement, c'est quelque chose qui va se faire de manière très personnelle. Je pense notamment à une... un témoignage que j'ai eu en tout début de carrière je me rappelle je faisais gentiment mon métier d'enseignant avec ma passion et une collègue me convoque à son bureau, j'étais tout jeune enseignant elle me dit je peux te parler elle me prend en preuve qu'à deux yeux et me dit Régis tu te calmes un tout petit peu avec ton baffa, avec tes trucs comme ça un jour à cause de gens comme toi, on va être tous obligés de passer le baffa donc tu te calmes tout à quoi j'ai répondu je ne juge pas ce que tu fais donc tu ne juges pas ce que je fais et on garde notre liberté à nous deux on a été très amis par la suite et c'est la seule qui a osé me dire en face ce que d'autres ressentaient. Et ça, c'est quelque chose qui est très fort en salle des profs. Quand quelqu'un va faire quelque chose d'un peu original, il va à la fois avoir le plaisir de le faire pour les élèves, pour son métier, pour la passion, et à la fois avoir un peu la crainte du regard de l'autre qui va dire oui, mais attends, si tu fais ça et que moi je ne le fais pas, il va y avoir des petites jalousies, des choses basiques, mais qui peuvent être très prenantes dans le métier. Et un point, c'est quelque chose que j'ai toujours gardé dans mon métier. Je sais que, par exemple, je ne félicite jamais et je ne nomme jamais un enseignant. dans une assemblée plénière ou dans un mail collectif en disant merci à un tel qui a fait cela. Je sais que je vais lui faire plaisir en le remerciant individuellement, mais collectivement, je vais lui faire plus d'ennemis que d'amis. Donc ça peut être un frein à cette formation visionnaire, le regard de l'autre, en tout cas du collègue.
- Speaker #4
Et vous, Régis, est-ce que vous avez l'impression que parfois, ces savoirs, ces compétences que vous avez développées, à la fois dans votre vie personnelle, vos expériences, etc., est-ce que vous avez eu l'impression que ce n'était pas reconnu ? pas apprécié finalement et ça vous a peut-être même été un obstacle.
- Speaker #0
Non, parce que j'ai toujours mené ma barque d'une manière très claire. Je travaille pour les élèves et c'est leur reconnaissance à eux et à eux seuls qui m'intéresse. Le reste des regards, je n'y ai jamais accordé d'importance. Du coup, ça ne m'a jamais vraiment freiné. Mais je sais que ça peut freiner quand un collègue vous fait un mauvais regard, etc. Il y en a qui s'apaisent. J'ai eu cette chance-là de pouvoir m'affranchir de ça.
- Speaker #1
Force personnelle, quelque part. M. Molini, sur ces obstacles, ces résistances institutionnelles... à reconnaître ses parcours buissonniers, ses compétences, ses savoir-faire. Il y en a à différents niveaux, elles sont de différentes catégories ?
- Speaker #3
Oui, il peut y avoir différents obstacles. Ce qui peut se développer, là aussi ça va dépendre des contextes géographiques, mais c'est tous les dispositifs de validation des acquis et de l'expérience qui vont nous sortir. du dilemme. Est-ce que la formation ou le développement professionnel, c'est chacun pour soi, dans son coin, à partir de ses expériences, de ses violons dingres, où et où c'est quelque chose qui va se faire en commun parce que l'institution l'a décrété. Peut-être qu'il manque effectivement un espace intermédiaire où on peut faire valider des choses qu'on fait ou qu'on a faites. Y compris dans des dispositifs de mutualisation, et ça se développe aussi dans certains pays. Chez nous en Suisse par exemple, ce qui se développe beaucoup c'est des diplômes de formation continue qui sont certifiants, qui sont crédités et qui vont valoriser la formation continue des enseignants. Les enseignants obtiennent un diplôme à l'arrivée, ça les spécialise dans un certain domaine. Ils peuvent faire des liens entre des choses qu'ils ont fait informellement et la formation formelle. Et ça, c'est de plus en plus revendiqué par le corps enseignant qui ne se satisfait plus, peut-être à tort ou à raison, mais qui ne se satisfait plus de toutes ces opérations de formation, que ce soit individuelle, buissonnière ou formelle, mais qui, finalement, étaient requises, ou étaient volontaires, étaient militantes, mais sans reconnaissance institutionnelle.
- Speaker #4
Et comment on fait pour que ces apprentissages puissent être vraiment, peut-être... Une force dans les processus de recrutement, soit des étudiants, soit des enseignants en cours de carrière, et d'évaluation professionnelle des enseignants ? Est-ce que ça, c'est une réflexion qui est menée ?
- Speaker #3
Je pense que les réflexions, d'une certaine manière, le chemin se fait en marchant. On expérimente différents dispositifs à différents endroits et on va regarder ce que ça peut donner. Ce qu'il ne faudrait surtout pas que ça devienne, parce que c'est un risque possible, c'est une mise en concurrence des personnes, 24 heures sur 24, d'une certaine façon. Les enseignants ont un mandat, ils ont des obligations, ils ont effectivement des contraintes, il y a des formations qui sont obligatoires. En même temps, ça, ça va les sécuriser parce qu'une fois que vous avez fait ce que vous deviez faire, vous pouvez rentrer chez vous et puis à la limite, si vous ne voulez pas vous auto-former et vous préférez boire un verre sur votre canapé, c'est quand même votre liberté d'homme et de femme. Il y a toujours un double tranchant à vouloir formaliser, valoriser ce qui se fait à l'extérieur. L'exemple dont parlait M. Calment est intéressant, puisqu'on peut tout de suite être en concurrence avec son voisin, avec le fonctionnaire d'à côté. Et donc, si c'est pour créer de la compétition, de la rivalité tous azimuts, ce n'est pas non plus la solution. Donc, il faut trouver, encore une fois, des règles qui soient partagées et qui soient institutionnellement adoptées. Oui,
- Speaker #4
parce que c'est déjà le cas, par exemple, sur certains recrutements de... poste à profil, où là, on va particulièrement valoriser tout ce qui est extérieur, toute l'expérience autre que celle d'enseignant, en plus de l'expérience d'enseignant, parfois à l'étranger ou quoi ? Régis ?
- Speaker #0
Oui, on parle souvent des recrutements contractuels. Très souvent, en tant que chez l'établissement, on est amené à faire nous-mêmes cette partie de recrutement. Quand on sait que quelqu'un, la semaine prochaine, sera directement en face des élèves parce qu'il n'aura pas eu le temps de faire une formation complète, concrètement, ce sont vraiment les qualités humaines et le parcours de la personne qui vont être privilégiées. Et j'ai vu énormément de contractuels remarquables. Je suis toujours très agacé quand j'entends parler des contractuels comme d'une sous-classe d'enseignants. J'ai eu de très, très belles expériences et elles sont majoritaires, de contractuels qui sont passionnés et qui ont très, très bien réussi leur démarrage.
- Speaker #4
Merci Régis. Je vous propose, puisque les inspirations, les lectures, les sorties, les voyages font partie de la formation buissonnière, je vous propose que vous partagiez avec nous vos inspirations. Et je commence avec vous, Olivier Molini.
- Speaker #3
Alors, mon inspiration, c'est ma collègue Frédérique, qui se reconnaîtra sans doute si elle nous écoute, qui est une institutrice des premiers degrés à Genève et qui était, de mon point de vue, une grande experte de la... de la circulation des savoirs entre l'école et l'extérieur de l'école. Alors pour sa formation, mais aussi parce que les deux choses, je crois, sont liées pour ses élèves. Et je ne sais pas si vous le savez, mais en Suisse, on a une habitude qui est assez peu répandue dans le monde, c'est ce qu'on appelle les caissettes de journaux. C'est-à-dire que les quotidiens sont dans des petites caissettes dans la rue, et donc ils sont en libre-service, et chaque acheteur du journal paye son journal, bien sûr. et le prend ensuite dans la caissette. Et pour signaler ces caissettes, il y a chaque fois, tous les jours, il y a une petite affiche au format, je pense que c'est du A2, une affichette qu'on appelle une manchette de journal chez nous, qui annonce quelque chose qui est susceptible de faire acheter le journal par les passants. Et alors cette institutrice sortait de chez elle régulièrement et guettait les manchettes de journaux. Et elle en prenait de temps en temps une qu'elle collait sur la porte de sa classe. Du type Johnny Hallyday est mort. Alors Johnny Hallyday est mort, elle colle ça sur la porte de sa classe. Et puis elle attendait de voir si les élèves réagissaient. Parce que bien sûr, certains passent tout droit sans rien voir. Certains voient qu'il y a un texte écrit mais ne s'arrêtent pas. D'autres commencent à essayer de déchiffrer ce qui est écrit. Éventuellement la maîtresse va les aider. Et puis une fois qu'on a décodé qu'il s'agissait de quelqu'un qui est mort, de Johnny Hallyday, qui est Johnny Hallyday, qu'a-t-il fait dans sa vie, éventuellement comment savoir davantage, et bien tout cela, ça initiait des interactions pédagogiques avec les élèves de cette enseignante qui encore une fois avait tendance comme ça à butiner, formation bussionnaire ou formation butineuse. butinait du matériel comme ça dans la rue et tentait de faire entrer les enfants, y compris dans la culture écrite, par ce biais. Et donc le faisait vraiment, d'une certaine manière, elle ne ratait pas une seule occasion. C'est le genre d'institutrice dont les conjoints, par exemple, ont par moments honni. leur capacité à s'arrêter sur tout ce qui bougeait dans la rue lorsqu'elles sortent en couple et que tout ce qu'elles rencontrent est susceptible d'être utilisé en classe. On se retrouve à la fin des vacances avec des paniers pleins d'objets ou d'écrits en tout genre parce que l'institutrice ou l'instituteur, c'est toujours quoi ramener à la maison pour enseigner.
- Speaker #4
Ces enseignants qui font feu de tout bois régissent votre inspiration.
- Speaker #0
Mon inspiration, c'est aussi Frédéric. On ne s'est pas concerté, mais ce n'est pas tout à fait la même. C'est Carole Frédérics dans Frédérics et Romano Jones. Et la chanson juste après, c'est une chanson, on sort de l'éducation nationale, mais c'est l'idée de l'école buissonnière, de la formation buissonnière, pardon. On est sur un hommage à une infirmière qui, à un moment, par un tout petit geste, elle a sauvé un bébé en lui faisant une réanimation et elle sauve une vie. On s'émerveille de cet instant qui est naturel pour la personne et qui est magique pour la famille qui est autour. C'est comme ça que joue l'éducation. Si à un moment, on a un petit mot, une petite phrase, un petit geste qui va faire en sorte que cet instant-là soit magique pour un des élèves qu'on a en face de nous, on a gagné notre métier d'enseignant. Et ce n'est pas plus compliqué que ça, faire un bon enseignant.
- Speaker #4
Merci à tous les deux pour ces témoignages un peu émouvants aussi.
- Speaker #1
Complètement, on est totalement dans l'humain. Alors pour... Pour conclure cette émission, j'espère qu'on espère, tous les deux avec Hélène, que vous en savez plus sur la formation buissonnière. Si vous voulez en savoir encore plus, dirigez-vous vers l'ouvrage qu'on a cité dans cet épisode. Et puis, pour rester dans l'humain, n'hésitez pas à aller écouter tous ces parcours particuliers d'enseignants qui nourrissent leur vie professionnelle de leur vie personnelle, notamment les extraits qu'on a passés dans cet épisode. Vous les retrouvez dans les notes de l'émission, mais aussi tous les épisodes des énergies scolaires. Merci beaucoup, M. Calment et M. Molini, d'avoir participé à cet épisode. C'était un vrai plaisir. C'était la formation buissonnière des enseignants, préparée et animée par Hélène Audard et Régis Forgéon. Un grand merci à Laetitia Petitpas, directrice de l'atelier Canopée de Lens, pour son aide.
- Speaker #4
Montage et mixage,
- Speaker #1
Simon Gattegnaud,
- Speaker #4
coordination de production,
- Speaker #1
Luc Taramini, Hervé Turri et Magali Devance.
- Speaker #4
Directrice de publication,
- Speaker #1
Marie-Caroline Missire.
- Speaker #4
Suivez-nous sur extra-classe.reseau-canope.fr ou sur votre plateforme de podcast préférée pour écouter tous les épisodes dès leur sortie.
- Speaker #1
Une production Réseau Canopé 2024. Je te vois faire une grimace, Simon, il y a eu une bêtise ?
- Speaker #4
Juste Simon, tu fais du bruit avec tes feuilles. Ouais.
- Speaker #0
Extra Classe.