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Extra classe, pour accompagner les enseignants dans leurs pratiques pédagogiques et leur formation

Éducation au futur, futur de l'éducation ? - Parlons pratiques ! #52

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48min |30/07/2025
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Éducation au futur, futur de l'éducation ? - Parlons pratiques ! #52

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Description

Se tourner vers l’avenir pour résoudre des problèmes d'aujourd'hui, c’est le principe de l’éducation au futur, une approche qui fait son entrée dans l’enseignement, après avoir conquis les grandes écoles ou encore le ministère de la Défense, et bien sûr la littérature de science fiction. Face à des questionnements et des défis majeurs pour les années à venir, élèves et enseignants se trouvent face à la nécessité d’apprendre ensemble à se confronter à l’incertitude et à la complexité. En quoi se projeter dans 50 ans permet d’appréhender différemment les questions socialement vives actuelles ? Comment mener ces activités de design fiction ou d’élaboration de scénarios alternatifs en classe, et avec quels effets ? Comment faire émerger de nouveaux imaginaires chez des jeunes nourris aux dystopies hollywoodiennes ?

Ce Parlons pratiques vous propose un exercice d’anticipation : et si penser le futur était le futur de l’éducation ? Et nos invités vous donnent des exemples très concrets de projets menés notamment dans l’enseignement agricole, qui a pris un temps d’avance sur ces pratiques.
Avec :
- Nicolas Hervé, agrégé de physique, professeur en didactique des transitions écologiques et des questions socialement vives à l’École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole.
- Marie Cadou, professeure d’éducation socioculturelle au lycée agricole de Kernilien-Guingamp.
(Ré)écoutez les épisodes Extra classe de la playlist Éduquer à la transition écologique et sociale.

Vous pouvez également consulter :

Inspirations des invitées et de Régis :

  • Olivier Hamant, Antidote au culte de la performance. La robustesse du vivant, collection Tracts, Gallimard, 2023.

  • Camille Leboulanger, Eutopia, Argyll, 2022.

  • Alain Damasio, Les Furtifs, Gallimard, 2021.

Et nous vous rappelons qu'il y a désormais Entre profs, le nouveau RDV Extra classe le premier mercredi de chaque mois, qui propose de répondre en moins de 3 minutes aux questionnements et problématiques rencontrés tout au long de l’année. Vous aussi, vous avez des questions ? Envoyez-les-nous !

Extra classe est sur toutes vos plateformes d'écoute :
https://smartlink.ausha.co/extra-classe

Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé
Émission préparée et animée par : Hélène Audard et Régis Forgione
Réalisée avec l'appui technique de : Marina Garnier
Directrice de publication : Marie-Caroline Missir
Coordination et production : Hélène Audard, Magali Devance
Réalisation et mixage : Simon Gattegno
Remerciements à l'Atelier Canopé de Guingamp
Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr
© Réseau Canopé, 2025


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Régis Forgione

    Bonjour à vous, chères neuroditrices et neuroditeurs d'extra-classe, nous sommes en juillet 2100. Merci de nous rejoindre pour l'épisode 952 de Parlons Pratique.

  • Hélène Audard

    Oui, depuis la grande transformation de 2085, vous nous suivez toujours plus nombreux, grâce au réseau de captation neuronale permanent, ou réseau canopé, qui vous permet de nous écouter de manière totalement dématérialisée et fluide, directement via votre oreille interne.

  • Régis Forgione

    Quel bonheur pour nous que l'audio soit devenu le média dominant, à présent que l'ensemble des contenus pédagogiques, est accessible uniquement en podcast.

  • Hélène Audard

    Plus sobre énergétiquement, plus efficace pour l'engagement et la mémorisation, le podcast, c'est le média éducatif idéal.

  • Régis Forgione

    Le ministère de l'Éducation auditive nous a accordé sa confiance pour la formation des enseignants du 22e siècle et nous sommes prêts à relever le défi, Hélène et moi, enfin, nos avatars numériques.

  • Hélène Audard

    Bon ben voilà, c'était notre petit exercice de design fiction pour Extra Classe dans 75 ans. Alors en fait, c'est l'épisode 52 seulement aujourd'hui et on revient en 2025, donc avec nos deux invités.

  • Régis Forgione

    Oui, nos deux invités pour parler d'éducation au futur, bien sûr, parce que imaginer l'avenir, c'est peut-être le meilleur moyen de le faire advenir, et c'est un exercice passionnant, on va le voir, et très formateur à mener avec des élèves.

  • Hélène Audard

    Éducation au futur, futur de l'éducation, c'est l'épisode d'Extra Classe d'aujourd'hui, pour penser demain.

  • Régis Forgione

    Nicolas Hervé, bonjour !

  • Nicolas Hervé

    Bonjour à vous !

  • Régis Forgione

    Alors, vous êtes agrégé de physique et professeur en didactique des transitions écologiques et des questions socialement vives à l'école nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole, c'est bien ça ?

  • Nicolas Hervé

    C'est exact.

  • Régis Forgione

    Alors une question express pour vous, si je vous dis l'école en 2100, quelle image vous vient là tout de suite en premier ?

  • Nicolas Hervé

    Une école verte, avec beaucoup de végétaux, des animaux, des petits, des grands, et puis des élèves qui arrivent à l'école le matin pour choisir avec les adultes ce qu'ils vont faire pour la journée. Parce qu'en 2100, apprendre à être libre, ça sera comme aujourd'hui un sacré enjeu pour les enfants et les adultes.

  • Régis Forgione

    Ça fait rêver !

  • Hélène Audard

    Marie Cadou, bonjour !

  • Marie Cadou

    Bonjour !

  • Hélène Audard

    Vous êtes professeure d'éducation socio-culturelle au lycée agricole de Guingamp et même exercice mais pas tout à fait dans le même sens. La question expresse pour vous, si vous pouviez déposer un objet dans une capsule temporelle pour des élèves de 2100, vous y mettriez quoi ?

  • Marie Cadou

    Eh bien, je vais être d'une grande banalité, mais en fait, c'est un objet qui, pour moi, recouvre de nombreux symboles. Je mettrais un crayon à papier pour repenser un peu son rapport au temps, à l'art de la rature et à la manière dont on échange.

  • Régis Forgione

    Quel beau programme pour cet épisode. Je vous propose qu'on entre tout de suite dans le temps 1 de cette émission. Pensez le futur pour transformer le présent. Alors dans cette première partie, on va essayer un petit peu de poser la problématique et d'expliciter ce qu'est l'éducation au futur. Nicolas Hervé, cette éducation au futur, on a l'impression en tout cas que c'est une tendance forte dans différents domaines. On en parle dans la formation dans les grandes écoles, on a cette fameuse Red Team du ministère de la Défense qui fait appel à des auteurs de SF, on a une chaire de l'UNESCO qui travaille à ce sujet, on parle de prospective, de littératie du futur, de design fiction. Qu'est-ce que c'est que cette éducation au futur ?

  • Nicolas Hervé

    Déjà j'ai envie de dire que si à l'heure actuelle beaucoup de gens s'intéressent justement à penser le futur dans l'éducation, c'est bien parce que notre monde est inquiétant, problématique, et plus il est inquiétant, plus il est problématique finalement et incertain, plus on a besoin de repères en fait pour penser le futur. Et la prospective nous offre des concepts et des méthodes en fait pour faire cela. L'éducation au futur, c'est tout d'abord apprendre à décrypter, peut-être analyser les visions du futur qui circulent dans la société. C'est aussi apprendre à en construire des images de futur qui sont possibles ou même qui tendent vers l'utopie. Et puis c'est peut-être le plus important, c'est surtout apprendre à en débattre, c'est-à-dire à les faire frotter les unes avec les autres.

  • Hélène Audard

    Et Marie, alors vous, on va le voir, vous travaillez cette éducation au futur avec vos élèves. Comment est-ce que vous avez été amenée à faire ça ?

  • Marie Cadou

    Alors en fait, ce qui m'a conduit à travailler sur les visions du futur des élèves, c'est un travail plus global que l'on mène justement avec Nicolas et tous les membres du réseau des enseignants référents sur la didactique des questions socialement vives. qui consiste justement à travailler avec les élèves des questions qui font débat dans la société, des questions qui sont porteuses de controverses, avec l'idée que justement c'est la controverse qui est à travailler dans une visée d'éducation à la citoyenneté. Et que donc en fait, cette idée d'aller réfléchir à ces questions... En se projetant dans le futur, c'est une autre manière d'envisager l'entrée dans la complexité et dans le débat.

  • Hélène Audard

    Et pourquoi, question peut-être naïve, mais pourquoi l'enseignement agricole spécifiquement s'intéresse plus particulièrement à cette éducation au futur ?

  • Nicolas Hervé

    Je pense que c'est parce qu'il y a deux éléments. Le premier, c'est ce que vient de dire Marie, c'est l'importance du travail qu'on fait autour des questions socialement vives. Il y a un historique dans l'enseignement agricole autour de l'enseignement de ces questions-là, parce qu'on le sait tous, l'agriculture est traversée de questionnements sur les modes de production, les modes de consommation des produits alimentaires, le rapport qu'on entretient avec l'alimentation. Ça, c'est extrêmement controversé dans l'espace social, donc l'enseignement agricole est en première ligne vis-à-vis de ces questions-là. Et dès qu'on déploie des argumentations autour de ce qui fait controverse, tout de suite, enfin assez vite en tout cas, ce sont des visions du futur qui se frottent, qui émergent. Donc, quelque part, naturellement, il y a une connexion entre le travail qu'on fait depuis des années sur l'enseignement des questions socialement vives et puis l'éducation au futur. Mais il y a aussi un deuxième élément, peut-être en lien avec le premier, c'est que la transition agroécologique est maintenant dans tous les programmes de formation de l'enseignement agricole. Et qui dit transition, dit se poser des questions justement sur nos modes de vie. Et c'est peut-être l'occasion aussi avec les élèves... d'essayer de creuser peut-être des alternatives à la manière dont nous vivons. Et donc, ça ouvre la porte à un travail autour de vision du futur.

  • Marie Cadou

    Pour abonder dans le sens de ce que dit Nicolas, on disait en introduction de l'émission qu'en fait, imaginer le futur, c'était peut-être la meilleure façon de le faire advenir, et que penser le futur, c'était une manière de réfléchir aux questions. Mais c'est vrai qu'on est dans un moment où finalement, le futur est un peu bouché en fait. Et par rapport au passé, où on pouvait justement imaginer des futurs. On a tous vu des vidéos de l'Ina où on interroge des petits-enfants sur comment ils voient l'an 2000. Et là, on est dans un moment où ce futur s'est quand même un peu bouché. Et il se trouve que le monde agricole est confronté de manière très très directe aux enjeux du futur proche, et aux débats qui sont liés à ces enjeux. Et donc forcément dans l'enseignement agricole, ces débats sont présents, soit sous le tapis, soit par-dessus, mais ils sont là. Donc c'est vrai que c'est un lieu où il y a quelque chose d'assez évident à aller travailler ces questions.

  • Régis Forgione

    Et c'est peut-être un peu à la croisée de ce qu'on appelle les compétences du XXIe siècle, la créativité, l'esprit critique, l'éducation à la complexité. Tout ça, ça fait partie de cette éducation au futur ? Ou c'est un outil peut-être même pour l'éducation au futur ?

  • Nicolas Hervé

    Je pense que l'éducation au futur, elle est connectée en fait à beaucoup d'autres "éducations à". Et elle a une dimension politique très forte aussi. C'est pour ça que dans ce qu'on entend, il y a plein de manières de nommer les compétences du 21e siècle : éducation politique, éducation à, apprendre à anticiper. Alors apprendre à anticiper, ça ne veut pas forcément apprendre... Généralement, c'est comme ça qu'on comprend le mot « anticiper » , avoir un coup d'avance sur les choses, prévoir peut-être ce qui va arriver. En fait, l'anticipation, ce n'est pas ça. L'anticipation, c'est apprendre à simuler différents futurs possibles, en tout cas imaginer des alternatives, d'autres possibilités. Et puis, en fonction de ces différents possibles qu'on a réussi à mettre en image, à faire discuter, réfléchir à nos moyens d'action à l'heure actuelle. Donc c'est une éducation qui est à la fois critique, puisque pour envisager des alternatives, il faut bien aussi passer par une déconstruction des discours dominants et un regard critique sur la manière dont notre monde fonctionne. C'est aussi une éducation sociale, parce qu'on n'est pas tout seul. En fait, imaginer des leviers politiques, c'est aussi imaginer comment on peut s'organiser avec d'autres. Et il y a une dimension éthique aussi, parce qu'imaginer les futurs ou débattre de futur, c'est aussi faire des choix qui engagent des questionnements éthiques, et comment on embarque le vivant autrui avec nous, c'est aussi une question d'éducation au futur.

  • Marie Cadou

    J'ai envie de dire que derrière ça, il y a toute une question du rapport au temps. Alors ça paraît évident puisqu'on parle de projection dans le futur, mais moi je parlais aussi du temps qui passe et de la manière dont il est compressé. Alors je reviens à mon idée de crayon, mais en fait, ce processus que décrit Nicolas, l'idée d'aller imaginer différents scénarios, et de réfléchir à qu'est-ce qu'il y a derrière, quels sont les leviers d'action, qu'est-ce qu'il faut déployer pour que ces scénarios se réalisent, ou qu'au contraire, ils ne se réalisent pas. C'est aussi réfléchir au temps qu'il faut pour que les choses adviennent. Et qu'actuellement, on est plutôt dans des époques où on est pris par le temps qui passe. et à ne plus réfléchir à ce temps qui passe, on est prisonnier du futur qui arrive avant même qu'il soit là, puisque de toute manière, on ne prend pas le temps de le construire. Et donc, c'est faire un pas de côté et se dire qu'il faut du temps. Et c'est aussi dans ce temps-là qu'on va développer sa pensée et qu'on va développer son esprit critique.

  • Nicolas Hervé

    J'ai envie de rebondir, moi aussi, sur ce que dit Marie. Parce qu'effectivement, quand on parle de projection dans le futur, la dimension temporelle future est évidente. Mais en fait, on ne peut pas se projeter dans le futur sans prendre un élan dans le passé. Et puis de toute façon, cette projection dans le futur, elle ne parle finalement que du présent. Donc c'est bien un rapport aux temporalités. Et il s'agit de reconstruire les temporalités. Cette attention aux temporalités, elle passe aussi par le fait que tout ne va pas à la même vitesse dans notre monde. Et on a un peu la tentation, et c'est peut-être une critique qu'on peut faire aussi aux outils de prospective. notamment quand ils sont faits par des méthodes expertes, c'est se dire qu'on va se projeter à 2030, 2040, 2050, en se disant que cet horizon temporel veut dire la même chose pour tout le monde. Or non, en fait. Le temps de la prise de décision politique, ce n'est pas le temps du changement climatique. Et quand on parle du changement climatique, le changement des espèces végétales, des espèces animales, ce n'est pas le même temps. Et on pourrait raffiner, puisque chaque... espèce animale ou chaque espèce végétale a sa propre temporalité d'existence. Donc comment on arrive à retricoter, à retisser une attention aux temporalités qui fait que tout ça marche ensemble dans notre réflexion. C'est aussi un enjeu d'éducation au futur.

  • Hélène Audard

    Vous avez parlé un peu de méthode experte. On va rentrer justement un peu plus dans le détail, parce que maintenant on a bien saisi un peu les enjeux. On va aller regarder les méthodes pour éduquer au futur. Il y a une expression que j'ai bien aimée, je crois que c'est Marie qui nous l'avait dite quand on a préparé l'émission, qui était le futur comme un espace de résolution des problèmes. Et donc, peut-être Nicolas, pour commencer, est-ce que vous pouvez nous dire un petit peu quelles sont ces méthodes qu'on peut utiliser pour se projeter et essayer de résoudre les problèmes d'aujourd'hui ? On a bien compris que c'était nos problèmes d'aujourd'hui qu'on essayait de résoudre avant tout.

  • Nicolas Hervé

    Dans la prospective, c'est une diversité de concepts et de méthodes. On peut mettre vraiment des S partout à concepts et méthodes parce que ces objets-là sont extrêmement pluriels. On peut les catégoriser peut-être en plusieurs parties. On a des méthodes qui sont dites expertes, c'est-à-dire on va s'appuyer sur des experts pour nous aider à penser le futur. Et puis de l'autre côté de ce curseur d'expertise, on a aussi des méthodes qui se fondent sur l'intelligence collective et justement le fait qu'en faisant participer beaucoup de monde avec les différences de chacun, c'est une manière aussi de nourrir nos manières d'examiner les problèmes et d'examiner le futur. Donc entre expertise et participative, on a déjà tout un tas de familles de méthodes. Et puis on a aussi une autre manière d'envisager les méthodes, c'est de se dire, il y a des méthodes qui sont... très fondée sur la data, sur les informations, sur la modélisation, notamment numérique. Donc des méthodes très instrumentées, on va dire ça comme ça, qui tendent plutôt vers les sciences expérimentales, sciences numériques. Et puis de l'autre côté, on a un appel à la créativité très forte, avec des manières de travailler le futur par les récits, notamment la science-fiction est un bon outil pour travailler ça. Donc quand on mélange expertise, participation, l'informatique, la donnée et puis la créativité, on se retrouve avec un tas de méthodes qu'il s'agit d'hybrider.

  • Hélène Audard

    Et alors concrètement, dans les établissements, quelles méthodes on peut utiliser ? Parce que là, les données ou l'expertise, on ne les a pas nécessairement. Donc on va aller du côté plutôt des récits.

  • Nicolas Hervé

    On peut peut-être parler, si vous voulez, du design fiction, parce que c'est une méthode qui, à l'heure actuelle, a le vent en poupe, qui est très utilisée, qui a une histoire très récente, puisqu'elle a une dizaine d'années à peu près. chez les designers, et elle a percolé très vite dans le monde de l'enseignement. C'est une manière de travailler le futur qui passe par la création d'un arrière-plan dans lequel on va dessiner différents futurs possibles. C'est l'étape de world building, on appelle ça, de construction du monde. Et puis, une fois qu'on a construit cet arrière-plan, c'est l'idée de réfléchir à une pratique sociale. À l'intérieur de ce monde-là, des pratiques agricoles, peut-être le lycée du futur justement, mais dans différents futurs possibles parce qu'on a dessiné cet arrière-plan dans lequel peut-être les lycées ou les pratiques peuvent être différentes. Et puis le dernier temps, c'est un temps de construction, de conception en fait, d'un objet, d'un artefact en fait, qui est un peu comme les archéologues du futur. Un archéologue du futur qui irait dans le futur et qui ramènerait un objet concret. Il s'agit de concevoir un objet matériel, mais quand je dis matériel, c'est vraiment un objet qu'on va pouvoir montrer, qu'on va pouvoir toucher, qu'on va pouvoir se montrer, sur lequel on va pouvoir discuter. Le design fiction, c'est vrai que c'est à l'heure actuelle un dispositif qui semble vraiment intéressant pour les professionnels de l'éducation, notamment en France, mais qui est plus largement utilisé dans le monde anglo-saxon, notamment dans l'enseignement de la technologie, parce qu'il permet d'aborder les problématiques autour de l'intelligence artificielle, autour peut-être des microcontrôleurs, autour des imprimantes 3D, sans avoir nécessairement les compétences techniques pour faire tourner ou programmer une impression 3D. Mais même avec les enfants, ça permet de travailler les problématiques sociales autour du développement technologique.

  • Régis Forgione

    Marie, de votre côté, dans la pratique auprès des élèves, on en a parlé d'ailleurs un peu humoristiquement dans l'introduction de cet épisode, mais vous avez mis en œuvre, je vais dire là, La technique, je ne sais pas comment dire, le dispositif de la capsule temporelle autour d'un élevage, il me semble, avec vos élèves. Est-ce que vous pourriez nous expliquer tout ça ?

  • Speaker #4

    Oui, alors c'est un projet qu'on a mené l'an dernier avec une classe de seconde GT, donc seconde générale et technologique, qui dans l'enseignement agricole a une option qui s'appelle environnement, agronomie, territoire et développement durable. Et donc dans le cadre de cette option, en fait, on a travaillé sur l'élevage de porcs du lycée. de notre lycée à Carnilien. Et l'idée c'était en fait de faire réfléchir les élèves sur la question du bien-être animal, sachant que ce sont des élèves de seconde et que ce sont des élèves qui n'ont pas encore de culture professionnelle sur le sujet et qui donc ont plutôt des représentations du sujet qu'on pourrait dire grand public entre guillemets. Donc l'idée c'était de se familiariser avec ce sujet là en les faisant travailler la projection dans le futur. C'est à dire pour eux c'est quoi le bien-être animal ? Regarde ce qu'est pour eux le bien-être animal. Est-ce qu'on peut dire que le bien-être animal il est présent dans un élevage de porcs et en l'occurrence celui du lycée tel que les élevages de porcs fonctionnent à l'heure actuelle ? Oui, non. Et toujours avec ce qu'est pour eux le bien-être animal, qu'est-ce qu'il faudrait pour que... finalement cet élevage soit un peu un élevage modèle en termes de bien-être animal dans 50 ans. Donc il essaie de se projeter à 50 ans pour qu'il y ait un laps de temps assez long et qu'ils puissent imaginer qu'on parlait à leurs petits-enfants. J'ai 15, 16 ans et je parle à un jeune qui potentiellement serait mon petit-fils ou ma petite-fille. Et donc la capsule temporelle... En fait c'est la constitution d'un message destiné à ce public du futur, donc là en l'occurrence les futures secondes du lycée agricole de Kernilien, donc ceux qui seront là à leur place dans 50 ans, et de leur transmettre un message autour de ce qu'est pour eux le bien-être animal et de ce qu'ils aimeraient que l'élevage de porcs soit devenu et donc de confronter, d'offrir ce message. à ces jeunes-là, puis de voir si ces jeunes-là, ce qu'ils entendront correspondront à ce qu'ils vivent aussi. Donc la capsule, c'était ces messages, donc là c'était des petites vidéos qui ont été enregistrées et qui ont ensuite été mises sur une clé USB. Cette clé USB a été enfermée dans un boîtier symbolique et il a été transmis à la direction de l'établissement avec un contrat d'engagement par lequel la direction s'engageait. à conserver ces capsules dans le coffre-fort de l'établissement et à faire en sorte que les directions successives d'ici 50 ans permettent que la capsule soit réouverte dans 50 ans. C'est-à-dire bien sûr que déjà elle reste dans le coffre-fort ou qu'elle soit déplacée s'il y avait besoin et que si la technologie faisait que la clé USB devenait un support cadu, que les vidéos soient transposées sur les nouveaux supports pour qu'elles soient délivrables en temps et en heure. Et donc il y a eu une petite cérémonie officielle de remise et d'engagement. Donc c'était un moment qui était assez émouvant en fait, et pour les élèves et aussi pour la direction de l'établissement.

  • Hélène Audard

    C'est très chouette comme projet. Alors autre type de méthodologie peut-être Nicolas, c'est de travailler sur des scénarios. Il y a même des ministères de l'éducation, je crois que c'est au Danemark, qui ont imaginé des scénarios comme ça pour l'éducation du futur. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur cette méthode-là ?

  • Nicolas Hervé

    C'est la méthode un peu historique, en tout cas de la prospective telle qu'elle se fait en France. C'est l'idée d'avoir une méthode pour construire différents scénarios possibles. Tout un chacun, nous construisons des scénarios pour le futur, mais d'une manière un peu bricolée, sans vraiment de méthode un peu rigoureuse. C'est l'idée d'avoir cette méthode rigoureuse, d'avoir un cadre un peu analytique. et ce cadre analytique en fait, il consiste si on prend un sujet, par exemple, tel que comment l'intelligence artificielle va pouvoir se développer dans les 30 à 40 prochaines années. C'est l'idée d'essayer de découper un peu le morceau. C'est une méthode un peu analytique qui intéresse du coup notamment les enseignements scientifiques parce qu'on retrouve cette rigueur, entre guillemets, en tout cas cet appétit pour découper les problèmes. Donc on pourrait très bien imaginer qu'elles sont les facteurs de type économique qui feraient que le déploiement de l'intelligence artificielle va aller dans telle ou telle direction. On peut aussi imaginer différents types d'acceptabilité sociale. On peut imaginer aussi peut-être des dimensions environnementales qui freinent ou au contraire qui permettent d'accélérer le déploiement de cette technologie. Bref, tout un tas d'identifications de facteurs qui vont faire évoluer cette technologie dans le temps. Et une fois qu'on a identifié ces différentes dimensions, il s'agit de construire des hypothèses pour chaque dimension. C'est-à-dire d'un point de vue économique, qu'est-ce qui pourrait arriver ? Et donc on fait comme ça une série d'hypothèses. Vous voyez que si on fait ça pour chacune des dimensions, on va se retrouver avec un tableau. Donc ce que je disais, c'est une méthode analytique. Et une fois qu'on a fait ça, c'est là où quelque part, la créativité va reprendre le pas sur l'analyse parce qu'il va s'agir de combiner différentes hypothèses les unes avec les autres, de manière à recréer différents scénarios qui sont cohérents. Et cette manière un peu rigoureuse, en fait, nous permet de pouvoir multiplier différents scénarios et de petit à petit les incarner. Une fois qu'on a construit ces scénarios, on peut... Peut-être, si on a assez de temps, essayer d'immerger les étudiants dedans, en leur faisant construire un récit, une scène de vie, une scène professionnelle, l'avenir d'un secteur d'activité particulier pour le déployer dans ces différents scénarios.

  • Régis Forgione

    Dans ces activités de réflexion, de projection des élèves sur le futur au sens large, on aurait très envie d'imaginer aussi qu'ils ont envie de travailler justement sur leur quotidien d'élève. Et on sait Marie que vous avez travaillé à ce sujet, notamment autour du foyer de l'établissement. Et on a très envie de savoir comment les élèves se sont projetés dans ce foyer du futur. Est-ce qu'ils ont créé une dystopie, une utopie ? Comment ça s'est présenté ?

  • Marie Cadou

    Oui, en fait, par rapport à ce que décrit Nicolas, de cette conception très analytique, après c'est vrai qu'on s'empare un peu des outils au regard de nos élèves, de leur âge, de ce qu'ils font. Et donc là, le projet dont vous parlez, c'est un projet qui a été mené cette année avec la classe de première STAV. Donc c'est les anciens élèves de seconde de l'année dernière, puisqu'en fait c'est une classe avec laquelle l'idée c'était de faire un projet sur justement la projection dans le futur chaque année. Donc l'année dernière on a travaillé sur l'élevage de porcs, et donc là cette année le travail était centré sur le foyer du lycée, Alors les foyers dans les lycées agricoles ils sont gérés par une association d'élèves qui s'appelle l'Alesa Et il se trouve que dans notre lycée l'Alesa a un peu du mal à trouver des élèves qui s'engagent vraiment de manière volontaire dans les missions de l'association Et par ailleurs il y a eu cette année quelques problèmes de dégradation sur le mobilier du foyer Donc en fait Partant de ce constat, on a travaillé avec les élèves sur qu'est-ce que c'est qu'un foyer, à quoi ça sert un foyer et qu'est-ce que c'est qu'un foyer qui fonctionne bien. C'est-à-dire un foyer dans lequel il n'y a pas de problème et dans lequel les usagers se sentent bien. Avec cette idée que derrière la question du foyer, forcément on allait gratter la question du modèle du vivre ensemble. À partir des éléments qui avaient émergé, ils ont dû réfléchir à leur foyer. idéal dans dix ans. Donc ils ont travaillé en petits groupes, il y avait trois groupes et chaque groupe devait imaginer son foyer idéal donc de manière ouverte, c'est à dire qu'il n'y avait pas de contraintes, c'est vraiment votre foyer idéal, quel serait-il ? Et une fois que cette idée était formée, de créer le récit des dix années entre aujourd'hui et dans dix ans donc qui permettrait à leur foyer d'advenir. C'est-à-dire qu'est-ce qu'il faudrait qu'il se passe entre aujourd'hui et dans dix ans pour que votre foyer idéal il existe ? Et en fait là l'idée c'était finalement de faire réfléchir finalement à ce dont parlait Nicolas, le côté analytique. Là il était rétroactif, c'est-à-dire c'est à travers ce que contenait le récit qu'on a après déconstruit qu'est-ce que contenait le récit, en fait ? Qu'est-ce que ça voulait dire, en fait, d'imaginer un récit comme ça ? Et donc, on a eu trois scénarios. On parle bien de foyer idéaux. Donc, on a eu un groupe qui a créé un projet autour d'un foyer autogéré avec autonomie des élèves, responsabilité collective, et un foyer où, finalement, il n'y avait pas de problème, puisque... Tous les élèves étant impliqués dans son mode de fonctionnement, il y avait un respect du lieu qui découlait naturellement de ce mode de fonctionnement. Et donc leur récit consistait à imaginer finalement une montée en compétences progressives des élèves sur 10 ans pour qu'entre un élève standard d'aujourd'hui et celui d'il y a 10 ans, on soit face à des jeunes qui soient aptes à être autonomes et à fonctionner. de manière responsabilisée autour de la gestion d'un lieu. Donc un projet très éducatif.

  • Hélène Audard

    Ça c'est le scénario qui fait plaisir à l'enseignant.

  • Marie Cadou

    Alors pour vous dire, les trois projets ont été présentés à la direction de l'établissement et ce projet-là va être présenté au conseil intérieur du lycée à la rentrée, au premier conseil. Et les deux autres projets, alors étonnamment les élèves n'ont pas travaillé ensemble mais ils sont partis sur des idées à peu près semblables d'un foyer où, grosso modo, les élèves auraient accès à tout ce qu'ils veulent, sans limite, sans avoir rien à faire, juste à demander. Donc, comment on arrive là et comment on fait pour éviter les problèmes ? Donc, il y a un cas de figure où les élèves ont imaginé... un scénario un peu catastrophe où il y aurait eu une guerre et puis en fait la France aurait réussi à s'enrichir par la guerre et donc avec cet argent la France aurait réinvesti dans l'éducation mais en mettant en concurrence ces établissements donc pour un établissement avoir un bon foyer c'est quand même attractif donc on va mettre de l'argent sur le foyer et donc on va donner l'argent aux élèves et alors ben mais pour qu'il n'y ait pas de problème parce que forcément si tout le monde fait ce qu'il veut on peut imaginer qu'il va y avoir des conflits et eh bien, en fait, on va mettre des vigiles et puis des caméras de vidéosurveillance. Et il y a un autre cas, mais qui était, en fait, c'était un peu là où l'idée, c'était de dire, bon, il y aurait eu des grandes manifestations de jeunes qui en avaient marre, blocage du pays, pays à l'arrêt. Donc, le gouvernement finit par dire aux jeunes, OK, qu'est-ce que vous voulez ? et à dire, bon, par contre... on va réaliser les projets qui nous semblent intéressants. Donc, mise en concurrence quand même des projets des jeunes. Et donc, les jeunes de Kerdina avaient un projet qui marche. Et donc, là, c'est pareil. C'était un projet où ils avaient de l'argent pour faire à peu près ce qu'ils voulaient. Et pareil, il y avait l'idée d'avoir de la vidéosurveillance et des vigiles, en fait, pour gérer les problèmes de dégradation éventuelle ou de débordement au règlement. Donc c'était assez intéressant après d'aller déconstruire ce qu'il y avait derrière leur récit. Et qu'est-ce que ça racontait quoi ?

  • Régis Forgione

    Comme quoi la dystopie des uns est l'utopie des autres. Ou inversement, selon la position dans laquelle on se trouve. Je vous propose qu'on se dirige vers le troisième temps de cette émission. On commence à l'entendre, mais la question c'est pourquoi c'est si dur d'imaginer demain ? Nicolas Hervé, est -ce que ces expériences modifient la vision du monde qu'on les élève ? Quand je dis ces expériences, c'est ceux avec qui on les nourrit également pour mener ces expériences ?

  • Nicolas Hervé

    Alors oui, ils vivent une expérience déjà. Et si on reprend l'exemple qu'a donné Marie tout à l'heure de la capsule temporelle, c'est vrai que c'est une expérience qui est très forte pour les élèves parce qu'il y a cette espèce de brouillage temporel. Ils s'adressent à leurs pairs, des enfants, des adolescents qui ont leur âge. mais qui ne sont pas encore nés. Et ce brouillage fait que, oui, on s'adresse à des personnes qui ont le même âge que nous, mais en même temps qui sont plus petits, fait qu'il y a vraiment un flou et une sorte de trouble, en fait, trouble temporel, qui est bien une expérience intéressante, justement, pour essayer de comprendre comment les temporalités sont tissées les unes avec les autres. Donc, il y a déjà le fait de vivre des expériences. Et puis, se projeter dans le futur, en tout cas, avoir mené le type de questionnement dont fait écho Marie, ça nécessite de cultiver à la fois leurs imaginaires et puis leur manière d'argumenter, leur manière de faire frotter les idées. Et donc, ce n'est pas quelque chose qui est automatique pour eux. Et cette culture, elle peut se dessiner de différentes façons, à la fois à travers les enseignements, la manière dont on les fait travailler, justement pour développer leur rapport à la créativité, mais aussi plus on va vers des projections vers le futur, et plus on a besoin de s'appuyer sur le passé. Donc c'est comment on arrive aussi à construire avec eux une culture du passé qui soit peut-être au-delà du rapport au passé qu'ils ont pour penser le futur. Je ne sais pas très clair ce que je dis, mais ça veut dire en fait que dès qu'on a une tendance à penser le futur, tout de suite, on va aller vers du high-tech, on va aller comme si en fait, notre rapport au futur, il se faisait par une sorte d'écrasement ou de refus de ce qui venait du passé. Or, en fait, c'est plutôt l'inverse. C'est comment faire appel au passé pour penser le futur. Et ça, c'est aussi l'occasion, notamment quand on est dans le domaine agricole, mais pas que. C'est aussi l'occasion de peut-être s'intéresser à des pratiques agricoles oubliées, ou en tout cas qui ont été marginalisées par le développement technologique. Donc comment on réinvestit aussi la connaissance de ces milieux de vie, de ces territoires, de ces pratiques, à travers le passé, à travers les entretiens qu'on peut faire mener aux jeunes sur les personnes qui sont âgées, de manière à ce que cette expérience du passé elle constitue aussi un ensemble de ressources utiles pour se projeter et pour dépasser peut-être les stéréotypes qu'on a facilement sur le futur.

  • Hélène Audard

    Mais il y a aussi, Marie, peut-être des stéréotypes dans le passé, c'est-à-dire que le mythe d'un âge d'or auquel on reviendrait, et notamment peut-être pour des élèves qui sont enfants d'agriculteurs et qui n'ont pas forcément envie de remettre en question un modèle. Le passé est aussi peut-être problématique parfois, quand il faut envisager le futur.

  • Marie Cadou

    Oui, tout à fait. En fait, comme disait Nicolas tout à l'heure, penser le futur, c'est surtout penser le présent. Et en fait, la manière dont on pense le passé, c'est aussi beaucoup penser le présent. En fait, tout est lié. Alors, le mythe d'un âge d'or, je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est qu'il y a une culture de l'impératif, c'est-à-dire qu'il y a une pensée très pragmatique. et de dire bon ce qui se faisait avant ça se faisait avant parce que ça pouvait se faire avant et en fait nous on fait ce qu'on fait maintenant parce que c'est ce qui doit se faire maintenant et donc moi je trouve que ce que disait Nicolas autour de l'expérience c'est fondamental c'est à dire que je pense qu'il faut être très modeste quand on mène ces projets là les représentations des élèves, bon comme tout à chacun mais en l'occurrence chez les élèves c'est très vrai elles sont très ancrées et c'est Ce n'est pas un projet de réflexion sur le futur qui fait fondamentalement bouger leur vision du futur et leurs idées. Mais par contre, l'expérience qu'ils vivent va faire bouger des lignes et va venir enrichir leur culture au sens large du terme. C'est-à-dire leur capacité à imaginer des choses, va venir enrichir leur regard tout simplement et peut-être les sortir de certaines conceptions un peu monolithiques et simplistes aussi des situations. Donc il y a un enrichissement qui est aussi une entrée dans la nuance, c'est-à-dire qu'on ne bouge pas forcément ce qu'on pense, mais on voit que les possibles et les situations sont plus complexes que ce qu'on pouvait imaginer. Et d'ailleurs, pour finir là-dessus, il y a aussi justement toute cette question de l'imagination qui est en soi à interroger, c'est-à-dire qu'en fait les élèves, ce n'est pas forcément facile pour eux... d'imaginer quelque chose. On se dit c'est chouette, on va imaginer quelque chose, mais on se rend compte que souvent leur tendance première dans l'imagination, ça va être d'imaginer quelque chose qui est le prolongement d'aujourd'hui, c'est-à-dire de quelque chose on est dans un monde effectivement qui est baigné d'une culture tournée vers la solution technologique et eux, ils vont vraiment aller vers ça. Leur projection est finalement très bornée. Et donc ces projets-là, c'est aussi une manière d'ouvrir un peu le prisme et de voir qu'on va aussi enrichir, au sens propre du terme, c'est-à-dire donner des éléments qui vont permettre sur la durée d'imaginer les choses de manière plus ouverte.

  • Régis Forgione

    Nicolas, vous voulez rebondir ?

  • Nicolas Hervé

    Oui, parce qu'en fait, les expériences, on en a mené avec différents élèves de différents niveaux. Dans l'enseignement agricole, on a la chance à la fois d'avoir de la quatrième jusqu'aux écoles d'ingénieurs, presque, d'agronomie. Et ce qui est assez frappant, c'est que finalement, ce rapport à l'imagination, en tout cas cette faiblesse, le fait que leur imagination soit quand même tournée vers des imaginaires qui soient dominants, qui soient les mêmes, ça on le retrouve en fait, quels que soient les élèves. C'est-à-dire, on peut avoir des élèves en bac... pro-service à la personne et des élèves ingénieurs, finalement, on va retrouver les mêmes types d'imaginaires qui sont activés. Donc, ça prouve bien aussi l'importance des verrouillages autour de la manière dont les jeunes et les moins jeunes, enfin notre société, en fait, produisent des imaginaires qui sont vraiment très fortement ancrés chez nous. Mais tous disent aussi, après l'expérience, que finalement, cet exercice-là, il est nouveau pour eux. C'est qu'un exercice explicite autour ... De la manière dont ils se voient ou ils voient le monde dans le futur, c'est quelque chose qu'ils ne font jamais. Et ça aussi, ça participe de l'idée de se dire qu'il y a quelque chose d'intéressant, malgré toute l'humilité qu'on peut avoir sur les conséquences vis-à-vis des élèves, comme le dit Marie, c'est quand même quelque chose d'assez intéressant à noter.

  • Marie Cadou

    Si je peux me permettre, pour finir ce que disait Nicolas, justement dans cette idée aussi de rentrer en discussion. C'est-à-dire qu'on est toujours dans cette idée qu'on travaille des questions socialement vives et qu'on est dans une éducation à la citoyenneté. Et qu'en fait, ces projets-là, ils mettent aussi les élèves dans des configurations où ils vont rentrer dans une forme d'échange, en fait, contextualisé à un projet de projection dans le futur. Et donc, tout à coup, comme ils sont pris par ça, ils ne se rendent pas forcément compte tout de suite qu'en fait, les échanges qu'ils ont sont des échanges politiques, en fait. C'est-à-dire, ils vont se mettre à parler de leur vision du monde, à des paramètres qu'il faudrait pour que ça arrive, des leviers qu'il faudrait activer. Et qu'en fait, si cette discussion, on voulait les avoir de manière stricte, avec un débat sur un sujet, elle ne se passerait pas du tout de la même manière. Parce qu'elle serait conscientisée comme étant un débat politique, et il y a plein de représentations, là encore à l'œuvre, qui feraient que leurs paroles ne seraient pas du tout délivrées de la même manière. Alors que là, les dispositifs pédagogiques les mettent dans des configurations où ces effets en change là vont avoir lieu, où ils vont écouter aussi des intervenants, ils vont être en relation avec des paroles. Et l'écoute et la prise de parole va se faire et se construire. Et pour moi, c'est ce qui est intéressant dans ces projets, c'est qu'à travers ces projets-là, on construit aussi leur capacité, justement, à rentrer dans du travail de délibération et du travail d'échange citoyen.

  • Nicolas Hervé

    On pourrait être étonné, effectivement, et se dire qu'à cet âge-là, ils seraient très révolutionnaires ou disruptifs, pour utiliser ce mot. Et vous nous dites que non, au contraire, ils sont tellement nourris de... de SF, de technosolutionnisme, d'univers hollywoodien, quelque part qui envahit un peu le monde et qui se dirige plus vers ce type de récits dominants. Et vous dites qu'effectivement, c'est dans leurs échanges et dans ce côté politique, les citoyens qui se nourrissent. Mais qu'est-ce que vous apportez d'autre ? Est-ce qu'il y a des apports culturels différents pour essayer de nourrir leurs imaginaires et un peu, j'ai envie de dire, ouvrir leur chakra de ce côté-là ?

  • Marie Cadou

    Moi, je suis prof d'éducation socio-culturelle, donc c'est mon travail, en fait. Je suis là. exactement, c'est ma mission d'enseignante c'est ça c'est de venir enrichir leur culture au sens très large du terme donc que ce soit par le biais artistique que ce soit par le biais de la formation l'esprit critique, que ce soit sur le travail sur les médias, en fait on est là pour ça donc bien sûr en fait l'idée c'est toujours d'offrir des références d'offrir des perspectives et d'apporter en fait de la matière L'idée selon laquelle on parle de la pratique du jeune, c'est bien et c'est très important, mais il faut aussi la nourrir d'autres choses. Et d'ailleurs, ils adorent ça. Ils adorent qu'on vienne leur raconter des choses, qu'on vienne leur montrer des choses. Et ils sont très preneurs de tout ça. Donc, bien évidemment, on apporte de la matière dans tous les sens du terme. Donc, ça peut être de la matière stricte, ça veut dire de la ressource documentaire pour qu'après, ils construisent leur projet. Mais ça peut être aussi de la matière artistique, de la matière sensible. C'est fondamental.

  • Hélène Audard

    Nicolas ?

  • Nicolas Hervé

    Peut-être quelque chose dont on n'a pas parlé, en tout cas un trait dont on n'a pas parlé sur le rapport des élèves au futur, c'est aussi peut-être une tendance au fatalisme, c'est-à-dire que vis-à-vis du futur, quelque part, il y aurait cette idée que les carottes sont cuites, on se dirige tranquillement mais sûrement vers une catastrophe écologique, politique, etc. et qu'on n'y peut rien. Et donc nourrir leurs imaginaires, c'est aussi leur montrer que cette vision du futur, elle est à décrypter, à nuancer, mais c'est cette idée de comment leur montrer que non, des alternatives existent. que le futur n'est pas écrit, que justement ce travail autour de différents futurs possibles conduit à imaginer des leviers d'action, d'autres possibilités. Et le terreau, au-delà des exercices pédagogiques qu'on leur fait faire, c'est bien ce rapport à la culture. Comme le disait Marie, les cultures, elles sont aussi leur montrées peut-être différents exemples dans le passé, donc les expériences du passé peuvent nous nourrir. D'autres cultures, l'interculturalité, que dans d'autres pays, dans d'autres cultures, on voit les choses différemment. Et puis d'autres imaginaires, notamment par les par les récits ou les fictions, qui peuvent amener les élèves à avoir d'autres regards sur les possibles d'évolution du monde.

  • Hélène Audard

    Oui, ça se confronter à d'autres visions du monde, ça a aussi pas mal de bienfaits. On voulait juste vous demander de nous dire, parce qu'en fait tous les deux, on ne l'a pas forcément dit, mais vous êtes reliés par quelque chose entre autres, qui est un Léa autour de l'éducation au futur. Est-ce que vous pouvez nous en dire quelques mots, Marie ?

  • Marie Cadou

    Oui, alors Léa, ça veut dire lieu d'éducation associée. C'est un dispositif qui associe des chercheurs et des enseignants. Et en l'occurrence à l'ENSFEA, il y a un Léa qui a été monté il y a deux ans maintenant, Nicolas, on va rentrer dans la troisième année, et donc qui est tourné sur l'éducation au futur. Donc en fait, les enseignants qui font partie de ce Léa mènent des projets dans leur classe autour de l'éducation au futur et travaillent en collaboration avec des chercheurs. qui viennent observer certaines séances, interrogent les élèves et en fait les travaux menés viennent enrichir les travaux de recherche de ces chercheurs. Donc l'année prochaine sera la troisième année de ce Léa et c'est dans le cadre de ce Léa que j'ai mené les projets dont j'ai parlé tout à l'heure. Avec l'idée que j'avais c'était aussi de voir au-delà des projets ponctuels menés sur une année, de voir si en menant ces projets-là avec une classe, Sur de la seconde à la terminale, on pouvait voir aussi une progression, le fait qu'il y ait une récurrence dans l'exercice, même si les dispositifs sont différents, mais d'activer ce levier de la projection dans le futur, si le fait de le faire de manière récurrente, on pouvait voir une progression.

  • Régis Forgione

    Nicolas ?

  • Nicolas Hervé

    Juste quelques précisions, c'est sept établissements, sept lycées agricoles qui sont impliqués dans le réseau. C'est dix enseignants, c'est quatre chercheurs et c'est six disciplines différentes qui vont aussi bien du côté de l'enseignement professionnel et technologique, des enseignants d'agronomie ou de zootechnie, que des disciplines qui sont plutôt tournées vers la créativité comme l'éducation socio-culturelle. Et on a un blog, peut-être que vos auditeurs sont intéressés aussi pour justement, prendre connaissance des différents travaux qui sont menés et différents comptes rendus d'expérimentation pédagogique. Donc, on vous enverra le lien pour que vous le mettiez sur l'émission.

  • Hélène Audard

    Donc, on rentre directement dans le temps d'inspiration, parce que ça me paraît, ce blog, une très bonne source d'inspiration. Et je vous demande, Marie, pour commencer, quelle serait la référence que vous avez envie de partager avec nos auditeurs et auditrices ?

  • Marie Cadou

    Alors, je vais faire un peu dans la facilité, mais c'est une belle référence. En fait, dont je parlais avec Nicolas il y a peu, ce sont les travaux d'Olivier Hamand, qui est biologiste et qui est directeur de l'Institut Michel Serres, et qui, en fait, développe le concept de robustesse, en opposition à celui de la performance et de l'efficacité, en se basant sur le modèle de la nature. Il explique ce qui fait que la nature a une très forte capacité d'adaptation et de tenue dans le temps. C'est le fait, non pas qu'elle soit performante, mais le fait qu'elle soit robuste. C'est-à-dire qu'elle déploie des mécanismes qui peuvent être considérés comme parfois du gâchis ou du gaspillage. Mais c'est avec tous ces mécanismes qui sont d'une très grande complexité qu'elle construit sa robustesse et sa capacité. à tenir longtemps. Et donc, c'est un concept qui est très intéressant et qui me semble inspirant aussi quand on réfléchit à ce qu'on veut faire en termes d'éducation.

  • Hélène Audard

    Merci Marie, Nicolas.

  • Nicolas Hervé

    Alors moi, ce n'est pas un ouvrage scientifique, c'est plutôt un ouvrage de fiction. C'est un livre de Camille Le Boulanger, qui est un auteur de science-fiction de la nouvelle vague, on va dire, française, un jeune auteur, qui a écrit un livre qui s'appelle « Utopia » , et qui décrit l'histoire d'une personne depuis sa petite enfance jusqu'à sa vieillesse, dans un monde qui serait entré en transition, et dans lequel la propriété n'existe pas. plus, dans lequel on a refondé à la fois nos pratiques de consommation agricole et nos modes de vie etc. Et qui justement m'a beaucoup plu parce que c'est une source d'inspiration aussi pour montrer que bah oui en fait un autre monde est possible et que finalement les connexions aussi avec nos modes de vie actuelles paraissent pas non plus si orthogonaux. Donc ça peut nous donner l'espoir aussi que, oui, il est possible de changer notre société.

  • Hélène Audard

    Merci Nicolas. Alors très exceptionnellement, et parce que je pense que ça fera plaisir à Régis, je vais lui demander, parce qu'il y a une figure un peu tutélaire au-dessus de cet épisode qui nous a donné envie de faire cet épisode sur le futur. Donc je te laisse Régis nous donner cette inspiration.

  • Nicolas Hervé

    Oui, en deux mots, quelqu'un qui peut nourrir tous ces débats, je pense que vous ne nous direz pas non, chers invités, c'est Alain Damasio. On a, voilà, figure tutélaire de cet épisode, elle l'a dit Hélène, on pense à sa zone du dehors, à ses furtifs, qui imaginent justement, au-delà du technosolutionnisme, qu'il n'aime pas du tout, comment il dénonce ces choses-là et comment il imagine des futurs, des futurs qui chantent, malgré des technologies qui déchantent, je vais dire comme ça. Donc on aurait adoré qu'il soit là avec vous, d'ailleurs, tiens, pour échanger autour de cet épisode, peut-être dans un épisode du futur, Hélène.

  • Marie Cadou

    D'autant qu'Alain Damasio a fondé une école, l'école des vivants.

  • Régis Forgione

    Exactement, qui réfléchit à ces questions notamment. On se dirige gentiment vers la conclusion de cet épisode. Alors, que dire ? J'ai envie de dire une chose. On a parlé de capsule temporelle, on a parlé de crayon de papier, on a parlé de clé USB. Quel sera l'objet du futur ? Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, que c'est le crayon de papier et que le passé sera notre futur. Mais en tout cas, on a réfléchi à tout ça. Là, on a très envie de se dire que... cet épisode sera toujours légitime en 2100 et que quand vous l'écouterez, il sera éclairant. Nous, en tout cas, on va le mettre dans la capsule temporelle d'Extra Classe et on l'ouvrira le plus tard possible, Hélène, pour voir s'il fait encore toujours son oeuvre. Un grand merci à tous les deux, Marie Cadou et Nicolas Révé pour cet épisode et pour vos éclairages.

  • Hélène Audard

    Merci beaucoup à tous les deux. C'était Éducation au futur, futur de l'éducation, préparée et animée par Hélène Audard et Régis Forgione.

Chapters

  • Penser le futur pour transformer le présent

    02:43

  • Les méthodes pour éduquer au futur

    11:43

  • Pourquoi c'est si dur d'imaginer demain ?

    28:38

  • Inspirations

    43:10

Description

Se tourner vers l’avenir pour résoudre des problèmes d'aujourd'hui, c’est le principe de l’éducation au futur, une approche qui fait son entrée dans l’enseignement, après avoir conquis les grandes écoles ou encore le ministère de la Défense, et bien sûr la littérature de science fiction. Face à des questionnements et des défis majeurs pour les années à venir, élèves et enseignants se trouvent face à la nécessité d’apprendre ensemble à se confronter à l’incertitude et à la complexité. En quoi se projeter dans 50 ans permet d’appréhender différemment les questions socialement vives actuelles ? Comment mener ces activités de design fiction ou d’élaboration de scénarios alternatifs en classe, et avec quels effets ? Comment faire émerger de nouveaux imaginaires chez des jeunes nourris aux dystopies hollywoodiennes ?

Ce Parlons pratiques vous propose un exercice d’anticipation : et si penser le futur était le futur de l’éducation ? Et nos invités vous donnent des exemples très concrets de projets menés notamment dans l’enseignement agricole, qui a pris un temps d’avance sur ces pratiques.
Avec :
- Nicolas Hervé, agrégé de physique, professeur en didactique des transitions écologiques et des questions socialement vives à l’École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole.
- Marie Cadou, professeure d’éducation socioculturelle au lycée agricole de Kernilien-Guingamp.
(Ré)écoutez les épisodes Extra classe de la playlist Éduquer à la transition écologique et sociale.

Vous pouvez également consulter :

Inspirations des invitées et de Régis :

  • Olivier Hamant, Antidote au culte de la performance. La robustesse du vivant, collection Tracts, Gallimard, 2023.

  • Camille Leboulanger, Eutopia, Argyll, 2022.

  • Alain Damasio, Les Furtifs, Gallimard, 2021.

Et nous vous rappelons qu'il y a désormais Entre profs, le nouveau RDV Extra classe le premier mercredi de chaque mois, qui propose de répondre en moins de 3 minutes aux questionnements et problématiques rencontrés tout au long de l’année. Vous aussi, vous avez des questions ? Envoyez-les-nous !

Extra classe est sur toutes vos plateformes d'écoute :
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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé
Émission préparée et animée par : Hélène Audard et Régis Forgione
Réalisée avec l'appui technique de : Marina Garnier
Directrice de publication : Marie-Caroline Missir
Coordination et production : Hélène Audard, Magali Devance
Réalisation et mixage : Simon Gattegno
Remerciements à l'Atelier Canopé de Guingamp
Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr
© Réseau Canopé, 2025


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Régis Forgione

    Bonjour à vous, chères neuroditrices et neuroditeurs d'extra-classe, nous sommes en juillet 2100. Merci de nous rejoindre pour l'épisode 952 de Parlons Pratique.

  • Hélène Audard

    Oui, depuis la grande transformation de 2085, vous nous suivez toujours plus nombreux, grâce au réseau de captation neuronale permanent, ou réseau canopé, qui vous permet de nous écouter de manière totalement dématérialisée et fluide, directement via votre oreille interne.

  • Régis Forgione

    Quel bonheur pour nous que l'audio soit devenu le média dominant, à présent que l'ensemble des contenus pédagogiques, est accessible uniquement en podcast.

  • Hélène Audard

    Plus sobre énergétiquement, plus efficace pour l'engagement et la mémorisation, le podcast, c'est le média éducatif idéal.

  • Régis Forgione

    Le ministère de l'Éducation auditive nous a accordé sa confiance pour la formation des enseignants du 22e siècle et nous sommes prêts à relever le défi, Hélène et moi, enfin, nos avatars numériques.

  • Hélène Audard

    Bon ben voilà, c'était notre petit exercice de design fiction pour Extra Classe dans 75 ans. Alors en fait, c'est l'épisode 52 seulement aujourd'hui et on revient en 2025, donc avec nos deux invités.

  • Régis Forgione

    Oui, nos deux invités pour parler d'éducation au futur, bien sûr, parce que imaginer l'avenir, c'est peut-être le meilleur moyen de le faire advenir, et c'est un exercice passionnant, on va le voir, et très formateur à mener avec des élèves.

  • Hélène Audard

    Éducation au futur, futur de l'éducation, c'est l'épisode d'Extra Classe d'aujourd'hui, pour penser demain.

  • Régis Forgione

    Nicolas Hervé, bonjour !

  • Nicolas Hervé

    Bonjour à vous !

  • Régis Forgione

    Alors, vous êtes agrégé de physique et professeur en didactique des transitions écologiques et des questions socialement vives à l'école nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole, c'est bien ça ?

  • Nicolas Hervé

    C'est exact.

  • Régis Forgione

    Alors une question express pour vous, si je vous dis l'école en 2100, quelle image vous vient là tout de suite en premier ?

  • Nicolas Hervé

    Une école verte, avec beaucoup de végétaux, des animaux, des petits, des grands, et puis des élèves qui arrivent à l'école le matin pour choisir avec les adultes ce qu'ils vont faire pour la journée. Parce qu'en 2100, apprendre à être libre, ça sera comme aujourd'hui un sacré enjeu pour les enfants et les adultes.

  • Régis Forgione

    Ça fait rêver !

  • Hélène Audard

    Marie Cadou, bonjour !

  • Marie Cadou

    Bonjour !

  • Hélène Audard

    Vous êtes professeure d'éducation socio-culturelle au lycée agricole de Guingamp et même exercice mais pas tout à fait dans le même sens. La question expresse pour vous, si vous pouviez déposer un objet dans une capsule temporelle pour des élèves de 2100, vous y mettriez quoi ?

  • Marie Cadou

    Eh bien, je vais être d'une grande banalité, mais en fait, c'est un objet qui, pour moi, recouvre de nombreux symboles. Je mettrais un crayon à papier pour repenser un peu son rapport au temps, à l'art de la rature et à la manière dont on échange.

  • Régis Forgione

    Quel beau programme pour cet épisode. Je vous propose qu'on entre tout de suite dans le temps 1 de cette émission. Pensez le futur pour transformer le présent. Alors dans cette première partie, on va essayer un petit peu de poser la problématique et d'expliciter ce qu'est l'éducation au futur. Nicolas Hervé, cette éducation au futur, on a l'impression en tout cas que c'est une tendance forte dans différents domaines. On en parle dans la formation dans les grandes écoles, on a cette fameuse Red Team du ministère de la Défense qui fait appel à des auteurs de SF, on a une chaire de l'UNESCO qui travaille à ce sujet, on parle de prospective, de littératie du futur, de design fiction. Qu'est-ce que c'est que cette éducation au futur ?

  • Nicolas Hervé

    Déjà j'ai envie de dire que si à l'heure actuelle beaucoup de gens s'intéressent justement à penser le futur dans l'éducation, c'est bien parce que notre monde est inquiétant, problématique, et plus il est inquiétant, plus il est problématique finalement et incertain, plus on a besoin de repères en fait pour penser le futur. Et la prospective nous offre des concepts et des méthodes en fait pour faire cela. L'éducation au futur, c'est tout d'abord apprendre à décrypter, peut-être analyser les visions du futur qui circulent dans la société. C'est aussi apprendre à en construire des images de futur qui sont possibles ou même qui tendent vers l'utopie. Et puis c'est peut-être le plus important, c'est surtout apprendre à en débattre, c'est-à-dire à les faire frotter les unes avec les autres.

  • Hélène Audard

    Et Marie, alors vous, on va le voir, vous travaillez cette éducation au futur avec vos élèves. Comment est-ce que vous avez été amenée à faire ça ?

  • Marie Cadou

    Alors en fait, ce qui m'a conduit à travailler sur les visions du futur des élèves, c'est un travail plus global que l'on mène justement avec Nicolas et tous les membres du réseau des enseignants référents sur la didactique des questions socialement vives. qui consiste justement à travailler avec les élèves des questions qui font débat dans la société, des questions qui sont porteuses de controverses, avec l'idée que justement c'est la controverse qui est à travailler dans une visée d'éducation à la citoyenneté. Et que donc en fait, cette idée d'aller réfléchir à ces questions... En se projetant dans le futur, c'est une autre manière d'envisager l'entrée dans la complexité et dans le débat.

  • Hélène Audard

    Et pourquoi, question peut-être naïve, mais pourquoi l'enseignement agricole spécifiquement s'intéresse plus particulièrement à cette éducation au futur ?

  • Nicolas Hervé

    Je pense que c'est parce qu'il y a deux éléments. Le premier, c'est ce que vient de dire Marie, c'est l'importance du travail qu'on fait autour des questions socialement vives. Il y a un historique dans l'enseignement agricole autour de l'enseignement de ces questions-là, parce qu'on le sait tous, l'agriculture est traversée de questionnements sur les modes de production, les modes de consommation des produits alimentaires, le rapport qu'on entretient avec l'alimentation. Ça, c'est extrêmement controversé dans l'espace social, donc l'enseignement agricole est en première ligne vis-à-vis de ces questions-là. Et dès qu'on déploie des argumentations autour de ce qui fait controverse, tout de suite, enfin assez vite en tout cas, ce sont des visions du futur qui se frottent, qui émergent. Donc, quelque part, naturellement, il y a une connexion entre le travail qu'on fait depuis des années sur l'enseignement des questions socialement vives et puis l'éducation au futur. Mais il y a aussi un deuxième élément, peut-être en lien avec le premier, c'est que la transition agroécologique est maintenant dans tous les programmes de formation de l'enseignement agricole. Et qui dit transition, dit se poser des questions justement sur nos modes de vie. Et c'est peut-être l'occasion aussi avec les élèves... d'essayer de creuser peut-être des alternatives à la manière dont nous vivons. Et donc, ça ouvre la porte à un travail autour de vision du futur.

  • Marie Cadou

    Pour abonder dans le sens de ce que dit Nicolas, on disait en introduction de l'émission qu'en fait, imaginer le futur, c'était peut-être la meilleure façon de le faire advenir, et que penser le futur, c'était une manière de réfléchir aux questions. Mais c'est vrai qu'on est dans un moment où finalement, le futur est un peu bouché en fait. Et par rapport au passé, où on pouvait justement imaginer des futurs. On a tous vu des vidéos de l'Ina où on interroge des petits-enfants sur comment ils voient l'an 2000. Et là, on est dans un moment où ce futur s'est quand même un peu bouché. Et il se trouve que le monde agricole est confronté de manière très très directe aux enjeux du futur proche, et aux débats qui sont liés à ces enjeux. Et donc forcément dans l'enseignement agricole, ces débats sont présents, soit sous le tapis, soit par-dessus, mais ils sont là. Donc c'est vrai que c'est un lieu où il y a quelque chose d'assez évident à aller travailler ces questions.

  • Régis Forgione

    Et c'est peut-être un peu à la croisée de ce qu'on appelle les compétences du XXIe siècle, la créativité, l'esprit critique, l'éducation à la complexité. Tout ça, ça fait partie de cette éducation au futur ? Ou c'est un outil peut-être même pour l'éducation au futur ?

  • Nicolas Hervé

    Je pense que l'éducation au futur, elle est connectée en fait à beaucoup d'autres "éducations à". Et elle a une dimension politique très forte aussi. C'est pour ça que dans ce qu'on entend, il y a plein de manières de nommer les compétences du 21e siècle : éducation politique, éducation à, apprendre à anticiper. Alors apprendre à anticiper, ça ne veut pas forcément apprendre... Généralement, c'est comme ça qu'on comprend le mot « anticiper » , avoir un coup d'avance sur les choses, prévoir peut-être ce qui va arriver. En fait, l'anticipation, ce n'est pas ça. L'anticipation, c'est apprendre à simuler différents futurs possibles, en tout cas imaginer des alternatives, d'autres possibilités. Et puis, en fonction de ces différents possibles qu'on a réussi à mettre en image, à faire discuter, réfléchir à nos moyens d'action à l'heure actuelle. Donc c'est une éducation qui est à la fois critique, puisque pour envisager des alternatives, il faut bien aussi passer par une déconstruction des discours dominants et un regard critique sur la manière dont notre monde fonctionne. C'est aussi une éducation sociale, parce qu'on n'est pas tout seul. En fait, imaginer des leviers politiques, c'est aussi imaginer comment on peut s'organiser avec d'autres. Et il y a une dimension éthique aussi, parce qu'imaginer les futurs ou débattre de futur, c'est aussi faire des choix qui engagent des questionnements éthiques, et comment on embarque le vivant autrui avec nous, c'est aussi une question d'éducation au futur.

  • Marie Cadou

    J'ai envie de dire que derrière ça, il y a toute une question du rapport au temps. Alors ça paraît évident puisqu'on parle de projection dans le futur, mais moi je parlais aussi du temps qui passe et de la manière dont il est compressé. Alors je reviens à mon idée de crayon, mais en fait, ce processus que décrit Nicolas, l'idée d'aller imaginer différents scénarios, et de réfléchir à qu'est-ce qu'il y a derrière, quels sont les leviers d'action, qu'est-ce qu'il faut déployer pour que ces scénarios se réalisent, ou qu'au contraire, ils ne se réalisent pas. C'est aussi réfléchir au temps qu'il faut pour que les choses adviennent. Et qu'actuellement, on est plutôt dans des époques où on est pris par le temps qui passe. et à ne plus réfléchir à ce temps qui passe, on est prisonnier du futur qui arrive avant même qu'il soit là, puisque de toute manière, on ne prend pas le temps de le construire. Et donc, c'est faire un pas de côté et se dire qu'il faut du temps. Et c'est aussi dans ce temps-là qu'on va développer sa pensée et qu'on va développer son esprit critique.

  • Nicolas Hervé

    J'ai envie de rebondir, moi aussi, sur ce que dit Marie. Parce qu'effectivement, quand on parle de projection dans le futur, la dimension temporelle future est évidente. Mais en fait, on ne peut pas se projeter dans le futur sans prendre un élan dans le passé. Et puis de toute façon, cette projection dans le futur, elle ne parle finalement que du présent. Donc c'est bien un rapport aux temporalités. Et il s'agit de reconstruire les temporalités. Cette attention aux temporalités, elle passe aussi par le fait que tout ne va pas à la même vitesse dans notre monde. Et on a un peu la tentation, et c'est peut-être une critique qu'on peut faire aussi aux outils de prospective. notamment quand ils sont faits par des méthodes expertes, c'est se dire qu'on va se projeter à 2030, 2040, 2050, en se disant que cet horizon temporel veut dire la même chose pour tout le monde. Or non, en fait. Le temps de la prise de décision politique, ce n'est pas le temps du changement climatique. Et quand on parle du changement climatique, le changement des espèces végétales, des espèces animales, ce n'est pas le même temps. Et on pourrait raffiner, puisque chaque... espèce animale ou chaque espèce végétale a sa propre temporalité d'existence. Donc comment on arrive à retricoter, à retisser une attention aux temporalités qui fait que tout ça marche ensemble dans notre réflexion. C'est aussi un enjeu d'éducation au futur.

  • Hélène Audard

    Vous avez parlé un peu de méthode experte. On va rentrer justement un peu plus dans le détail, parce que maintenant on a bien saisi un peu les enjeux. On va aller regarder les méthodes pour éduquer au futur. Il y a une expression que j'ai bien aimée, je crois que c'est Marie qui nous l'avait dite quand on a préparé l'émission, qui était le futur comme un espace de résolution des problèmes. Et donc, peut-être Nicolas, pour commencer, est-ce que vous pouvez nous dire un petit peu quelles sont ces méthodes qu'on peut utiliser pour se projeter et essayer de résoudre les problèmes d'aujourd'hui ? On a bien compris que c'était nos problèmes d'aujourd'hui qu'on essayait de résoudre avant tout.

  • Nicolas Hervé

    Dans la prospective, c'est une diversité de concepts et de méthodes. On peut mettre vraiment des S partout à concepts et méthodes parce que ces objets-là sont extrêmement pluriels. On peut les catégoriser peut-être en plusieurs parties. On a des méthodes qui sont dites expertes, c'est-à-dire on va s'appuyer sur des experts pour nous aider à penser le futur. Et puis de l'autre côté de ce curseur d'expertise, on a aussi des méthodes qui se fondent sur l'intelligence collective et justement le fait qu'en faisant participer beaucoup de monde avec les différences de chacun, c'est une manière aussi de nourrir nos manières d'examiner les problèmes et d'examiner le futur. Donc entre expertise et participative, on a déjà tout un tas de familles de méthodes. Et puis on a aussi une autre manière d'envisager les méthodes, c'est de se dire, il y a des méthodes qui sont... très fondée sur la data, sur les informations, sur la modélisation, notamment numérique. Donc des méthodes très instrumentées, on va dire ça comme ça, qui tendent plutôt vers les sciences expérimentales, sciences numériques. Et puis de l'autre côté, on a un appel à la créativité très forte, avec des manières de travailler le futur par les récits, notamment la science-fiction est un bon outil pour travailler ça. Donc quand on mélange expertise, participation, l'informatique, la donnée et puis la créativité, on se retrouve avec un tas de méthodes qu'il s'agit d'hybrider.

  • Hélène Audard

    Et alors concrètement, dans les établissements, quelles méthodes on peut utiliser ? Parce que là, les données ou l'expertise, on ne les a pas nécessairement. Donc on va aller du côté plutôt des récits.

  • Nicolas Hervé

    On peut peut-être parler, si vous voulez, du design fiction, parce que c'est une méthode qui, à l'heure actuelle, a le vent en poupe, qui est très utilisée, qui a une histoire très récente, puisqu'elle a une dizaine d'années à peu près. chez les designers, et elle a percolé très vite dans le monde de l'enseignement. C'est une manière de travailler le futur qui passe par la création d'un arrière-plan dans lequel on va dessiner différents futurs possibles. C'est l'étape de world building, on appelle ça, de construction du monde. Et puis, une fois qu'on a construit cet arrière-plan, c'est l'idée de réfléchir à une pratique sociale. À l'intérieur de ce monde-là, des pratiques agricoles, peut-être le lycée du futur justement, mais dans différents futurs possibles parce qu'on a dessiné cet arrière-plan dans lequel peut-être les lycées ou les pratiques peuvent être différentes. Et puis le dernier temps, c'est un temps de construction, de conception en fait, d'un objet, d'un artefact en fait, qui est un peu comme les archéologues du futur. Un archéologue du futur qui irait dans le futur et qui ramènerait un objet concret. Il s'agit de concevoir un objet matériel, mais quand je dis matériel, c'est vraiment un objet qu'on va pouvoir montrer, qu'on va pouvoir toucher, qu'on va pouvoir se montrer, sur lequel on va pouvoir discuter. Le design fiction, c'est vrai que c'est à l'heure actuelle un dispositif qui semble vraiment intéressant pour les professionnels de l'éducation, notamment en France, mais qui est plus largement utilisé dans le monde anglo-saxon, notamment dans l'enseignement de la technologie, parce qu'il permet d'aborder les problématiques autour de l'intelligence artificielle, autour peut-être des microcontrôleurs, autour des imprimantes 3D, sans avoir nécessairement les compétences techniques pour faire tourner ou programmer une impression 3D. Mais même avec les enfants, ça permet de travailler les problématiques sociales autour du développement technologique.

  • Régis Forgione

    Marie, de votre côté, dans la pratique auprès des élèves, on en a parlé d'ailleurs un peu humoristiquement dans l'introduction de cet épisode, mais vous avez mis en œuvre, je vais dire là, La technique, je ne sais pas comment dire, le dispositif de la capsule temporelle autour d'un élevage, il me semble, avec vos élèves. Est-ce que vous pourriez nous expliquer tout ça ?

  • Speaker #4

    Oui, alors c'est un projet qu'on a mené l'an dernier avec une classe de seconde GT, donc seconde générale et technologique, qui dans l'enseignement agricole a une option qui s'appelle environnement, agronomie, territoire et développement durable. Et donc dans le cadre de cette option, en fait, on a travaillé sur l'élevage de porcs du lycée. de notre lycée à Carnilien. Et l'idée c'était en fait de faire réfléchir les élèves sur la question du bien-être animal, sachant que ce sont des élèves de seconde et que ce sont des élèves qui n'ont pas encore de culture professionnelle sur le sujet et qui donc ont plutôt des représentations du sujet qu'on pourrait dire grand public entre guillemets. Donc l'idée c'était de se familiariser avec ce sujet là en les faisant travailler la projection dans le futur. C'est à dire pour eux c'est quoi le bien-être animal ? Regarde ce qu'est pour eux le bien-être animal. Est-ce qu'on peut dire que le bien-être animal il est présent dans un élevage de porcs et en l'occurrence celui du lycée tel que les élevages de porcs fonctionnent à l'heure actuelle ? Oui, non. Et toujours avec ce qu'est pour eux le bien-être animal, qu'est-ce qu'il faudrait pour que... finalement cet élevage soit un peu un élevage modèle en termes de bien-être animal dans 50 ans. Donc il essaie de se projeter à 50 ans pour qu'il y ait un laps de temps assez long et qu'ils puissent imaginer qu'on parlait à leurs petits-enfants. J'ai 15, 16 ans et je parle à un jeune qui potentiellement serait mon petit-fils ou ma petite-fille. Et donc la capsule temporelle... En fait c'est la constitution d'un message destiné à ce public du futur, donc là en l'occurrence les futures secondes du lycée agricole de Kernilien, donc ceux qui seront là à leur place dans 50 ans, et de leur transmettre un message autour de ce qu'est pour eux le bien-être animal et de ce qu'ils aimeraient que l'élevage de porcs soit devenu et donc de confronter, d'offrir ce message. à ces jeunes-là, puis de voir si ces jeunes-là, ce qu'ils entendront correspondront à ce qu'ils vivent aussi. Donc la capsule, c'était ces messages, donc là c'était des petites vidéos qui ont été enregistrées et qui ont ensuite été mises sur une clé USB. Cette clé USB a été enfermée dans un boîtier symbolique et il a été transmis à la direction de l'établissement avec un contrat d'engagement par lequel la direction s'engageait. à conserver ces capsules dans le coffre-fort de l'établissement et à faire en sorte que les directions successives d'ici 50 ans permettent que la capsule soit réouverte dans 50 ans. C'est-à-dire bien sûr que déjà elle reste dans le coffre-fort ou qu'elle soit déplacée s'il y avait besoin et que si la technologie faisait que la clé USB devenait un support cadu, que les vidéos soient transposées sur les nouveaux supports pour qu'elles soient délivrables en temps et en heure. Et donc il y a eu une petite cérémonie officielle de remise et d'engagement. Donc c'était un moment qui était assez émouvant en fait, et pour les élèves et aussi pour la direction de l'établissement.

  • Hélène Audard

    C'est très chouette comme projet. Alors autre type de méthodologie peut-être Nicolas, c'est de travailler sur des scénarios. Il y a même des ministères de l'éducation, je crois que c'est au Danemark, qui ont imaginé des scénarios comme ça pour l'éducation du futur. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur cette méthode-là ?

  • Nicolas Hervé

    C'est la méthode un peu historique, en tout cas de la prospective telle qu'elle se fait en France. C'est l'idée d'avoir une méthode pour construire différents scénarios possibles. Tout un chacun, nous construisons des scénarios pour le futur, mais d'une manière un peu bricolée, sans vraiment de méthode un peu rigoureuse. C'est l'idée d'avoir cette méthode rigoureuse, d'avoir un cadre un peu analytique. et ce cadre analytique en fait, il consiste si on prend un sujet, par exemple, tel que comment l'intelligence artificielle va pouvoir se développer dans les 30 à 40 prochaines années. C'est l'idée d'essayer de découper un peu le morceau. C'est une méthode un peu analytique qui intéresse du coup notamment les enseignements scientifiques parce qu'on retrouve cette rigueur, entre guillemets, en tout cas cet appétit pour découper les problèmes. Donc on pourrait très bien imaginer qu'elles sont les facteurs de type économique qui feraient que le déploiement de l'intelligence artificielle va aller dans telle ou telle direction. On peut aussi imaginer différents types d'acceptabilité sociale. On peut imaginer aussi peut-être des dimensions environnementales qui freinent ou au contraire qui permettent d'accélérer le déploiement de cette technologie. Bref, tout un tas d'identifications de facteurs qui vont faire évoluer cette technologie dans le temps. Et une fois qu'on a identifié ces différentes dimensions, il s'agit de construire des hypothèses pour chaque dimension. C'est-à-dire d'un point de vue économique, qu'est-ce qui pourrait arriver ? Et donc on fait comme ça une série d'hypothèses. Vous voyez que si on fait ça pour chacune des dimensions, on va se retrouver avec un tableau. Donc ce que je disais, c'est une méthode analytique. Et une fois qu'on a fait ça, c'est là où quelque part, la créativité va reprendre le pas sur l'analyse parce qu'il va s'agir de combiner différentes hypothèses les unes avec les autres, de manière à recréer différents scénarios qui sont cohérents. Et cette manière un peu rigoureuse, en fait, nous permet de pouvoir multiplier différents scénarios et de petit à petit les incarner. Une fois qu'on a construit ces scénarios, on peut... Peut-être, si on a assez de temps, essayer d'immerger les étudiants dedans, en leur faisant construire un récit, une scène de vie, une scène professionnelle, l'avenir d'un secteur d'activité particulier pour le déployer dans ces différents scénarios.

  • Régis Forgione

    Dans ces activités de réflexion, de projection des élèves sur le futur au sens large, on aurait très envie d'imaginer aussi qu'ils ont envie de travailler justement sur leur quotidien d'élève. Et on sait Marie que vous avez travaillé à ce sujet, notamment autour du foyer de l'établissement. Et on a très envie de savoir comment les élèves se sont projetés dans ce foyer du futur. Est-ce qu'ils ont créé une dystopie, une utopie ? Comment ça s'est présenté ?

  • Marie Cadou

    Oui, en fait, par rapport à ce que décrit Nicolas, de cette conception très analytique, après c'est vrai qu'on s'empare un peu des outils au regard de nos élèves, de leur âge, de ce qu'ils font. Et donc là, le projet dont vous parlez, c'est un projet qui a été mené cette année avec la classe de première STAV. Donc c'est les anciens élèves de seconde de l'année dernière, puisqu'en fait c'est une classe avec laquelle l'idée c'était de faire un projet sur justement la projection dans le futur chaque année. Donc l'année dernière on a travaillé sur l'élevage de porcs, et donc là cette année le travail était centré sur le foyer du lycée, Alors les foyers dans les lycées agricoles ils sont gérés par une association d'élèves qui s'appelle l'Alesa Et il se trouve que dans notre lycée l'Alesa a un peu du mal à trouver des élèves qui s'engagent vraiment de manière volontaire dans les missions de l'association Et par ailleurs il y a eu cette année quelques problèmes de dégradation sur le mobilier du foyer Donc en fait Partant de ce constat, on a travaillé avec les élèves sur qu'est-ce que c'est qu'un foyer, à quoi ça sert un foyer et qu'est-ce que c'est qu'un foyer qui fonctionne bien. C'est-à-dire un foyer dans lequel il n'y a pas de problème et dans lequel les usagers se sentent bien. Avec cette idée que derrière la question du foyer, forcément on allait gratter la question du modèle du vivre ensemble. À partir des éléments qui avaient émergé, ils ont dû réfléchir à leur foyer. idéal dans dix ans. Donc ils ont travaillé en petits groupes, il y avait trois groupes et chaque groupe devait imaginer son foyer idéal donc de manière ouverte, c'est à dire qu'il n'y avait pas de contraintes, c'est vraiment votre foyer idéal, quel serait-il ? Et une fois que cette idée était formée, de créer le récit des dix années entre aujourd'hui et dans dix ans donc qui permettrait à leur foyer d'advenir. C'est-à-dire qu'est-ce qu'il faudrait qu'il se passe entre aujourd'hui et dans dix ans pour que votre foyer idéal il existe ? Et en fait là l'idée c'était finalement de faire réfléchir finalement à ce dont parlait Nicolas, le côté analytique. Là il était rétroactif, c'est-à-dire c'est à travers ce que contenait le récit qu'on a après déconstruit qu'est-ce que contenait le récit, en fait ? Qu'est-ce que ça voulait dire, en fait, d'imaginer un récit comme ça ? Et donc, on a eu trois scénarios. On parle bien de foyer idéaux. Donc, on a eu un groupe qui a créé un projet autour d'un foyer autogéré avec autonomie des élèves, responsabilité collective, et un foyer où, finalement, il n'y avait pas de problème, puisque... Tous les élèves étant impliqués dans son mode de fonctionnement, il y avait un respect du lieu qui découlait naturellement de ce mode de fonctionnement. Et donc leur récit consistait à imaginer finalement une montée en compétences progressives des élèves sur 10 ans pour qu'entre un élève standard d'aujourd'hui et celui d'il y a 10 ans, on soit face à des jeunes qui soient aptes à être autonomes et à fonctionner. de manière responsabilisée autour de la gestion d'un lieu. Donc un projet très éducatif.

  • Hélène Audard

    Ça c'est le scénario qui fait plaisir à l'enseignant.

  • Marie Cadou

    Alors pour vous dire, les trois projets ont été présentés à la direction de l'établissement et ce projet-là va être présenté au conseil intérieur du lycée à la rentrée, au premier conseil. Et les deux autres projets, alors étonnamment les élèves n'ont pas travaillé ensemble mais ils sont partis sur des idées à peu près semblables d'un foyer où, grosso modo, les élèves auraient accès à tout ce qu'ils veulent, sans limite, sans avoir rien à faire, juste à demander. Donc, comment on arrive là et comment on fait pour éviter les problèmes ? Donc, il y a un cas de figure où les élèves ont imaginé... un scénario un peu catastrophe où il y aurait eu une guerre et puis en fait la France aurait réussi à s'enrichir par la guerre et donc avec cet argent la France aurait réinvesti dans l'éducation mais en mettant en concurrence ces établissements donc pour un établissement avoir un bon foyer c'est quand même attractif donc on va mettre de l'argent sur le foyer et donc on va donner l'argent aux élèves et alors ben mais pour qu'il n'y ait pas de problème parce que forcément si tout le monde fait ce qu'il veut on peut imaginer qu'il va y avoir des conflits et eh bien, en fait, on va mettre des vigiles et puis des caméras de vidéosurveillance. Et il y a un autre cas, mais qui était, en fait, c'était un peu là où l'idée, c'était de dire, bon, il y aurait eu des grandes manifestations de jeunes qui en avaient marre, blocage du pays, pays à l'arrêt. Donc, le gouvernement finit par dire aux jeunes, OK, qu'est-ce que vous voulez ? et à dire, bon, par contre... on va réaliser les projets qui nous semblent intéressants. Donc, mise en concurrence quand même des projets des jeunes. Et donc, les jeunes de Kerdina avaient un projet qui marche. Et donc, là, c'est pareil. C'était un projet où ils avaient de l'argent pour faire à peu près ce qu'ils voulaient. Et pareil, il y avait l'idée d'avoir de la vidéosurveillance et des vigiles, en fait, pour gérer les problèmes de dégradation éventuelle ou de débordement au règlement. Donc c'était assez intéressant après d'aller déconstruire ce qu'il y avait derrière leur récit. Et qu'est-ce que ça racontait quoi ?

  • Régis Forgione

    Comme quoi la dystopie des uns est l'utopie des autres. Ou inversement, selon la position dans laquelle on se trouve. Je vous propose qu'on se dirige vers le troisième temps de cette émission. On commence à l'entendre, mais la question c'est pourquoi c'est si dur d'imaginer demain ? Nicolas Hervé, est -ce que ces expériences modifient la vision du monde qu'on les élève ? Quand je dis ces expériences, c'est ceux avec qui on les nourrit également pour mener ces expériences ?

  • Nicolas Hervé

    Alors oui, ils vivent une expérience déjà. Et si on reprend l'exemple qu'a donné Marie tout à l'heure de la capsule temporelle, c'est vrai que c'est une expérience qui est très forte pour les élèves parce qu'il y a cette espèce de brouillage temporel. Ils s'adressent à leurs pairs, des enfants, des adolescents qui ont leur âge. mais qui ne sont pas encore nés. Et ce brouillage fait que, oui, on s'adresse à des personnes qui ont le même âge que nous, mais en même temps qui sont plus petits, fait qu'il y a vraiment un flou et une sorte de trouble, en fait, trouble temporel, qui est bien une expérience intéressante, justement, pour essayer de comprendre comment les temporalités sont tissées les unes avec les autres. Donc, il y a déjà le fait de vivre des expériences. Et puis, se projeter dans le futur, en tout cas, avoir mené le type de questionnement dont fait écho Marie, ça nécessite de cultiver à la fois leurs imaginaires et puis leur manière d'argumenter, leur manière de faire frotter les idées. Et donc, ce n'est pas quelque chose qui est automatique pour eux. Et cette culture, elle peut se dessiner de différentes façons, à la fois à travers les enseignements, la manière dont on les fait travailler, justement pour développer leur rapport à la créativité, mais aussi plus on va vers des projections vers le futur, et plus on a besoin de s'appuyer sur le passé. Donc c'est comment on arrive aussi à construire avec eux une culture du passé qui soit peut-être au-delà du rapport au passé qu'ils ont pour penser le futur. Je ne sais pas très clair ce que je dis, mais ça veut dire en fait que dès qu'on a une tendance à penser le futur, tout de suite, on va aller vers du high-tech, on va aller comme si en fait, notre rapport au futur, il se faisait par une sorte d'écrasement ou de refus de ce qui venait du passé. Or, en fait, c'est plutôt l'inverse. C'est comment faire appel au passé pour penser le futur. Et ça, c'est aussi l'occasion, notamment quand on est dans le domaine agricole, mais pas que. C'est aussi l'occasion de peut-être s'intéresser à des pratiques agricoles oubliées, ou en tout cas qui ont été marginalisées par le développement technologique. Donc comment on réinvestit aussi la connaissance de ces milieux de vie, de ces territoires, de ces pratiques, à travers le passé, à travers les entretiens qu'on peut faire mener aux jeunes sur les personnes qui sont âgées, de manière à ce que cette expérience du passé elle constitue aussi un ensemble de ressources utiles pour se projeter et pour dépasser peut-être les stéréotypes qu'on a facilement sur le futur.

  • Hélène Audard

    Mais il y a aussi, Marie, peut-être des stéréotypes dans le passé, c'est-à-dire que le mythe d'un âge d'or auquel on reviendrait, et notamment peut-être pour des élèves qui sont enfants d'agriculteurs et qui n'ont pas forcément envie de remettre en question un modèle. Le passé est aussi peut-être problématique parfois, quand il faut envisager le futur.

  • Marie Cadou

    Oui, tout à fait. En fait, comme disait Nicolas tout à l'heure, penser le futur, c'est surtout penser le présent. Et en fait, la manière dont on pense le passé, c'est aussi beaucoup penser le présent. En fait, tout est lié. Alors, le mythe d'un âge d'or, je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est qu'il y a une culture de l'impératif, c'est-à-dire qu'il y a une pensée très pragmatique. et de dire bon ce qui se faisait avant ça se faisait avant parce que ça pouvait se faire avant et en fait nous on fait ce qu'on fait maintenant parce que c'est ce qui doit se faire maintenant et donc moi je trouve que ce que disait Nicolas autour de l'expérience c'est fondamental c'est à dire que je pense qu'il faut être très modeste quand on mène ces projets là les représentations des élèves, bon comme tout à chacun mais en l'occurrence chez les élèves c'est très vrai elles sont très ancrées et c'est Ce n'est pas un projet de réflexion sur le futur qui fait fondamentalement bouger leur vision du futur et leurs idées. Mais par contre, l'expérience qu'ils vivent va faire bouger des lignes et va venir enrichir leur culture au sens large du terme. C'est-à-dire leur capacité à imaginer des choses, va venir enrichir leur regard tout simplement et peut-être les sortir de certaines conceptions un peu monolithiques et simplistes aussi des situations. Donc il y a un enrichissement qui est aussi une entrée dans la nuance, c'est-à-dire qu'on ne bouge pas forcément ce qu'on pense, mais on voit que les possibles et les situations sont plus complexes que ce qu'on pouvait imaginer. Et d'ailleurs, pour finir là-dessus, il y a aussi justement toute cette question de l'imagination qui est en soi à interroger, c'est-à-dire qu'en fait les élèves, ce n'est pas forcément facile pour eux... d'imaginer quelque chose. On se dit c'est chouette, on va imaginer quelque chose, mais on se rend compte que souvent leur tendance première dans l'imagination, ça va être d'imaginer quelque chose qui est le prolongement d'aujourd'hui, c'est-à-dire de quelque chose on est dans un monde effectivement qui est baigné d'une culture tournée vers la solution technologique et eux, ils vont vraiment aller vers ça. Leur projection est finalement très bornée. Et donc ces projets-là, c'est aussi une manière d'ouvrir un peu le prisme et de voir qu'on va aussi enrichir, au sens propre du terme, c'est-à-dire donner des éléments qui vont permettre sur la durée d'imaginer les choses de manière plus ouverte.

  • Régis Forgione

    Nicolas, vous voulez rebondir ?

  • Nicolas Hervé

    Oui, parce qu'en fait, les expériences, on en a mené avec différents élèves de différents niveaux. Dans l'enseignement agricole, on a la chance à la fois d'avoir de la quatrième jusqu'aux écoles d'ingénieurs, presque, d'agronomie. Et ce qui est assez frappant, c'est que finalement, ce rapport à l'imagination, en tout cas cette faiblesse, le fait que leur imagination soit quand même tournée vers des imaginaires qui soient dominants, qui soient les mêmes, ça on le retrouve en fait, quels que soient les élèves. C'est-à-dire, on peut avoir des élèves en bac... pro-service à la personne et des élèves ingénieurs, finalement, on va retrouver les mêmes types d'imaginaires qui sont activés. Donc, ça prouve bien aussi l'importance des verrouillages autour de la manière dont les jeunes et les moins jeunes, enfin notre société, en fait, produisent des imaginaires qui sont vraiment très fortement ancrés chez nous. Mais tous disent aussi, après l'expérience, que finalement, cet exercice-là, il est nouveau pour eux. C'est qu'un exercice explicite autour ... De la manière dont ils se voient ou ils voient le monde dans le futur, c'est quelque chose qu'ils ne font jamais. Et ça aussi, ça participe de l'idée de se dire qu'il y a quelque chose d'intéressant, malgré toute l'humilité qu'on peut avoir sur les conséquences vis-à-vis des élèves, comme le dit Marie, c'est quand même quelque chose d'assez intéressant à noter.

  • Marie Cadou

    Si je peux me permettre, pour finir ce que disait Nicolas, justement dans cette idée aussi de rentrer en discussion. C'est-à-dire qu'on est toujours dans cette idée qu'on travaille des questions socialement vives et qu'on est dans une éducation à la citoyenneté. Et qu'en fait, ces projets-là, ils mettent aussi les élèves dans des configurations où ils vont rentrer dans une forme d'échange, en fait, contextualisé à un projet de projection dans le futur. Et donc, tout à coup, comme ils sont pris par ça, ils ne se rendent pas forcément compte tout de suite qu'en fait, les échanges qu'ils ont sont des échanges politiques, en fait. C'est-à-dire, ils vont se mettre à parler de leur vision du monde, à des paramètres qu'il faudrait pour que ça arrive, des leviers qu'il faudrait activer. Et qu'en fait, si cette discussion, on voulait les avoir de manière stricte, avec un débat sur un sujet, elle ne se passerait pas du tout de la même manière. Parce qu'elle serait conscientisée comme étant un débat politique, et il y a plein de représentations, là encore à l'œuvre, qui feraient que leurs paroles ne seraient pas du tout délivrées de la même manière. Alors que là, les dispositifs pédagogiques les mettent dans des configurations où ces effets en change là vont avoir lieu, où ils vont écouter aussi des intervenants, ils vont être en relation avec des paroles. Et l'écoute et la prise de parole va se faire et se construire. Et pour moi, c'est ce qui est intéressant dans ces projets, c'est qu'à travers ces projets-là, on construit aussi leur capacité, justement, à rentrer dans du travail de délibération et du travail d'échange citoyen.

  • Nicolas Hervé

    On pourrait être étonné, effectivement, et se dire qu'à cet âge-là, ils seraient très révolutionnaires ou disruptifs, pour utiliser ce mot. Et vous nous dites que non, au contraire, ils sont tellement nourris de... de SF, de technosolutionnisme, d'univers hollywoodien, quelque part qui envahit un peu le monde et qui se dirige plus vers ce type de récits dominants. Et vous dites qu'effectivement, c'est dans leurs échanges et dans ce côté politique, les citoyens qui se nourrissent. Mais qu'est-ce que vous apportez d'autre ? Est-ce qu'il y a des apports culturels différents pour essayer de nourrir leurs imaginaires et un peu, j'ai envie de dire, ouvrir leur chakra de ce côté-là ?

  • Marie Cadou

    Moi, je suis prof d'éducation socio-culturelle, donc c'est mon travail, en fait. Je suis là. exactement, c'est ma mission d'enseignante c'est ça c'est de venir enrichir leur culture au sens très large du terme donc que ce soit par le biais artistique que ce soit par le biais de la formation l'esprit critique, que ce soit sur le travail sur les médias, en fait on est là pour ça donc bien sûr en fait l'idée c'est toujours d'offrir des références d'offrir des perspectives et d'apporter en fait de la matière L'idée selon laquelle on parle de la pratique du jeune, c'est bien et c'est très important, mais il faut aussi la nourrir d'autres choses. Et d'ailleurs, ils adorent ça. Ils adorent qu'on vienne leur raconter des choses, qu'on vienne leur montrer des choses. Et ils sont très preneurs de tout ça. Donc, bien évidemment, on apporte de la matière dans tous les sens du terme. Donc, ça peut être de la matière stricte, ça veut dire de la ressource documentaire pour qu'après, ils construisent leur projet. Mais ça peut être aussi de la matière artistique, de la matière sensible. C'est fondamental.

  • Hélène Audard

    Nicolas ?

  • Nicolas Hervé

    Peut-être quelque chose dont on n'a pas parlé, en tout cas un trait dont on n'a pas parlé sur le rapport des élèves au futur, c'est aussi peut-être une tendance au fatalisme, c'est-à-dire que vis-à-vis du futur, quelque part, il y aurait cette idée que les carottes sont cuites, on se dirige tranquillement mais sûrement vers une catastrophe écologique, politique, etc. et qu'on n'y peut rien. Et donc nourrir leurs imaginaires, c'est aussi leur montrer que cette vision du futur, elle est à décrypter, à nuancer, mais c'est cette idée de comment leur montrer que non, des alternatives existent. que le futur n'est pas écrit, que justement ce travail autour de différents futurs possibles conduit à imaginer des leviers d'action, d'autres possibilités. Et le terreau, au-delà des exercices pédagogiques qu'on leur fait faire, c'est bien ce rapport à la culture. Comme le disait Marie, les cultures, elles sont aussi leur montrées peut-être différents exemples dans le passé, donc les expériences du passé peuvent nous nourrir. D'autres cultures, l'interculturalité, que dans d'autres pays, dans d'autres cultures, on voit les choses différemment. Et puis d'autres imaginaires, notamment par les par les récits ou les fictions, qui peuvent amener les élèves à avoir d'autres regards sur les possibles d'évolution du monde.

  • Hélène Audard

    Oui, ça se confronter à d'autres visions du monde, ça a aussi pas mal de bienfaits. On voulait juste vous demander de nous dire, parce qu'en fait tous les deux, on ne l'a pas forcément dit, mais vous êtes reliés par quelque chose entre autres, qui est un Léa autour de l'éducation au futur. Est-ce que vous pouvez nous en dire quelques mots, Marie ?

  • Marie Cadou

    Oui, alors Léa, ça veut dire lieu d'éducation associée. C'est un dispositif qui associe des chercheurs et des enseignants. Et en l'occurrence à l'ENSFEA, il y a un Léa qui a été monté il y a deux ans maintenant, Nicolas, on va rentrer dans la troisième année, et donc qui est tourné sur l'éducation au futur. Donc en fait, les enseignants qui font partie de ce Léa mènent des projets dans leur classe autour de l'éducation au futur et travaillent en collaboration avec des chercheurs. qui viennent observer certaines séances, interrogent les élèves et en fait les travaux menés viennent enrichir les travaux de recherche de ces chercheurs. Donc l'année prochaine sera la troisième année de ce Léa et c'est dans le cadre de ce Léa que j'ai mené les projets dont j'ai parlé tout à l'heure. Avec l'idée que j'avais c'était aussi de voir au-delà des projets ponctuels menés sur une année, de voir si en menant ces projets-là avec une classe, Sur de la seconde à la terminale, on pouvait voir aussi une progression, le fait qu'il y ait une récurrence dans l'exercice, même si les dispositifs sont différents, mais d'activer ce levier de la projection dans le futur, si le fait de le faire de manière récurrente, on pouvait voir une progression.

  • Régis Forgione

    Nicolas ?

  • Nicolas Hervé

    Juste quelques précisions, c'est sept établissements, sept lycées agricoles qui sont impliqués dans le réseau. C'est dix enseignants, c'est quatre chercheurs et c'est six disciplines différentes qui vont aussi bien du côté de l'enseignement professionnel et technologique, des enseignants d'agronomie ou de zootechnie, que des disciplines qui sont plutôt tournées vers la créativité comme l'éducation socio-culturelle. Et on a un blog, peut-être que vos auditeurs sont intéressés aussi pour justement, prendre connaissance des différents travaux qui sont menés et différents comptes rendus d'expérimentation pédagogique. Donc, on vous enverra le lien pour que vous le mettiez sur l'émission.

  • Hélène Audard

    Donc, on rentre directement dans le temps d'inspiration, parce que ça me paraît, ce blog, une très bonne source d'inspiration. Et je vous demande, Marie, pour commencer, quelle serait la référence que vous avez envie de partager avec nos auditeurs et auditrices ?

  • Marie Cadou

    Alors, je vais faire un peu dans la facilité, mais c'est une belle référence. En fait, dont je parlais avec Nicolas il y a peu, ce sont les travaux d'Olivier Hamand, qui est biologiste et qui est directeur de l'Institut Michel Serres, et qui, en fait, développe le concept de robustesse, en opposition à celui de la performance et de l'efficacité, en se basant sur le modèle de la nature. Il explique ce qui fait que la nature a une très forte capacité d'adaptation et de tenue dans le temps. C'est le fait, non pas qu'elle soit performante, mais le fait qu'elle soit robuste. C'est-à-dire qu'elle déploie des mécanismes qui peuvent être considérés comme parfois du gâchis ou du gaspillage. Mais c'est avec tous ces mécanismes qui sont d'une très grande complexité qu'elle construit sa robustesse et sa capacité. à tenir longtemps. Et donc, c'est un concept qui est très intéressant et qui me semble inspirant aussi quand on réfléchit à ce qu'on veut faire en termes d'éducation.

  • Hélène Audard

    Merci Marie, Nicolas.

  • Nicolas Hervé

    Alors moi, ce n'est pas un ouvrage scientifique, c'est plutôt un ouvrage de fiction. C'est un livre de Camille Le Boulanger, qui est un auteur de science-fiction de la nouvelle vague, on va dire, française, un jeune auteur, qui a écrit un livre qui s'appelle « Utopia » , et qui décrit l'histoire d'une personne depuis sa petite enfance jusqu'à sa vieillesse, dans un monde qui serait entré en transition, et dans lequel la propriété n'existe pas. plus, dans lequel on a refondé à la fois nos pratiques de consommation agricole et nos modes de vie etc. Et qui justement m'a beaucoup plu parce que c'est une source d'inspiration aussi pour montrer que bah oui en fait un autre monde est possible et que finalement les connexions aussi avec nos modes de vie actuelles paraissent pas non plus si orthogonaux. Donc ça peut nous donner l'espoir aussi que, oui, il est possible de changer notre société.

  • Hélène Audard

    Merci Nicolas. Alors très exceptionnellement, et parce que je pense que ça fera plaisir à Régis, je vais lui demander, parce qu'il y a une figure un peu tutélaire au-dessus de cet épisode qui nous a donné envie de faire cet épisode sur le futur. Donc je te laisse Régis nous donner cette inspiration.

  • Nicolas Hervé

    Oui, en deux mots, quelqu'un qui peut nourrir tous ces débats, je pense que vous ne nous direz pas non, chers invités, c'est Alain Damasio. On a, voilà, figure tutélaire de cet épisode, elle l'a dit Hélène, on pense à sa zone du dehors, à ses furtifs, qui imaginent justement, au-delà du technosolutionnisme, qu'il n'aime pas du tout, comment il dénonce ces choses-là et comment il imagine des futurs, des futurs qui chantent, malgré des technologies qui déchantent, je vais dire comme ça. Donc on aurait adoré qu'il soit là avec vous, d'ailleurs, tiens, pour échanger autour de cet épisode, peut-être dans un épisode du futur, Hélène.

  • Marie Cadou

    D'autant qu'Alain Damasio a fondé une école, l'école des vivants.

  • Régis Forgione

    Exactement, qui réfléchit à ces questions notamment. On se dirige gentiment vers la conclusion de cet épisode. Alors, que dire ? J'ai envie de dire une chose. On a parlé de capsule temporelle, on a parlé de crayon de papier, on a parlé de clé USB. Quel sera l'objet du futur ? Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, que c'est le crayon de papier et que le passé sera notre futur. Mais en tout cas, on a réfléchi à tout ça. Là, on a très envie de se dire que... cet épisode sera toujours légitime en 2100 et que quand vous l'écouterez, il sera éclairant. Nous, en tout cas, on va le mettre dans la capsule temporelle d'Extra Classe et on l'ouvrira le plus tard possible, Hélène, pour voir s'il fait encore toujours son oeuvre. Un grand merci à tous les deux, Marie Cadou et Nicolas Révé pour cet épisode et pour vos éclairages.

  • Hélène Audard

    Merci beaucoup à tous les deux. C'était Éducation au futur, futur de l'éducation, préparée et animée par Hélène Audard et Régis Forgione.

Chapters

  • Penser le futur pour transformer le présent

    02:43

  • Les méthodes pour éduquer au futur

    11:43

  • Pourquoi c'est si dur d'imaginer demain ?

    28:38

  • Inspirations

    43:10

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Description

Se tourner vers l’avenir pour résoudre des problèmes d'aujourd'hui, c’est le principe de l’éducation au futur, une approche qui fait son entrée dans l’enseignement, après avoir conquis les grandes écoles ou encore le ministère de la Défense, et bien sûr la littérature de science fiction. Face à des questionnements et des défis majeurs pour les années à venir, élèves et enseignants se trouvent face à la nécessité d’apprendre ensemble à se confronter à l’incertitude et à la complexité. En quoi se projeter dans 50 ans permet d’appréhender différemment les questions socialement vives actuelles ? Comment mener ces activités de design fiction ou d’élaboration de scénarios alternatifs en classe, et avec quels effets ? Comment faire émerger de nouveaux imaginaires chez des jeunes nourris aux dystopies hollywoodiennes ?

Ce Parlons pratiques vous propose un exercice d’anticipation : et si penser le futur était le futur de l’éducation ? Et nos invités vous donnent des exemples très concrets de projets menés notamment dans l’enseignement agricole, qui a pris un temps d’avance sur ces pratiques.
Avec :
- Nicolas Hervé, agrégé de physique, professeur en didactique des transitions écologiques et des questions socialement vives à l’École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole.
- Marie Cadou, professeure d’éducation socioculturelle au lycée agricole de Kernilien-Guingamp.
(Ré)écoutez les épisodes Extra classe de la playlist Éduquer à la transition écologique et sociale.

Vous pouvez également consulter :

Inspirations des invitées et de Régis :

  • Olivier Hamant, Antidote au culte de la performance. La robustesse du vivant, collection Tracts, Gallimard, 2023.

  • Camille Leboulanger, Eutopia, Argyll, 2022.

  • Alain Damasio, Les Furtifs, Gallimard, 2021.

Et nous vous rappelons qu'il y a désormais Entre profs, le nouveau RDV Extra classe le premier mercredi de chaque mois, qui propose de répondre en moins de 3 minutes aux questionnements et problématiques rencontrés tout au long de l’année. Vous aussi, vous avez des questions ? Envoyez-les-nous !

Extra classe est sur toutes vos plateformes d'écoute :
https://smartlink.ausha.co/extra-classe

Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé
Émission préparée et animée par : Hélène Audard et Régis Forgione
Réalisée avec l'appui technique de : Marina Garnier
Directrice de publication : Marie-Caroline Missir
Coordination et production : Hélène Audard, Magali Devance
Réalisation et mixage : Simon Gattegno
Remerciements à l'Atelier Canopé de Guingamp
Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr
© Réseau Canopé, 2025


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Régis Forgione

    Bonjour à vous, chères neuroditrices et neuroditeurs d'extra-classe, nous sommes en juillet 2100. Merci de nous rejoindre pour l'épisode 952 de Parlons Pratique.

  • Hélène Audard

    Oui, depuis la grande transformation de 2085, vous nous suivez toujours plus nombreux, grâce au réseau de captation neuronale permanent, ou réseau canopé, qui vous permet de nous écouter de manière totalement dématérialisée et fluide, directement via votre oreille interne.

  • Régis Forgione

    Quel bonheur pour nous que l'audio soit devenu le média dominant, à présent que l'ensemble des contenus pédagogiques, est accessible uniquement en podcast.

  • Hélène Audard

    Plus sobre énergétiquement, plus efficace pour l'engagement et la mémorisation, le podcast, c'est le média éducatif idéal.

  • Régis Forgione

    Le ministère de l'Éducation auditive nous a accordé sa confiance pour la formation des enseignants du 22e siècle et nous sommes prêts à relever le défi, Hélène et moi, enfin, nos avatars numériques.

  • Hélène Audard

    Bon ben voilà, c'était notre petit exercice de design fiction pour Extra Classe dans 75 ans. Alors en fait, c'est l'épisode 52 seulement aujourd'hui et on revient en 2025, donc avec nos deux invités.

  • Régis Forgione

    Oui, nos deux invités pour parler d'éducation au futur, bien sûr, parce que imaginer l'avenir, c'est peut-être le meilleur moyen de le faire advenir, et c'est un exercice passionnant, on va le voir, et très formateur à mener avec des élèves.

  • Hélène Audard

    Éducation au futur, futur de l'éducation, c'est l'épisode d'Extra Classe d'aujourd'hui, pour penser demain.

  • Régis Forgione

    Nicolas Hervé, bonjour !

  • Nicolas Hervé

    Bonjour à vous !

  • Régis Forgione

    Alors, vous êtes agrégé de physique et professeur en didactique des transitions écologiques et des questions socialement vives à l'école nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole, c'est bien ça ?

  • Nicolas Hervé

    C'est exact.

  • Régis Forgione

    Alors une question express pour vous, si je vous dis l'école en 2100, quelle image vous vient là tout de suite en premier ?

  • Nicolas Hervé

    Une école verte, avec beaucoup de végétaux, des animaux, des petits, des grands, et puis des élèves qui arrivent à l'école le matin pour choisir avec les adultes ce qu'ils vont faire pour la journée. Parce qu'en 2100, apprendre à être libre, ça sera comme aujourd'hui un sacré enjeu pour les enfants et les adultes.

  • Régis Forgione

    Ça fait rêver !

  • Hélène Audard

    Marie Cadou, bonjour !

  • Marie Cadou

    Bonjour !

  • Hélène Audard

    Vous êtes professeure d'éducation socio-culturelle au lycée agricole de Guingamp et même exercice mais pas tout à fait dans le même sens. La question expresse pour vous, si vous pouviez déposer un objet dans une capsule temporelle pour des élèves de 2100, vous y mettriez quoi ?

  • Marie Cadou

    Eh bien, je vais être d'une grande banalité, mais en fait, c'est un objet qui, pour moi, recouvre de nombreux symboles. Je mettrais un crayon à papier pour repenser un peu son rapport au temps, à l'art de la rature et à la manière dont on échange.

  • Régis Forgione

    Quel beau programme pour cet épisode. Je vous propose qu'on entre tout de suite dans le temps 1 de cette émission. Pensez le futur pour transformer le présent. Alors dans cette première partie, on va essayer un petit peu de poser la problématique et d'expliciter ce qu'est l'éducation au futur. Nicolas Hervé, cette éducation au futur, on a l'impression en tout cas que c'est une tendance forte dans différents domaines. On en parle dans la formation dans les grandes écoles, on a cette fameuse Red Team du ministère de la Défense qui fait appel à des auteurs de SF, on a une chaire de l'UNESCO qui travaille à ce sujet, on parle de prospective, de littératie du futur, de design fiction. Qu'est-ce que c'est que cette éducation au futur ?

  • Nicolas Hervé

    Déjà j'ai envie de dire que si à l'heure actuelle beaucoup de gens s'intéressent justement à penser le futur dans l'éducation, c'est bien parce que notre monde est inquiétant, problématique, et plus il est inquiétant, plus il est problématique finalement et incertain, plus on a besoin de repères en fait pour penser le futur. Et la prospective nous offre des concepts et des méthodes en fait pour faire cela. L'éducation au futur, c'est tout d'abord apprendre à décrypter, peut-être analyser les visions du futur qui circulent dans la société. C'est aussi apprendre à en construire des images de futur qui sont possibles ou même qui tendent vers l'utopie. Et puis c'est peut-être le plus important, c'est surtout apprendre à en débattre, c'est-à-dire à les faire frotter les unes avec les autres.

  • Hélène Audard

    Et Marie, alors vous, on va le voir, vous travaillez cette éducation au futur avec vos élèves. Comment est-ce que vous avez été amenée à faire ça ?

  • Marie Cadou

    Alors en fait, ce qui m'a conduit à travailler sur les visions du futur des élèves, c'est un travail plus global que l'on mène justement avec Nicolas et tous les membres du réseau des enseignants référents sur la didactique des questions socialement vives. qui consiste justement à travailler avec les élèves des questions qui font débat dans la société, des questions qui sont porteuses de controverses, avec l'idée que justement c'est la controverse qui est à travailler dans une visée d'éducation à la citoyenneté. Et que donc en fait, cette idée d'aller réfléchir à ces questions... En se projetant dans le futur, c'est une autre manière d'envisager l'entrée dans la complexité et dans le débat.

  • Hélène Audard

    Et pourquoi, question peut-être naïve, mais pourquoi l'enseignement agricole spécifiquement s'intéresse plus particulièrement à cette éducation au futur ?

  • Nicolas Hervé

    Je pense que c'est parce qu'il y a deux éléments. Le premier, c'est ce que vient de dire Marie, c'est l'importance du travail qu'on fait autour des questions socialement vives. Il y a un historique dans l'enseignement agricole autour de l'enseignement de ces questions-là, parce qu'on le sait tous, l'agriculture est traversée de questionnements sur les modes de production, les modes de consommation des produits alimentaires, le rapport qu'on entretient avec l'alimentation. Ça, c'est extrêmement controversé dans l'espace social, donc l'enseignement agricole est en première ligne vis-à-vis de ces questions-là. Et dès qu'on déploie des argumentations autour de ce qui fait controverse, tout de suite, enfin assez vite en tout cas, ce sont des visions du futur qui se frottent, qui émergent. Donc, quelque part, naturellement, il y a une connexion entre le travail qu'on fait depuis des années sur l'enseignement des questions socialement vives et puis l'éducation au futur. Mais il y a aussi un deuxième élément, peut-être en lien avec le premier, c'est que la transition agroécologique est maintenant dans tous les programmes de formation de l'enseignement agricole. Et qui dit transition, dit se poser des questions justement sur nos modes de vie. Et c'est peut-être l'occasion aussi avec les élèves... d'essayer de creuser peut-être des alternatives à la manière dont nous vivons. Et donc, ça ouvre la porte à un travail autour de vision du futur.

  • Marie Cadou

    Pour abonder dans le sens de ce que dit Nicolas, on disait en introduction de l'émission qu'en fait, imaginer le futur, c'était peut-être la meilleure façon de le faire advenir, et que penser le futur, c'était une manière de réfléchir aux questions. Mais c'est vrai qu'on est dans un moment où finalement, le futur est un peu bouché en fait. Et par rapport au passé, où on pouvait justement imaginer des futurs. On a tous vu des vidéos de l'Ina où on interroge des petits-enfants sur comment ils voient l'an 2000. Et là, on est dans un moment où ce futur s'est quand même un peu bouché. Et il se trouve que le monde agricole est confronté de manière très très directe aux enjeux du futur proche, et aux débats qui sont liés à ces enjeux. Et donc forcément dans l'enseignement agricole, ces débats sont présents, soit sous le tapis, soit par-dessus, mais ils sont là. Donc c'est vrai que c'est un lieu où il y a quelque chose d'assez évident à aller travailler ces questions.

  • Régis Forgione

    Et c'est peut-être un peu à la croisée de ce qu'on appelle les compétences du XXIe siècle, la créativité, l'esprit critique, l'éducation à la complexité. Tout ça, ça fait partie de cette éducation au futur ? Ou c'est un outil peut-être même pour l'éducation au futur ?

  • Nicolas Hervé

    Je pense que l'éducation au futur, elle est connectée en fait à beaucoup d'autres "éducations à". Et elle a une dimension politique très forte aussi. C'est pour ça que dans ce qu'on entend, il y a plein de manières de nommer les compétences du 21e siècle : éducation politique, éducation à, apprendre à anticiper. Alors apprendre à anticiper, ça ne veut pas forcément apprendre... Généralement, c'est comme ça qu'on comprend le mot « anticiper » , avoir un coup d'avance sur les choses, prévoir peut-être ce qui va arriver. En fait, l'anticipation, ce n'est pas ça. L'anticipation, c'est apprendre à simuler différents futurs possibles, en tout cas imaginer des alternatives, d'autres possibilités. Et puis, en fonction de ces différents possibles qu'on a réussi à mettre en image, à faire discuter, réfléchir à nos moyens d'action à l'heure actuelle. Donc c'est une éducation qui est à la fois critique, puisque pour envisager des alternatives, il faut bien aussi passer par une déconstruction des discours dominants et un regard critique sur la manière dont notre monde fonctionne. C'est aussi une éducation sociale, parce qu'on n'est pas tout seul. En fait, imaginer des leviers politiques, c'est aussi imaginer comment on peut s'organiser avec d'autres. Et il y a une dimension éthique aussi, parce qu'imaginer les futurs ou débattre de futur, c'est aussi faire des choix qui engagent des questionnements éthiques, et comment on embarque le vivant autrui avec nous, c'est aussi une question d'éducation au futur.

  • Marie Cadou

    J'ai envie de dire que derrière ça, il y a toute une question du rapport au temps. Alors ça paraît évident puisqu'on parle de projection dans le futur, mais moi je parlais aussi du temps qui passe et de la manière dont il est compressé. Alors je reviens à mon idée de crayon, mais en fait, ce processus que décrit Nicolas, l'idée d'aller imaginer différents scénarios, et de réfléchir à qu'est-ce qu'il y a derrière, quels sont les leviers d'action, qu'est-ce qu'il faut déployer pour que ces scénarios se réalisent, ou qu'au contraire, ils ne se réalisent pas. C'est aussi réfléchir au temps qu'il faut pour que les choses adviennent. Et qu'actuellement, on est plutôt dans des époques où on est pris par le temps qui passe. et à ne plus réfléchir à ce temps qui passe, on est prisonnier du futur qui arrive avant même qu'il soit là, puisque de toute manière, on ne prend pas le temps de le construire. Et donc, c'est faire un pas de côté et se dire qu'il faut du temps. Et c'est aussi dans ce temps-là qu'on va développer sa pensée et qu'on va développer son esprit critique.

  • Nicolas Hervé

    J'ai envie de rebondir, moi aussi, sur ce que dit Marie. Parce qu'effectivement, quand on parle de projection dans le futur, la dimension temporelle future est évidente. Mais en fait, on ne peut pas se projeter dans le futur sans prendre un élan dans le passé. Et puis de toute façon, cette projection dans le futur, elle ne parle finalement que du présent. Donc c'est bien un rapport aux temporalités. Et il s'agit de reconstruire les temporalités. Cette attention aux temporalités, elle passe aussi par le fait que tout ne va pas à la même vitesse dans notre monde. Et on a un peu la tentation, et c'est peut-être une critique qu'on peut faire aussi aux outils de prospective. notamment quand ils sont faits par des méthodes expertes, c'est se dire qu'on va se projeter à 2030, 2040, 2050, en se disant que cet horizon temporel veut dire la même chose pour tout le monde. Or non, en fait. Le temps de la prise de décision politique, ce n'est pas le temps du changement climatique. Et quand on parle du changement climatique, le changement des espèces végétales, des espèces animales, ce n'est pas le même temps. Et on pourrait raffiner, puisque chaque... espèce animale ou chaque espèce végétale a sa propre temporalité d'existence. Donc comment on arrive à retricoter, à retisser une attention aux temporalités qui fait que tout ça marche ensemble dans notre réflexion. C'est aussi un enjeu d'éducation au futur.

  • Hélène Audard

    Vous avez parlé un peu de méthode experte. On va rentrer justement un peu plus dans le détail, parce que maintenant on a bien saisi un peu les enjeux. On va aller regarder les méthodes pour éduquer au futur. Il y a une expression que j'ai bien aimée, je crois que c'est Marie qui nous l'avait dite quand on a préparé l'émission, qui était le futur comme un espace de résolution des problèmes. Et donc, peut-être Nicolas, pour commencer, est-ce que vous pouvez nous dire un petit peu quelles sont ces méthodes qu'on peut utiliser pour se projeter et essayer de résoudre les problèmes d'aujourd'hui ? On a bien compris que c'était nos problèmes d'aujourd'hui qu'on essayait de résoudre avant tout.

  • Nicolas Hervé

    Dans la prospective, c'est une diversité de concepts et de méthodes. On peut mettre vraiment des S partout à concepts et méthodes parce que ces objets-là sont extrêmement pluriels. On peut les catégoriser peut-être en plusieurs parties. On a des méthodes qui sont dites expertes, c'est-à-dire on va s'appuyer sur des experts pour nous aider à penser le futur. Et puis de l'autre côté de ce curseur d'expertise, on a aussi des méthodes qui se fondent sur l'intelligence collective et justement le fait qu'en faisant participer beaucoup de monde avec les différences de chacun, c'est une manière aussi de nourrir nos manières d'examiner les problèmes et d'examiner le futur. Donc entre expertise et participative, on a déjà tout un tas de familles de méthodes. Et puis on a aussi une autre manière d'envisager les méthodes, c'est de se dire, il y a des méthodes qui sont... très fondée sur la data, sur les informations, sur la modélisation, notamment numérique. Donc des méthodes très instrumentées, on va dire ça comme ça, qui tendent plutôt vers les sciences expérimentales, sciences numériques. Et puis de l'autre côté, on a un appel à la créativité très forte, avec des manières de travailler le futur par les récits, notamment la science-fiction est un bon outil pour travailler ça. Donc quand on mélange expertise, participation, l'informatique, la donnée et puis la créativité, on se retrouve avec un tas de méthodes qu'il s'agit d'hybrider.

  • Hélène Audard

    Et alors concrètement, dans les établissements, quelles méthodes on peut utiliser ? Parce que là, les données ou l'expertise, on ne les a pas nécessairement. Donc on va aller du côté plutôt des récits.

  • Nicolas Hervé

    On peut peut-être parler, si vous voulez, du design fiction, parce que c'est une méthode qui, à l'heure actuelle, a le vent en poupe, qui est très utilisée, qui a une histoire très récente, puisqu'elle a une dizaine d'années à peu près. chez les designers, et elle a percolé très vite dans le monde de l'enseignement. C'est une manière de travailler le futur qui passe par la création d'un arrière-plan dans lequel on va dessiner différents futurs possibles. C'est l'étape de world building, on appelle ça, de construction du monde. Et puis, une fois qu'on a construit cet arrière-plan, c'est l'idée de réfléchir à une pratique sociale. À l'intérieur de ce monde-là, des pratiques agricoles, peut-être le lycée du futur justement, mais dans différents futurs possibles parce qu'on a dessiné cet arrière-plan dans lequel peut-être les lycées ou les pratiques peuvent être différentes. Et puis le dernier temps, c'est un temps de construction, de conception en fait, d'un objet, d'un artefact en fait, qui est un peu comme les archéologues du futur. Un archéologue du futur qui irait dans le futur et qui ramènerait un objet concret. Il s'agit de concevoir un objet matériel, mais quand je dis matériel, c'est vraiment un objet qu'on va pouvoir montrer, qu'on va pouvoir toucher, qu'on va pouvoir se montrer, sur lequel on va pouvoir discuter. Le design fiction, c'est vrai que c'est à l'heure actuelle un dispositif qui semble vraiment intéressant pour les professionnels de l'éducation, notamment en France, mais qui est plus largement utilisé dans le monde anglo-saxon, notamment dans l'enseignement de la technologie, parce qu'il permet d'aborder les problématiques autour de l'intelligence artificielle, autour peut-être des microcontrôleurs, autour des imprimantes 3D, sans avoir nécessairement les compétences techniques pour faire tourner ou programmer une impression 3D. Mais même avec les enfants, ça permet de travailler les problématiques sociales autour du développement technologique.

  • Régis Forgione

    Marie, de votre côté, dans la pratique auprès des élèves, on en a parlé d'ailleurs un peu humoristiquement dans l'introduction de cet épisode, mais vous avez mis en œuvre, je vais dire là, La technique, je ne sais pas comment dire, le dispositif de la capsule temporelle autour d'un élevage, il me semble, avec vos élèves. Est-ce que vous pourriez nous expliquer tout ça ?

  • Speaker #4

    Oui, alors c'est un projet qu'on a mené l'an dernier avec une classe de seconde GT, donc seconde générale et technologique, qui dans l'enseignement agricole a une option qui s'appelle environnement, agronomie, territoire et développement durable. Et donc dans le cadre de cette option, en fait, on a travaillé sur l'élevage de porcs du lycée. de notre lycée à Carnilien. Et l'idée c'était en fait de faire réfléchir les élèves sur la question du bien-être animal, sachant que ce sont des élèves de seconde et que ce sont des élèves qui n'ont pas encore de culture professionnelle sur le sujet et qui donc ont plutôt des représentations du sujet qu'on pourrait dire grand public entre guillemets. Donc l'idée c'était de se familiariser avec ce sujet là en les faisant travailler la projection dans le futur. C'est à dire pour eux c'est quoi le bien-être animal ? Regarde ce qu'est pour eux le bien-être animal. Est-ce qu'on peut dire que le bien-être animal il est présent dans un élevage de porcs et en l'occurrence celui du lycée tel que les élevages de porcs fonctionnent à l'heure actuelle ? Oui, non. Et toujours avec ce qu'est pour eux le bien-être animal, qu'est-ce qu'il faudrait pour que... finalement cet élevage soit un peu un élevage modèle en termes de bien-être animal dans 50 ans. Donc il essaie de se projeter à 50 ans pour qu'il y ait un laps de temps assez long et qu'ils puissent imaginer qu'on parlait à leurs petits-enfants. J'ai 15, 16 ans et je parle à un jeune qui potentiellement serait mon petit-fils ou ma petite-fille. Et donc la capsule temporelle... En fait c'est la constitution d'un message destiné à ce public du futur, donc là en l'occurrence les futures secondes du lycée agricole de Kernilien, donc ceux qui seront là à leur place dans 50 ans, et de leur transmettre un message autour de ce qu'est pour eux le bien-être animal et de ce qu'ils aimeraient que l'élevage de porcs soit devenu et donc de confronter, d'offrir ce message. à ces jeunes-là, puis de voir si ces jeunes-là, ce qu'ils entendront correspondront à ce qu'ils vivent aussi. Donc la capsule, c'était ces messages, donc là c'était des petites vidéos qui ont été enregistrées et qui ont ensuite été mises sur une clé USB. Cette clé USB a été enfermée dans un boîtier symbolique et il a été transmis à la direction de l'établissement avec un contrat d'engagement par lequel la direction s'engageait. à conserver ces capsules dans le coffre-fort de l'établissement et à faire en sorte que les directions successives d'ici 50 ans permettent que la capsule soit réouverte dans 50 ans. C'est-à-dire bien sûr que déjà elle reste dans le coffre-fort ou qu'elle soit déplacée s'il y avait besoin et que si la technologie faisait que la clé USB devenait un support cadu, que les vidéos soient transposées sur les nouveaux supports pour qu'elles soient délivrables en temps et en heure. Et donc il y a eu une petite cérémonie officielle de remise et d'engagement. Donc c'était un moment qui était assez émouvant en fait, et pour les élèves et aussi pour la direction de l'établissement.

  • Hélène Audard

    C'est très chouette comme projet. Alors autre type de méthodologie peut-être Nicolas, c'est de travailler sur des scénarios. Il y a même des ministères de l'éducation, je crois que c'est au Danemark, qui ont imaginé des scénarios comme ça pour l'éducation du futur. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur cette méthode-là ?

  • Nicolas Hervé

    C'est la méthode un peu historique, en tout cas de la prospective telle qu'elle se fait en France. C'est l'idée d'avoir une méthode pour construire différents scénarios possibles. Tout un chacun, nous construisons des scénarios pour le futur, mais d'une manière un peu bricolée, sans vraiment de méthode un peu rigoureuse. C'est l'idée d'avoir cette méthode rigoureuse, d'avoir un cadre un peu analytique. et ce cadre analytique en fait, il consiste si on prend un sujet, par exemple, tel que comment l'intelligence artificielle va pouvoir se développer dans les 30 à 40 prochaines années. C'est l'idée d'essayer de découper un peu le morceau. C'est une méthode un peu analytique qui intéresse du coup notamment les enseignements scientifiques parce qu'on retrouve cette rigueur, entre guillemets, en tout cas cet appétit pour découper les problèmes. Donc on pourrait très bien imaginer qu'elles sont les facteurs de type économique qui feraient que le déploiement de l'intelligence artificielle va aller dans telle ou telle direction. On peut aussi imaginer différents types d'acceptabilité sociale. On peut imaginer aussi peut-être des dimensions environnementales qui freinent ou au contraire qui permettent d'accélérer le déploiement de cette technologie. Bref, tout un tas d'identifications de facteurs qui vont faire évoluer cette technologie dans le temps. Et une fois qu'on a identifié ces différentes dimensions, il s'agit de construire des hypothèses pour chaque dimension. C'est-à-dire d'un point de vue économique, qu'est-ce qui pourrait arriver ? Et donc on fait comme ça une série d'hypothèses. Vous voyez que si on fait ça pour chacune des dimensions, on va se retrouver avec un tableau. Donc ce que je disais, c'est une méthode analytique. Et une fois qu'on a fait ça, c'est là où quelque part, la créativité va reprendre le pas sur l'analyse parce qu'il va s'agir de combiner différentes hypothèses les unes avec les autres, de manière à recréer différents scénarios qui sont cohérents. Et cette manière un peu rigoureuse, en fait, nous permet de pouvoir multiplier différents scénarios et de petit à petit les incarner. Une fois qu'on a construit ces scénarios, on peut... Peut-être, si on a assez de temps, essayer d'immerger les étudiants dedans, en leur faisant construire un récit, une scène de vie, une scène professionnelle, l'avenir d'un secteur d'activité particulier pour le déployer dans ces différents scénarios.

  • Régis Forgione

    Dans ces activités de réflexion, de projection des élèves sur le futur au sens large, on aurait très envie d'imaginer aussi qu'ils ont envie de travailler justement sur leur quotidien d'élève. Et on sait Marie que vous avez travaillé à ce sujet, notamment autour du foyer de l'établissement. Et on a très envie de savoir comment les élèves se sont projetés dans ce foyer du futur. Est-ce qu'ils ont créé une dystopie, une utopie ? Comment ça s'est présenté ?

  • Marie Cadou

    Oui, en fait, par rapport à ce que décrit Nicolas, de cette conception très analytique, après c'est vrai qu'on s'empare un peu des outils au regard de nos élèves, de leur âge, de ce qu'ils font. Et donc là, le projet dont vous parlez, c'est un projet qui a été mené cette année avec la classe de première STAV. Donc c'est les anciens élèves de seconde de l'année dernière, puisqu'en fait c'est une classe avec laquelle l'idée c'était de faire un projet sur justement la projection dans le futur chaque année. Donc l'année dernière on a travaillé sur l'élevage de porcs, et donc là cette année le travail était centré sur le foyer du lycée, Alors les foyers dans les lycées agricoles ils sont gérés par une association d'élèves qui s'appelle l'Alesa Et il se trouve que dans notre lycée l'Alesa a un peu du mal à trouver des élèves qui s'engagent vraiment de manière volontaire dans les missions de l'association Et par ailleurs il y a eu cette année quelques problèmes de dégradation sur le mobilier du foyer Donc en fait Partant de ce constat, on a travaillé avec les élèves sur qu'est-ce que c'est qu'un foyer, à quoi ça sert un foyer et qu'est-ce que c'est qu'un foyer qui fonctionne bien. C'est-à-dire un foyer dans lequel il n'y a pas de problème et dans lequel les usagers se sentent bien. Avec cette idée que derrière la question du foyer, forcément on allait gratter la question du modèle du vivre ensemble. À partir des éléments qui avaient émergé, ils ont dû réfléchir à leur foyer. idéal dans dix ans. Donc ils ont travaillé en petits groupes, il y avait trois groupes et chaque groupe devait imaginer son foyer idéal donc de manière ouverte, c'est à dire qu'il n'y avait pas de contraintes, c'est vraiment votre foyer idéal, quel serait-il ? Et une fois que cette idée était formée, de créer le récit des dix années entre aujourd'hui et dans dix ans donc qui permettrait à leur foyer d'advenir. C'est-à-dire qu'est-ce qu'il faudrait qu'il se passe entre aujourd'hui et dans dix ans pour que votre foyer idéal il existe ? Et en fait là l'idée c'était finalement de faire réfléchir finalement à ce dont parlait Nicolas, le côté analytique. Là il était rétroactif, c'est-à-dire c'est à travers ce que contenait le récit qu'on a après déconstruit qu'est-ce que contenait le récit, en fait ? Qu'est-ce que ça voulait dire, en fait, d'imaginer un récit comme ça ? Et donc, on a eu trois scénarios. On parle bien de foyer idéaux. Donc, on a eu un groupe qui a créé un projet autour d'un foyer autogéré avec autonomie des élèves, responsabilité collective, et un foyer où, finalement, il n'y avait pas de problème, puisque... Tous les élèves étant impliqués dans son mode de fonctionnement, il y avait un respect du lieu qui découlait naturellement de ce mode de fonctionnement. Et donc leur récit consistait à imaginer finalement une montée en compétences progressives des élèves sur 10 ans pour qu'entre un élève standard d'aujourd'hui et celui d'il y a 10 ans, on soit face à des jeunes qui soient aptes à être autonomes et à fonctionner. de manière responsabilisée autour de la gestion d'un lieu. Donc un projet très éducatif.

  • Hélène Audard

    Ça c'est le scénario qui fait plaisir à l'enseignant.

  • Marie Cadou

    Alors pour vous dire, les trois projets ont été présentés à la direction de l'établissement et ce projet-là va être présenté au conseil intérieur du lycée à la rentrée, au premier conseil. Et les deux autres projets, alors étonnamment les élèves n'ont pas travaillé ensemble mais ils sont partis sur des idées à peu près semblables d'un foyer où, grosso modo, les élèves auraient accès à tout ce qu'ils veulent, sans limite, sans avoir rien à faire, juste à demander. Donc, comment on arrive là et comment on fait pour éviter les problèmes ? Donc, il y a un cas de figure où les élèves ont imaginé... un scénario un peu catastrophe où il y aurait eu une guerre et puis en fait la France aurait réussi à s'enrichir par la guerre et donc avec cet argent la France aurait réinvesti dans l'éducation mais en mettant en concurrence ces établissements donc pour un établissement avoir un bon foyer c'est quand même attractif donc on va mettre de l'argent sur le foyer et donc on va donner l'argent aux élèves et alors ben mais pour qu'il n'y ait pas de problème parce que forcément si tout le monde fait ce qu'il veut on peut imaginer qu'il va y avoir des conflits et eh bien, en fait, on va mettre des vigiles et puis des caméras de vidéosurveillance. Et il y a un autre cas, mais qui était, en fait, c'était un peu là où l'idée, c'était de dire, bon, il y aurait eu des grandes manifestations de jeunes qui en avaient marre, blocage du pays, pays à l'arrêt. Donc, le gouvernement finit par dire aux jeunes, OK, qu'est-ce que vous voulez ? et à dire, bon, par contre... on va réaliser les projets qui nous semblent intéressants. Donc, mise en concurrence quand même des projets des jeunes. Et donc, les jeunes de Kerdina avaient un projet qui marche. Et donc, là, c'est pareil. C'était un projet où ils avaient de l'argent pour faire à peu près ce qu'ils voulaient. Et pareil, il y avait l'idée d'avoir de la vidéosurveillance et des vigiles, en fait, pour gérer les problèmes de dégradation éventuelle ou de débordement au règlement. Donc c'était assez intéressant après d'aller déconstruire ce qu'il y avait derrière leur récit. Et qu'est-ce que ça racontait quoi ?

  • Régis Forgione

    Comme quoi la dystopie des uns est l'utopie des autres. Ou inversement, selon la position dans laquelle on se trouve. Je vous propose qu'on se dirige vers le troisième temps de cette émission. On commence à l'entendre, mais la question c'est pourquoi c'est si dur d'imaginer demain ? Nicolas Hervé, est -ce que ces expériences modifient la vision du monde qu'on les élève ? Quand je dis ces expériences, c'est ceux avec qui on les nourrit également pour mener ces expériences ?

  • Nicolas Hervé

    Alors oui, ils vivent une expérience déjà. Et si on reprend l'exemple qu'a donné Marie tout à l'heure de la capsule temporelle, c'est vrai que c'est une expérience qui est très forte pour les élèves parce qu'il y a cette espèce de brouillage temporel. Ils s'adressent à leurs pairs, des enfants, des adolescents qui ont leur âge. mais qui ne sont pas encore nés. Et ce brouillage fait que, oui, on s'adresse à des personnes qui ont le même âge que nous, mais en même temps qui sont plus petits, fait qu'il y a vraiment un flou et une sorte de trouble, en fait, trouble temporel, qui est bien une expérience intéressante, justement, pour essayer de comprendre comment les temporalités sont tissées les unes avec les autres. Donc, il y a déjà le fait de vivre des expériences. Et puis, se projeter dans le futur, en tout cas, avoir mené le type de questionnement dont fait écho Marie, ça nécessite de cultiver à la fois leurs imaginaires et puis leur manière d'argumenter, leur manière de faire frotter les idées. Et donc, ce n'est pas quelque chose qui est automatique pour eux. Et cette culture, elle peut se dessiner de différentes façons, à la fois à travers les enseignements, la manière dont on les fait travailler, justement pour développer leur rapport à la créativité, mais aussi plus on va vers des projections vers le futur, et plus on a besoin de s'appuyer sur le passé. Donc c'est comment on arrive aussi à construire avec eux une culture du passé qui soit peut-être au-delà du rapport au passé qu'ils ont pour penser le futur. Je ne sais pas très clair ce que je dis, mais ça veut dire en fait que dès qu'on a une tendance à penser le futur, tout de suite, on va aller vers du high-tech, on va aller comme si en fait, notre rapport au futur, il se faisait par une sorte d'écrasement ou de refus de ce qui venait du passé. Or, en fait, c'est plutôt l'inverse. C'est comment faire appel au passé pour penser le futur. Et ça, c'est aussi l'occasion, notamment quand on est dans le domaine agricole, mais pas que. C'est aussi l'occasion de peut-être s'intéresser à des pratiques agricoles oubliées, ou en tout cas qui ont été marginalisées par le développement technologique. Donc comment on réinvestit aussi la connaissance de ces milieux de vie, de ces territoires, de ces pratiques, à travers le passé, à travers les entretiens qu'on peut faire mener aux jeunes sur les personnes qui sont âgées, de manière à ce que cette expérience du passé elle constitue aussi un ensemble de ressources utiles pour se projeter et pour dépasser peut-être les stéréotypes qu'on a facilement sur le futur.

  • Hélène Audard

    Mais il y a aussi, Marie, peut-être des stéréotypes dans le passé, c'est-à-dire que le mythe d'un âge d'or auquel on reviendrait, et notamment peut-être pour des élèves qui sont enfants d'agriculteurs et qui n'ont pas forcément envie de remettre en question un modèle. Le passé est aussi peut-être problématique parfois, quand il faut envisager le futur.

  • Marie Cadou

    Oui, tout à fait. En fait, comme disait Nicolas tout à l'heure, penser le futur, c'est surtout penser le présent. Et en fait, la manière dont on pense le passé, c'est aussi beaucoup penser le présent. En fait, tout est lié. Alors, le mythe d'un âge d'or, je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est qu'il y a une culture de l'impératif, c'est-à-dire qu'il y a une pensée très pragmatique. et de dire bon ce qui se faisait avant ça se faisait avant parce que ça pouvait se faire avant et en fait nous on fait ce qu'on fait maintenant parce que c'est ce qui doit se faire maintenant et donc moi je trouve que ce que disait Nicolas autour de l'expérience c'est fondamental c'est à dire que je pense qu'il faut être très modeste quand on mène ces projets là les représentations des élèves, bon comme tout à chacun mais en l'occurrence chez les élèves c'est très vrai elles sont très ancrées et c'est Ce n'est pas un projet de réflexion sur le futur qui fait fondamentalement bouger leur vision du futur et leurs idées. Mais par contre, l'expérience qu'ils vivent va faire bouger des lignes et va venir enrichir leur culture au sens large du terme. C'est-à-dire leur capacité à imaginer des choses, va venir enrichir leur regard tout simplement et peut-être les sortir de certaines conceptions un peu monolithiques et simplistes aussi des situations. Donc il y a un enrichissement qui est aussi une entrée dans la nuance, c'est-à-dire qu'on ne bouge pas forcément ce qu'on pense, mais on voit que les possibles et les situations sont plus complexes que ce qu'on pouvait imaginer. Et d'ailleurs, pour finir là-dessus, il y a aussi justement toute cette question de l'imagination qui est en soi à interroger, c'est-à-dire qu'en fait les élèves, ce n'est pas forcément facile pour eux... d'imaginer quelque chose. On se dit c'est chouette, on va imaginer quelque chose, mais on se rend compte que souvent leur tendance première dans l'imagination, ça va être d'imaginer quelque chose qui est le prolongement d'aujourd'hui, c'est-à-dire de quelque chose on est dans un monde effectivement qui est baigné d'une culture tournée vers la solution technologique et eux, ils vont vraiment aller vers ça. Leur projection est finalement très bornée. Et donc ces projets-là, c'est aussi une manière d'ouvrir un peu le prisme et de voir qu'on va aussi enrichir, au sens propre du terme, c'est-à-dire donner des éléments qui vont permettre sur la durée d'imaginer les choses de manière plus ouverte.

  • Régis Forgione

    Nicolas, vous voulez rebondir ?

  • Nicolas Hervé

    Oui, parce qu'en fait, les expériences, on en a mené avec différents élèves de différents niveaux. Dans l'enseignement agricole, on a la chance à la fois d'avoir de la quatrième jusqu'aux écoles d'ingénieurs, presque, d'agronomie. Et ce qui est assez frappant, c'est que finalement, ce rapport à l'imagination, en tout cas cette faiblesse, le fait que leur imagination soit quand même tournée vers des imaginaires qui soient dominants, qui soient les mêmes, ça on le retrouve en fait, quels que soient les élèves. C'est-à-dire, on peut avoir des élèves en bac... pro-service à la personne et des élèves ingénieurs, finalement, on va retrouver les mêmes types d'imaginaires qui sont activés. Donc, ça prouve bien aussi l'importance des verrouillages autour de la manière dont les jeunes et les moins jeunes, enfin notre société, en fait, produisent des imaginaires qui sont vraiment très fortement ancrés chez nous. Mais tous disent aussi, après l'expérience, que finalement, cet exercice-là, il est nouveau pour eux. C'est qu'un exercice explicite autour ... De la manière dont ils se voient ou ils voient le monde dans le futur, c'est quelque chose qu'ils ne font jamais. Et ça aussi, ça participe de l'idée de se dire qu'il y a quelque chose d'intéressant, malgré toute l'humilité qu'on peut avoir sur les conséquences vis-à-vis des élèves, comme le dit Marie, c'est quand même quelque chose d'assez intéressant à noter.

  • Marie Cadou

    Si je peux me permettre, pour finir ce que disait Nicolas, justement dans cette idée aussi de rentrer en discussion. C'est-à-dire qu'on est toujours dans cette idée qu'on travaille des questions socialement vives et qu'on est dans une éducation à la citoyenneté. Et qu'en fait, ces projets-là, ils mettent aussi les élèves dans des configurations où ils vont rentrer dans une forme d'échange, en fait, contextualisé à un projet de projection dans le futur. Et donc, tout à coup, comme ils sont pris par ça, ils ne se rendent pas forcément compte tout de suite qu'en fait, les échanges qu'ils ont sont des échanges politiques, en fait. C'est-à-dire, ils vont se mettre à parler de leur vision du monde, à des paramètres qu'il faudrait pour que ça arrive, des leviers qu'il faudrait activer. Et qu'en fait, si cette discussion, on voulait les avoir de manière stricte, avec un débat sur un sujet, elle ne se passerait pas du tout de la même manière. Parce qu'elle serait conscientisée comme étant un débat politique, et il y a plein de représentations, là encore à l'œuvre, qui feraient que leurs paroles ne seraient pas du tout délivrées de la même manière. Alors que là, les dispositifs pédagogiques les mettent dans des configurations où ces effets en change là vont avoir lieu, où ils vont écouter aussi des intervenants, ils vont être en relation avec des paroles. Et l'écoute et la prise de parole va se faire et se construire. Et pour moi, c'est ce qui est intéressant dans ces projets, c'est qu'à travers ces projets-là, on construit aussi leur capacité, justement, à rentrer dans du travail de délibération et du travail d'échange citoyen.

  • Nicolas Hervé

    On pourrait être étonné, effectivement, et se dire qu'à cet âge-là, ils seraient très révolutionnaires ou disruptifs, pour utiliser ce mot. Et vous nous dites que non, au contraire, ils sont tellement nourris de... de SF, de technosolutionnisme, d'univers hollywoodien, quelque part qui envahit un peu le monde et qui se dirige plus vers ce type de récits dominants. Et vous dites qu'effectivement, c'est dans leurs échanges et dans ce côté politique, les citoyens qui se nourrissent. Mais qu'est-ce que vous apportez d'autre ? Est-ce qu'il y a des apports culturels différents pour essayer de nourrir leurs imaginaires et un peu, j'ai envie de dire, ouvrir leur chakra de ce côté-là ?

  • Marie Cadou

    Moi, je suis prof d'éducation socio-culturelle, donc c'est mon travail, en fait. Je suis là. exactement, c'est ma mission d'enseignante c'est ça c'est de venir enrichir leur culture au sens très large du terme donc que ce soit par le biais artistique que ce soit par le biais de la formation l'esprit critique, que ce soit sur le travail sur les médias, en fait on est là pour ça donc bien sûr en fait l'idée c'est toujours d'offrir des références d'offrir des perspectives et d'apporter en fait de la matière L'idée selon laquelle on parle de la pratique du jeune, c'est bien et c'est très important, mais il faut aussi la nourrir d'autres choses. Et d'ailleurs, ils adorent ça. Ils adorent qu'on vienne leur raconter des choses, qu'on vienne leur montrer des choses. Et ils sont très preneurs de tout ça. Donc, bien évidemment, on apporte de la matière dans tous les sens du terme. Donc, ça peut être de la matière stricte, ça veut dire de la ressource documentaire pour qu'après, ils construisent leur projet. Mais ça peut être aussi de la matière artistique, de la matière sensible. C'est fondamental.

  • Hélène Audard

    Nicolas ?

  • Nicolas Hervé

    Peut-être quelque chose dont on n'a pas parlé, en tout cas un trait dont on n'a pas parlé sur le rapport des élèves au futur, c'est aussi peut-être une tendance au fatalisme, c'est-à-dire que vis-à-vis du futur, quelque part, il y aurait cette idée que les carottes sont cuites, on se dirige tranquillement mais sûrement vers une catastrophe écologique, politique, etc. et qu'on n'y peut rien. Et donc nourrir leurs imaginaires, c'est aussi leur montrer que cette vision du futur, elle est à décrypter, à nuancer, mais c'est cette idée de comment leur montrer que non, des alternatives existent. que le futur n'est pas écrit, que justement ce travail autour de différents futurs possibles conduit à imaginer des leviers d'action, d'autres possibilités. Et le terreau, au-delà des exercices pédagogiques qu'on leur fait faire, c'est bien ce rapport à la culture. Comme le disait Marie, les cultures, elles sont aussi leur montrées peut-être différents exemples dans le passé, donc les expériences du passé peuvent nous nourrir. D'autres cultures, l'interculturalité, que dans d'autres pays, dans d'autres cultures, on voit les choses différemment. Et puis d'autres imaginaires, notamment par les par les récits ou les fictions, qui peuvent amener les élèves à avoir d'autres regards sur les possibles d'évolution du monde.

  • Hélène Audard

    Oui, ça se confronter à d'autres visions du monde, ça a aussi pas mal de bienfaits. On voulait juste vous demander de nous dire, parce qu'en fait tous les deux, on ne l'a pas forcément dit, mais vous êtes reliés par quelque chose entre autres, qui est un Léa autour de l'éducation au futur. Est-ce que vous pouvez nous en dire quelques mots, Marie ?

  • Marie Cadou

    Oui, alors Léa, ça veut dire lieu d'éducation associée. C'est un dispositif qui associe des chercheurs et des enseignants. Et en l'occurrence à l'ENSFEA, il y a un Léa qui a été monté il y a deux ans maintenant, Nicolas, on va rentrer dans la troisième année, et donc qui est tourné sur l'éducation au futur. Donc en fait, les enseignants qui font partie de ce Léa mènent des projets dans leur classe autour de l'éducation au futur et travaillent en collaboration avec des chercheurs. qui viennent observer certaines séances, interrogent les élèves et en fait les travaux menés viennent enrichir les travaux de recherche de ces chercheurs. Donc l'année prochaine sera la troisième année de ce Léa et c'est dans le cadre de ce Léa que j'ai mené les projets dont j'ai parlé tout à l'heure. Avec l'idée que j'avais c'était aussi de voir au-delà des projets ponctuels menés sur une année, de voir si en menant ces projets-là avec une classe, Sur de la seconde à la terminale, on pouvait voir aussi une progression, le fait qu'il y ait une récurrence dans l'exercice, même si les dispositifs sont différents, mais d'activer ce levier de la projection dans le futur, si le fait de le faire de manière récurrente, on pouvait voir une progression.

  • Régis Forgione

    Nicolas ?

  • Nicolas Hervé

    Juste quelques précisions, c'est sept établissements, sept lycées agricoles qui sont impliqués dans le réseau. C'est dix enseignants, c'est quatre chercheurs et c'est six disciplines différentes qui vont aussi bien du côté de l'enseignement professionnel et technologique, des enseignants d'agronomie ou de zootechnie, que des disciplines qui sont plutôt tournées vers la créativité comme l'éducation socio-culturelle. Et on a un blog, peut-être que vos auditeurs sont intéressés aussi pour justement, prendre connaissance des différents travaux qui sont menés et différents comptes rendus d'expérimentation pédagogique. Donc, on vous enverra le lien pour que vous le mettiez sur l'émission.

  • Hélène Audard

    Donc, on rentre directement dans le temps d'inspiration, parce que ça me paraît, ce blog, une très bonne source d'inspiration. Et je vous demande, Marie, pour commencer, quelle serait la référence que vous avez envie de partager avec nos auditeurs et auditrices ?

  • Marie Cadou

    Alors, je vais faire un peu dans la facilité, mais c'est une belle référence. En fait, dont je parlais avec Nicolas il y a peu, ce sont les travaux d'Olivier Hamand, qui est biologiste et qui est directeur de l'Institut Michel Serres, et qui, en fait, développe le concept de robustesse, en opposition à celui de la performance et de l'efficacité, en se basant sur le modèle de la nature. Il explique ce qui fait que la nature a une très forte capacité d'adaptation et de tenue dans le temps. C'est le fait, non pas qu'elle soit performante, mais le fait qu'elle soit robuste. C'est-à-dire qu'elle déploie des mécanismes qui peuvent être considérés comme parfois du gâchis ou du gaspillage. Mais c'est avec tous ces mécanismes qui sont d'une très grande complexité qu'elle construit sa robustesse et sa capacité. à tenir longtemps. Et donc, c'est un concept qui est très intéressant et qui me semble inspirant aussi quand on réfléchit à ce qu'on veut faire en termes d'éducation.

  • Hélène Audard

    Merci Marie, Nicolas.

  • Nicolas Hervé

    Alors moi, ce n'est pas un ouvrage scientifique, c'est plutôt un ouvrage de fiction. C'est un livre de Camille Le Boulanger, qui est un auteur de science-fiction de la nouvelle vague, on va dire, française, un jeune auteur, qui a écrit un livre qui s'appelle « Utopia » , et qui décrit l'histoire d'une personne depuis sa petite enfance jusqu'à sa vieillesse, dans un monde qui serait entré en transition, et dans lequel la propriété n'existe pas. plus, dans lequel on a refondé à la fois nos pratiques de consommation agricole et nos modes de vie etc. Et qui justement m'a beaucoup plu parce que c'est une source d'inspiration aussi pour montrer que bah oui en fait un autre monde est possible et que finalement les connexions aussi avec nos modes de vie actuelles paraissent pas non plus si orthogonaux. Donc ça peut nous donner l'espoir aussi que, oui, il est possible de changer notre société.

  • Hélène Audard

    Merci Nicolas. Alors très exceptionnellement, et parce que je pense que ça fera plaisir à Régis, je vais lui demander, parce qu'il y a une figure un peu tutélaire au-dessus de cet épisode qui nous a donné envie de faire cet épisode sur le futur. Donc je te laisse Régis nous donner cette inspiration.

  • Nicolas Hervé

    Oui, en deux mots, quelqu'un qui peut nourrir tous ces débats, je pense que vous ne nous direz pas non, chers invités, c'est Alain Damasio. On a, voilà, figure tutélaire de cet épisode, elle l'a dit Hélène, on pense à sa zone du dehors, à ses furtifs, qui imaginent justement, au-delà du technosolutionnisme, qu'il n'aime pas du tout, comment il dénonce ces choses-là et comment il imagine des futurs, des futurs qui chantent, malgré des technologies qui déchantent, je vais dire comme ça. Donc on aurait adoré qu'il soit là avec vous, d'ailleurs, tiens, pour échanger autour de cet épisode, peut-être dans un épisode du futur, Hélène.

  • Marie Cadou

    D'autant qu'Alain Damasio a fondé une école, l'école des vivants.

  • Régis Forgione

    Exactement, qui réfléchit à ces questions notamment. On se dirige gentiment vers la conclusion de cet épisode. Alors, que dire ? J'ai envie de dire une chose. On a parlé de capsule temporelle, on a parlé de crayon de papier, on a parlé de clé USB. Quel sera l'objet du futur ? Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, que c'est le crayon de papier et que le passé sera notre futur. Mais en tout cas, on a réfléchi à tout ça. Là, on a très envie de se dire que... cet épisode sera toujours légitime en 2100 et que quand vous l'écouterez, il sera éclairant. Nous, en tout cas, on va le mettre dans la capsule temporelle d'Extra Classe et on l'ouvrira le plus tard possible, Hélène, pour voir s'il fait encore toujours son oeuvre. Un grand merci à tous les deux, Marie Cadou et Nicolas Révé pour cet épisode et pour vos éclairages.

  • Hélène Audard

    Merci beaucoup à tous les deux. C'était Éducation au futur, futur de l'éducation, préparée et animée par Hélène Audard et Régis Forgione.

Chapters

  • Penser le futur pour transformer le présent

    02:43

  • Les méthodes pour éduquer au futur

    11:43

  • Pourquoi c'est si dur d'imaginer demain ?

    28:38

  • Inspirations

    43:10

Description

Se tourner vers l’avenir pour résoudre des problèmes d'aujourd'hui, c’est le principe de l’éducation au futur, une approche qui fait son entrée dans l’enseignement, après avoir conquis les grandes écoles ou encore le ministère de la Défense, et bien sûr la littérature de science fiction. Face à des questionnements et des défis majeurs pour les années à venir, élèves et enseignants se trouvent face à la nécessité d’apprendre ensemble à se confronter à l’incertitude et à la complexité. En quoi se projeter dans 50 ans permet d’appréhender différemment les questions socialement vives actuelles ? Comment mener ces activités de design fiction ou d’élaboration de scénarios alternatifs en classe, et avec quels effets ? Comment faire émerger de nouveaux imaginaires chez des jeunes nourris aux dystopies hollywoodiennes ?

Ce Parlons pratiques vous propose un exercice d’anticipation : et si penser le futur était le futur de l’éducation ? Et nos invités vous donnent des exemples très concrets de projets menés notamment dans l’enseignement agricole, qui a pris un temps d’avance sur ces pratiques.
Avec :
- Nicolas Hervé, agrégé de physique, professeur en didactique des transitions écologiques et des questions socialement vives à l’École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole.
- Marie Cadou, professeure d’éducation socioculturelle au lycée agricole de Kernilien-Guingamp.
(Ré)écoutez les épisodes Extra classe de la playlist Éduquer à la transition écologique et sociale.

Vous pouvez également consulter :

Inspirations des invitées et de Régis :

  • Olivier Hamant, Antidote au culte de la performance. La robustesse du vivant, collection Tracts, Gallimard, 2023.

  • Camille Leboulanger, Eutopia, Argyll, 2022.

  • Alain Damasio, Les Furtifs, Gallimard, 2021.

Et nous vous rappelons qu'il y a désormais Entre profs, le nouveau RDV Extra classe le premier mercredi de chaque mois, qui propose de répondre en moins de 3 minutes aux questionnements et problématiques rencontrés tout au long de l’année. Vous aussi, vous avez des questions ? Envoyez-les-nous !

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé
Émission préparée et animée par : Hélène Audard et Régis Forgione
Réalisée avec l'appui technique de : Marina Garnier
Directrice de publication : Marie-Caroline Missir
Coordination et production : Hélène Audard, Magali Devance
Réalisation et mixage : Simon Gattegno
Remerciements à l'Atelier Canopé de Guingamp
Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr
© Réseau Canopé, 2025


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Régis Forgione

    Bonjour à vous, chères neuroditrices et neuroditeurs d'extra-classe, nous sommes en juillet 2100. Merci de nous rejoindre pour l'épisode 952 de Parlons Pratique.

  • Hélène Audard

    Oui, depuis la grande transformation de 2085, vous nous suivez toujours plus nombreux, grâce au réseau de captation neuronale permanent, ou réseau canopé, qui vous permet de nous écouter de manière totalement dématérialisée et fluide, directement via votre oreille interne.

  • Régis Forgione

    Quel bonheur pour nous que l'audio soit devenu le média dominant, à présent que l'ensemble des contenus pédagogiques, est accessible uniquement en podcast.

  • Hélène Audard

    Plus sobre énergétiquement, plus efficace pour l'engagement et la mémorisation, le podcast, c'est le média éducatif idéal.

  • Régis Forgione

    Le ministère de l'Éducation auditive nous a accordé sa confiance pour la formation des enseignants du 22e siècle et nous sommes prêts à relever le défi, Hélène et moi, enfin, nos avatars numériques.

  • Hélène Audard

    Bon ben voilà, c'était notre petit exercice de design fiction pour Extra Classe dans 75 ans. Alors en fait, c'est l'épisode 52 seulement aujourd'hui et on revient en 2025, donc avec nos deux invités.

  • Régis Forgione

    Oui, nos deux invités pour parler d'éducation au futur, bien sûr, parce que imaginer l'avenir, c'est peut-être le meilleur moyen de le faire advenir, et c'est un exercice passionnant, on va le voir, et très formateur à mener avec des élèves.

  • Hélène Audard

    Éducation au futur, futur de l'éducation, c'est l'épisode d'Extra Classe d'aujourd'hui, pour penser demain.

  • Régis Forgione

    Nicolas Hervé, bonjour !

  • Nicolas Hervé

    Bonjour à vous !

  • Régis Forgione

    Alors, vous êtes agrégé de physique et professeur en didactique des transitions écologiques et des questions socialement vives à l'école nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole, c'est bien ça ?

  • Nicolas Hervé

    C'est exact.

  • Régis Forgione

    Alors une question express pour vous, si je vous dis l'école en 2100, quelle image vous vient là tout de suite en premier ?

  • Nicolas Hervé

    Une école verte, avec beaucoup de végétaux, des animaux, des petits, des grands, et puis des élèves qui arrivent à l'école le matin pour choisir avec les adultes ce qu'ils vont faire pour la journée. Parce qu'en 2100, apprendre à être libre, ça sera comme aujourd'hui un sacré enjeu pour les enfants et les adultes.

  • Régis Forgione

    Ça fait rêver !

  • Hélène Audard

    Marie Cadou, bonjour !

  • Marie Cadou

    Bonjour !

  • Hélène Audard

    Vous êtes professeure d'éducation socio-culturelle au lycée agricole de Guingamp et même exercice mais pas tout à fait dans le même sens. La question expresse pour vous, si vous pouviez déposer un objet dans une capsule temporelle pour des élèves de 2100, vous y mettriez quoi ?

  • Marie Cadou

    Eh bien, je vais être d'une grande banalité, mais en fait, c'est un objet qui, pour moi, recouvre de nombreux symboles. Je mettrais un crayon à papier pour repenser un peu son rapport au temps, à l'art de la rature et à la manière dont on échange.

  • Régis Forgione

    Quel beau programme pour cet épisode. Je vous propose qu'on entre tout de suite dans le temps 1 de cette émission. Pensez le futur pour transformer le présent. Alors dans cette première partie, on va essayer un petit peu de poser la problématique et d'expliciter ce qu'est l'éducation au futur. Nicolas Hervé, cette éducation au futur, on a l'impression en tout cas que c'est une tendance forte dans différents domaines. On en parle dans la formation dans les grandes écoles, on a cette fameuse Red Team du ministère de la Défense qui fait appel à des auteurs de SF, on a une chaire de l'UNESCO qui travaille à ce sujet, on parle de prospective, de littératie du futur, de design fiction. Qu'est-ce que c'est que cette éducation au futur ?

  • Nicolas Hervé

    Déjà j'ai envie de dire que si à l'heure actuelle beaucoup de gens s'intéressent justement à penser le futur dans l'éducation, c'est bien parce que notre monde est inquiétant, problématique, et plus il est inquiétant, plus il est problématique finalement et incertain, plus on a besoin de repères en fait pour penser le futur. Et la prospective nous offre des concepts et des méthodes en fait pour faire cela. L'éducation au futur, c'est tout d'abord apprendre à décrypter, peut-être analyser les visions du futur qui circulent dans la société. C'est aussi apprendre à en construire des images de futur qui sont possibles ou même qui tendent vers l'utopie. Et puis c'est peut-être le plus important, c'est surtout apprendre à en débattre, c'est-à-dire à les faire frotter les unes avec les autres.

  • Hélène Audard

    Et Marie, alors vous, on va le voir, vous travaillez cette éducation au futur avec vos élèves. Comment est-ce que vous avez été amenée à faire ça ?

  • Marie Cadou

    Alors en fait, ce qui m'a conduit à travailler sur les visions du futur des élèves, c'est un travail plus global que l'on mène justement avec Nicolas et tous les membres du réseau des enseignants référents sur la didactique des questions socialement vives. qui consiste justement à travailler avec les élèves des questions qui font débat dans la société, des questions qui sont porteuses de controverses, avec l'idée que justement c'est la controverse qui est à travailler dans une visée d'éducation à la citoyenneté. Et que donc en fait, cette idée d'aller réfléchir à ces questions... En se projetant dans le futur, c'est une autre manière d'envisager l'entrée dans la complexité et dans le débat.

  • Hélène Audard

    Et pourquoi, question peut-être naïve, mais pourquoi l'enseignement agricole spécifiquement s'intéresse plus particulièrement à cette éducation au futur ?

  • Nicolas Hervé

    Je pense que c'est parce qu'il y a deux éléments. Le premier, c'est ce que vient de dire Marie, c'est l'importance du travail qu'on fait autour des questions socialement vives. Il y a un historique dans l'enseignement agricole autour de l'enseignement de ces questions-là, parce qu'on le sait tous, l'agriculture est traversée de questionnements sur les modes de production, les modes de consommation des produits alimentaires, le rapport qu'on entretient avec l'alimentation. Ça, c'est extrêmement controversé dans l'espace social, donc l'enseignement agricole est en première ligne vis-à-vis de ces questions-là. Et dès qu'on déploie des argumentations autour de ce qui fait controverse, tout de suite, enfin assez vite en tout cas, ce sont des visions du futur qui se frottent, qui émergent. Donc, quelque part, naturellement, il y a une connexion entre le travail qu'on fait depuis des années sur l'enseignement des questions socialement vives et puis l'éducation au futur. Mais il y a aussi un deuxième élément, peut-être en lien avec le premier, c'est que la transition agroécologique est maintenant dans tous les programmes de formation de l'enseignement agricole. Et qui dit transition, dit se poser des questions justement sur nos modes de vie. Et c'est peut-être l'occasion aussi avec les élèves... d'essayer de creuser peut-être des alternatives à la manière dont nous vivons. Et donc, ça ouvre la porte à un travail autour de vision du futur.

  • Marie Cadou

    Pour abonder dans le sens de ce que dit Nicolas, on disait en introduction de l'émission qu'en fait, imaginer le futur, c'était peut-être la meilleure façon de le faire advenir, et que penser le futur, c'était une manière de réfléchir aux questions. Mais c'est vrai qu'on est dans un moment où finalement, le futur est un peu bouché en fait. Et par rapport au passé, où on pouvait justement imaginer des futurs. On a tous vu des vidéos de l'Ina où on interroge des petits-enfants sur comment ils voient l'an 2000. Et là, on est dans un moment où ce futur s'est quand même un peu bouché. Et il se trouve que le monde agricole est confronté de manière très très directe aux enjeux du futur proche, et aux débats qui sont liés à ces enjeux. Et donc forcément dans l'enseignement agricole, ces débats sont présents, soit sous le tapis, soit par-dessus, mais ils sont là. Donc c'est vrai que c'est un lieu où il y a quelque chose d'assez évident à aller travailler ces questions.

  • Régis Forgione

    Et c'est peut-être un peu à la croisée de ce qu'on appelle les compétences du XXIe siècle, la créativité, l'esprit critique, l'éducation à la complexité. Tout ça, ça fait partie de cette éducation au futur ? Ou c'est un outil peut-être même pour l'éducation au futur ?

  • Nicolas Hervé

    Je pense que l'éducation au futur, elle est connectée en fait à beaucoup d'autres "éducations à". Et elle a une dimension politique très forte aussi. C'est pour ça que dans ce qu'on entend, il y a plein de manières de nommer les compétences du 21e siècle : éducation politique, éducation à, apprendre à anticiper. Alors apprendre à anticiper, ça ne veut pas forcément apprendre... Généralement, c'est comme ça qu'on comprend le mot « anticiper » , avoir un coup d'avance sur les choses, prévoir peut-être ce qui va arriver. En fait, l'anticipation, ce n'est pas ça. L'anticipation, c'est apprendre à simuler différents futurs possibles, en tout cas imaginer des alternatives, d'autres possibilités. Et puis, en fonction de ces différents possibles qu'on a réussi à mettre en image, à faire discuter, réfléchir à nos moyens d'action à l'heure actuelle. Donc c'est une éducation qui est à la fois critique, puisque pour envisager des alternatives, il faut bien aussi passer par une déconstruction des discours dominants et un regard critique sur la manière dont notre monde fonctionne. C'est aussi une éducation sociale, parce qu'on n'est pas tout seul. En fait, imaginer des leviers politiques, c'est aussi imaginer comment on peut s'organiser avec d'autres. Et il y a une dimension éthique aussi, parce qu'imaginer les futurs ou débattre de futur, c'est aussi faire des choix qui engagent des questionnements éthiques, et comment on embarque le vivant autrui avec nous, c'est aussi une question d'éducation au futur.

  • Marie Cadou

    J'ai envie de dire que derrière ça, il y a toute une question du rapport au temps. Alors ça paraît évident puisqu'on parle de projection dans le futur, mais moi je parlais aussi du temps qui passe et de la manière dont il est compressé. Alors je reviens à mon idée de crayon, mais en fait, ce processus que décrit Nicolas, l'idée d'aller imaginer différents scénarios, et de réfléchir à qu'est-ce qu'il y a derrière, quels sont les leviers d'action, qu'est-ce qu'il faut déployer pour que ces scénarios se réalisent, ou qu'au contraire, ils ne se réalisent pas. C'est aussi réfléchir au temps qu'il faut pour que les choses adviennent. Et qu'actuellement, on est plutôt dans des époques où on est pris par le temps qui passe. et à ne plus réfléchir à ce temps qui passe, on est prisonnier du futur qui arrive avant même qu'il soit là, puisque de toute manière, on ne prend pas le temps de le construire. Et donc, c'est faire un pas de côté et se dire qu'il faut du temps. Et c'est aussi dans ce temps-là qu'on va développer sa pensée et qu'on va développer son esprit critique.

  • Nicolas Hervé

    J'ai envie de rebondir, moi aussi, sur ce que dit Marie. Parce qu'effectivement, quand on parle de projection dans le futur, la dimension temporelle future est évidente. Mais en fait, on ne peut pas se projeter dans le futur sans prendre un élan dans le passé. Et puis de toute façon, cette projection dans le futur, elle ne parle finalement que du présent. Donc c'est bien un rapport aux temporalités. Et il s'agit de reconstruire les temporalités. Cette attention aux temporalités, elle passe aussi par le fait que tout ne va pas à la même vitesse dans notre monde. Et on a un peu la tentation, et c'est peut-être une critique qu'on peut faire aussi aux outils de prospective. notamment quand ils sont faits par des méthodes expertes, c'est se dire qu'on va se projeter à 2030, 2040, 2050, en se disant que cet horizon temporel veut dire la même chose pour tout le monde. Or non, en fait. Le temps de la prise de décision politique, ce n'est pas le temps du changement climatique. Et quand on parle du changement climatique, le changement des espèces végétales, des espèces animales, ce n'est pas le même temps. Et on pourrait raffiner, puisque chaque... espèce animale ou chaque espèce végétale a sa propre temporalité d'existence. Donc comment on arrive à retricoter, à retisser une attention aux temporalités qui fait que tout ça marche ensemble dans notre réflexion. C'est aussi un enjeu d'éducation au futur.

  • Hélène Audard

    Vous avez parlé un peu de méthode experte. On va rentrer justement un peu plus dans le détail, parce que maintenant on a bien saisi un peu les enjeux. On va aller regarder les méthodes pour éduquer au futur. Il y a une expression que j'ai bien aimée, je crois que c'est Marie qui nous l'avait dite quand on a préparé l'émission, qui était le futur comme un espace de résolution des problèmes. Et donc, peut-être Nicolas, pour commencer, est-ce que vous pouvez nous dire un petit peu quelles sont ces méthodes qu'on peut utiliser pour se projeter et essayer de résoudre les problèmes d'aujourd'hui ? On a bien compris que c'était nos problèmes d'aujourd'hui qu'on essayait de résoudre avant tout.

  • Nicolas Hervé

    Dans la prospective, c'est une diversité de concepts et de méthodes. On peut mettre vraiment des S partout à concepts et méthodes parce que ces objets-là sont extrêmement pluriels. On peut les catégoriser peut-être en plusieurs parties. On a des méthodes qui sont dites expertes, c'est-à-dire on va s'appuyer sur des experts pour nous aider à penser le futur. Et puis de l'autre côté de ce curseur d'expertise, on a aussi des méthodes qui se fondent sur l'intelligence collective et justement le fait qu'en faisant participer beaucoup de monde avec les différences de chacun, c'est une manière aussi de nourrir nos manières d'examiner les problèmes et d'examiner le futur. Donc entre expertise et participative, on a déjà tout un tas de familles de méthodes. Et puis on a aussi une autre manière d'envisager les méthodes, c'est de se dire, il y a des méthodes qui sont... très fondée sur la data, sur les informations, sur la modélisation, notamment numérique. Donc des méthodes très instrumentées, on va dire ça comme ça, qui tendent plutôt vers les sciences expérimentales, sciences numériques. Et puis de l'autre côté, on a un appel à la créativité très forte, avec des manières de travailler le futur par les récits, notamment la science-fiction est un bon outil pour travailler ça. Donc quand on mélange expertise, participation, l'informatique, la donnée et puis la créativité, on se retrouve avec un tas de méthodes qu'il s'agit d'hybrider.

  • Hélène Audard

    Et alors concrètement, dans les établissements, quelles méthodes on peut utiliser ? Parce que là, les données ou l'expertise, on ne les a pas nécessairement. Donc on va aller du côté plutôt des récits.

  • Nicolas Hervé

    On peut peut-être parler, si vous voulez, du design fiction, parce que c'est une méthode qui, à l'heure actuelle, a le vent en poupe, qui est très utilisée, qui a une histoire très récente, puisqu'elle a une dizaine d'années à peu près. chez les designers, et elle a percolé très vite dans le monde de l'enseignement. C'est une manière de travailler le futur qui passe par la création d'un arrière-plan dans lequel on va dessiner différents futurs possibles. C'est l'étape de world building, on appelle ça, de construction du monde. Et puis, une fois qu'on a construit cet arrière-plan, c'est l'idée de réfléchir à une pratique sociale. À l'intérieur de ce monde-là, des pratiques agricoles, peut-être le lycée du futur justement, mais dans différents futurs possibles parce qu'on a dessiné cet arrière-plan dans lequel peut-être les lycées ou les pratiques peuvent être différentes. Et puis le dernier temps, c'est un temps de construction, de conception en fait, d'un objet, d'un artefact en fait, qui est un peu comme les archéologues du futur. Un archéologue du futur qui irait dans le futur et qui ramènerait un objet concret. Il s'agit de concevoir un objet matériel, mais quand je dis matériel, c'est vraiment un objet qu'on va pouvoir montrer, qu'on va pouvoir toucher, qu'on va pouvoir se montrer, sur lequel on va pouvoir discuter. Le design fiction, c'est vrai que c'est à l'heure actuelle un dispositif qui semble vraiment intéressant pour les professionnels de l'éducation, notamment en France, mais qui est plus largement utilisé dans le monde anglo-saxon, notamment dans l'enseignement de la technologie, parce qu'il permet d'aborder les problématiques autour de l'intelligence artificielle, autour peut-être des microcontrôleurs, autour des imprimantes 3D, sans avoir nécessairement les compétences techniques pour faire tourner ou programmer une impression 3D. Mais même avec les enfants, ça permet de travailler les problématiques sociales autour du développement technologique.

  • Régis Forgione

    Marie, de votre côté, dans la pratique auprès des élèves, on en a parlé d'ailleurs un peu humoristiquement dans l'introduction de cet épisode, mais vous avez mis en œuvre, je vais dire là, La technique, je ne sais pas comment dire, le dispositif de la capsule temporelle autour d'un élevage, il me semble, avec vos élèves. Est-ce que vous pourriez nous expliquer tout ça ?

  • Speaker #4

    Oui, alors c'est un projet qu'on a mené l'an dernier avec une classe de seconde GT, donc seconde générale et technologique, qui dans l'enseignement agricole a une option qui s'appelle environnement, agronomie, territoire et développement durable. Et donc dans le cadre de cette option, en fait, on a travaillé sur l'élevage de porcs du lycée. de notre lycée à Carnilien. Et l'idée c'était en fait de faire réfléchir les élèves sur la question du bien-être animal, sachant que ce sont des élèves de seconde et que ce sont des élèves qui n'ont pas encore de culture professionnelle sur le sujet et qui donc ont plutôt des représentations du sujet qu'on pourrait dire grand public entre guillemets. Donc l'idée c'était de se familiariser avec ce sujet là en les faisant travailler la projection dans le futur. C'est à dire pour eux c'est quoi le bien-être animal ? Regarde ce qu'est pour eux le bien-être animal. Est-ce qu'on peut dire que le bien-être animal il est présent dans un élevage de porcs et en l'occurrence celui du lycée tel que les élevages de porcs fonctionnent à l'heure actuelle ? Oui, non. Et toujours avec ce qu'est pour eux le bien-être animal, qu'est-ce qu'il faudrait pour que... finalement cet élevage soit un peu un élevage modèle en termes de bien-être animal dans 50 ans. Donc il essaie de se projeter à 50 ans pour qu'il y ait un laps de temps assez long et qu'ils puissent imaginer qu'on parlait à leurs petits-enfants. J'ai 15, 16 ans et je parle à un jeune qui potentiellement serait mon petit-fils ou ma petite-fille. Et donc la capsule temporelle... En fait c'est la constitution d'un message destiné à ce public du futur, donc là en l'occurrence les futures secondes du lycée agricole de Kernilien, donc ceux qui seront là à leur place dans 50 ans, et de leur transmettre un message autour de ce qu'est pour eux le bien-être animal et de ce qu'ils aimeraient que l'élevage de porcs soit devenu et donc de confronter, d'offrir ce message. à ces jeunes-là, puis de voir si ces jeunes-là, ce qu'ils entendront correspondront à ce qu'ils vivent aussi. Donc la capsule, c'était ces messages, donc là c'était des petites vidéos qui ont été enregistrées et qui ont ensuite été mises sur une clé USB. Cette clé USB a été enfermée dans un boîtier symbolique et il a été transmis à la direction de l'établissement avec un contrat d'engagement par lequel la direction s'engageait. à conserver ces capsules dans le coffre-fort de l'établissement et à faire en sorte que les directions successives d'ici 50 ans permettent que la capsule soit réouverte dans 50 ans. C'est-à-dire bien sûr que déjà elle reste dans le coffre-fort ou qu'elle soit déplacée s'il y avait besoin et que si la technologie faisait que la clé USB devenait un support cadu, que les vidéos soient transposées sur les nouveaux supports pour qu'elles soient délivrables en temps et en heure. Et donc il y a eu une petite cérémonie officielle de remise et d'engagement. Donc c'était un moment qui était assez émouvant en fait, et pour les élèves et aussi pour la direction de l'établissement.

  • Hélène Audard

    C'est très chouette comme projet. Alors autre type de méthodologie peut-être Nicolas, c'est de travailler sur des scénarios. Il y a même des ministères de l'éducation, je crois que c'est au Danemark, qui ont imaginé des scénarios comme ça pour l'éducation du futur. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur cette méthode-là ?

  • Nicolas Hervé

    C'est la méthode un peu historique, en tout cas de la prospective telle qu'elle se fait en France. C'est l'idée d'avoir une méthode pour construire différents scénarios possibles. Tout un chacun, nous construisons des scénarios pour le futur, mais d'une manière un peu bricolée, sans vraiment de méthode un peu rigoureuse. C'est l'idée d'avoir cette méthode rigoureuse, d'avoir un cadre un peu analytique. et ce cadre analytique en fait, il consiste si on prend un sujet, par exemple, tel que comment l'intelligence artificielle va pouvoir se développer dans les 30 à 40 prochaines années. C'est l'idée d'essayer de découper un peu le morceau. C'est une méthode un peu analytique qui intéresse du coup notamment les enseignements scientifiques parce qu'on retrouve cette rigueur, entre guillemets, en tout cas cet appétit pour découper les problèmes. Donc on pourrait très bien imaginer qu'elles sont les facteurs de type économique qui feraient que le déploiement de l'intelligence artificielle va aller dans telle ou telle direction. On peut aussi imaginer différents types d'acceptabilité sociale. On peut imaginer aussi peut-être des dimensions environnementales qui freinent ou au contraire qui permettent d'accélérer le déploiement de cette technologie. Bref, tout un tas d'identifications de facteurs qui vont faire évoluer cette technologie dans le temps. Et une fois qu'on a identifié ces différentes dimensions, il s'agit de construire des hypothèses pour chaque dimension. C'est-à-dire d'un point de vue économique, qu'est-ce qui pourrait arriver ? Et donc on fait comme ça une série d'hypothèses. Vous voyez que si on fait ça pour chacune des dimensions, on va se retrouver avec un tableau. Donc ce que je disais, c'est une méthode analytique. Et une fois qu'on a fait ça, c'est là où quelque part, la créativité va reprendre le pas sur l'analyse parce qu'il va s'agir de combiner différentes hypothèses les unes avec les autres, de manière à recréer différents scénarios qui sont cohérents. Et cette manière un peu rigoureuse, en fait, nous permet de pouvoir multiplier différents scénarios et de petit à petit les incarner. Une fois qu'on a construit ces scénarios, on peut... Peut-être, si on a assez de temps, essayer d'immerger les étudiants dedans, en leur faisant construire un récit, une scène de vie, une scène professionnelle, l'avenir d'un secteur d'activité particulier pour le déployer dans ces différents scénarios.

  • Régis Forgione

    Dans ces activités de réflexion, de projection des élèves sur le futur au sens large, on aurait très envie d'imaginer aussi qu'ils ont envie de travailler justement sur leur quotidien d'élève. Et on sait Marie que vous avez travaillé à ce sujet, notamment autour du foyer de l'établissement. Et on a très envie de savoir comment les élèves se sont projetés dans ce foyer du futur. Est-ce qu'ils ont créé une dystopie, une utopie ? Comment ça s'est présenté ?

  • Marie Cadou

    Oui, en fait, par rapport à ce que décrit Nicolas, de cette conception très analytique, après c'est vrai qu'on s'empare un peu des outils au regard de nos élèves, de leur âge, de ce qu'ils font. Et donc là, le projet dont vous parlez, c'est un projet qui a été mené cette année avec la classe de première STAV. Donc c'est les anciens élèves de seconde de l'année dernière, puisqu'en fait c'est une classe avec laquelle l'idée c'était de faire un projet sur justement la projection dans le futur chaque année. Donc l'année dernière on a travaillé sur l'élevage de porcs, et donc là cette année le travail était centré sur le foyer du lycée, Alors les foyers dans les lycées agricoles ils sont gérés par une association d'élèves qui s'appelle l'Alesa Et il se trouve que dans notre lycée l'Alesa a un peu du mal à trouver des élèves qui s'engagent vraiment de manière volontaire dans les missions de l'association Et par ailleurs il y a eu cette année quelques problèmes de dégradation sur le mobilier du foyer Donc en fait Partant de ce constat, on a travaillé avec les élèves sur qu'est-ce que c'est qu'un foyer, à quoi ça sert un foyer et qu'est-ce que c'est qu'un foyer qui fonctionne bien. C'est-à-dire un foyer dans lequel il n'y a pas de problème et dans lequel les usagers se sentent bien. Avec cette idée que derrière la question du foyer, forcément on allait gratter la question du modèle du vivre ensemble. À partir des éléments qui avaient émergé, ils ont dû réfléchir à leur foyer. idéal dans dix ans. Donc ils ont travaillé en petits groupes, il y avait trois groupes et chaque groupe devait imaginer son foyer idéal donc de manière ouverte, c'est à dire qu'il n'y avait pas de contraintes, c'est vraiment votre foyer idéal, quel serait-il ? Et une fois que cette idée était formée, de créer le récit des dix années entre aujourd'hui et dans dix ans donc qui permettrait à leur foyer d'advenir. C'est-à-dire qu'est-ce qu'il faudrait qu'il se passe entre aujourd'hui et dans dix ans pour que votre foyer idéal il existe ? Et en fait là l'idée c'était finalement de faire réfléchir finalement à ce dont parlait Nicolas, le côté analytique. Là il était rétroactif, c'est-à-dire c'est à travers ce que contenait le récit qu'on a après déconstruit qu'est-ce que contenait le récit, en fait ? Qu'est-ce que ça voulait dire, en fait, d'imaginer un récit comme ça ? Et donc, on a eu trois scénarios. On parle bien de foyer idéaux. Donc, on a eu un groupe qui a créé un projet autour d'un foyer autogéré avec autonomie des élèves, responsabilité collective, et un foyer où, finalement, il n'y avait pas de problème, puisque... Tous les élèves étant impliqués dans son mode de fonctionnement, il y avait un respect du lieu qui découlait naturellement de ce mode de fonctionnement. Et donc leur récit consistait à imaginer finalement une montée en compétences progressives des élèves sur 10 ans pour qu'entre un élève standard d'aujourd'hui et celui d'il y a 10 ans, on soit face à des jeunes qui soient aptes à être autonomes et à fonctionner. de manière responsabilisée autour de la gestion d'un lieu. Donc un projet très éducatif.

  • Hélène Audard

    Ça c'est le scénario qui fait plaisir à l'enseignant.

  • Marie Cadou

    Alors pour vous dire, les trois projets ont été présentés à la direction de l'établissement et ce projet-là va être présenté au conseil intérieur du lycée à la rentrée, au premier conseil. Et les deux autres projets, alors étonnamment les élèves n'ont pas travaillé ensemble mais ils sont partis sur des idées à peu près semblables d'un foyer où, grosso modo, les élèves auraient accès à tout ce qu'ils veulent, sans limite, sans avoir rien à faire, juste à demander. Donc, comment on arrive là et comment on fait pour éviter les problèmes ? Donc, il y a un cas de figure où les élèves ont imaginé... un scénario un peu catastrophe où il y aurait eu une guerre et puis en fait la France aurait réussi à s'enrichir par la guerre et donc avec cet argent la France aurait réinvesti dans l'éducation mais en mettant en concurrence ces établissements donc pour un établissement avoir un bon foyer c'est quand même attractif donc on va mettre de l'argent sur le foyer et donc on va donner l'argent aux élèves et alors ben mais pour qu'il n'y ait pas de problème parce que forcément si tout le monde fait ce qu'il veut on peut imaginer qu'il va y avoir des conflits et eh bien, en fait, on va mettre des vigiles et puis des caméras de vidéosurveillance. Et il y a un autre cas, mais qui était, en fait, c'était un peu là où l'idée, c'était de dire, bon, il y aurait eu des grandes manifestations de jeunes qui en avaient marre, blocage du pays, pays à l'arrêt. Donc, le gouvernement finit par dire aux jeunes, OK, qu'est-ce que vous voulez ? et à dire, bon, par contre... on va réaliser les projets qui nous semblent intéressants. Donc, mise en concurrence quand même des projets des jeunes. Et donc, les jeunes de Kerdina avaient un projet qui marche. Et donc, là, c'est pareil. C'était un projet où ils avaient de l'argent pour faire à peu près ce qu'ils voulaient. Et pareil, il y avait l'idée d'avoir de la vidéosurveillance et des vigiles, en fait, pour gérer les problèmes de dégradation éventuelle ou de débordement au règlement. Donc c'était assez intéressant après d'aller déconstruire ce qu'il y avait derrière leur récit. Et qu'est-ce que ça racontait quoi ?

  • Régis Forgione

    Comme quoi la dystopie des uns est l'utopie des autres. Ou inversement, selon la position dans laquelle on se trouve. Je vous propose qu'on se dirige vers le troisième temps de cette émission. On commence à l'entendre, mais la question c'est pourquoi c'est si dur d'imaginer demain ? Nicolas Hervé, est -ce que ces expériences modifient la vision du monde qu'on les élève ? Quand je dis ces expériences, c'est ceux avec qui on les nourrit également pour mener ces expériences ?

  • Nicolas Hervé

    Alors oui, ils vivent une expérience déjà. Et si on reprend l'exemple qu'a donné Marie tout à l'heure de la capsule temporelle, c'est vrai que c'est une expérience qui est très forte pour les élèves parce qu'il y a cette espèce de brouillage temporel. Ils s'adressent à leurs pairs, des enfants, des adolescents qui ont leur âge. mais qui ne sont pas encore nés. Et ce brouillage fait que, oui, on s'adresse à des personnes qui ont le même âge que nous, mais en même temps qui sont plus petits, fait qu'il y a vraiment un flou et une sorte de trouble, en fait, trouble temporel, qui est bien une expérience intéressante, justement, pour essayer de comprendre comment les temporalités sont tissées les unes avec les autres. Donc, il y a déjà le fait de vivre des expériences. Et puis, se projeter dans le futur, en tout cas, avoir mené le type de questionnement dont fait écho Marie, ça nécessite de cultiver à la fois leurs imaginaires et puis leur manière d'argumenter, leur manière de faire frotter les idées. Et donc, ce n'est pas quelque chose qui est automatique pour eux. Et cette culture, elle peut se dessiner de différentes façons, à la fois à travers les enseignements, la manière dont on les fait travailler, justement pour développer leur rapport à la créativité, mais aussi plus on va vers des projections vers le futur, et plus on a besoin de s'appuyer sur le passé. Donc c'est comment on arrive aussi à construire avec eux une culture du passé qui soit peut-être au-delà du rapport au passé qu'ils ont pour penser le futur. Je ne sais pas très clair ce que je dis, mais ça veut dire en fait que dès qu'on a une tendance à penser le futur, tout de suite, on va aller vers du high-tech, on va aller comme si en fait, notre rapport au futur, il se faisait par une sorte d'écrasement ou de refus de ce qui venait du passé. Or, en fait, c'est plutôt l'inverse. C'est comment faire appel au passé pour penser le futur. Et ça, c'est aussi l'occasion, notamment quand on est dans le domaine agricole, mais pas que. C'est aussi l'occasion de peut-être s'intéresser à des pratiques agricoles oubliées, ou en tout cas qui ont été marginalisées par le développement technologique. Donc comment on réinvestit aussi la connaissance de ces milieux de vie, de ces territoires, de ces pratiques, à travers le passé, à travers les entretiens qu'on peut faire mener aux jeunes sur les personnes qui sont âgées, de manière à ce que cette expérience du passé elle constitue aussi un ensemble de ressources utiles pour se projeter et pour dépasser peut-être les stéréotypes qu'on a facilement sur le futur.

  • Hélène Audard

    Mais il y a aussi, Marie, peut-être des stéréotypes dans le passé, c'est-à-dire que le mythe d'un âge d'or auquel on reviendrait, et notamment peut-être pour des élèves qui sont enfants d'agriculteurs et qui n'ont pas forcément envie de remettre en question un modèle. Le passé est aussi peut-être problématique parfois, quand il faut envisager le futur.

  • Marie Cadou

    Oui, tout à fait. En fait, comme disait Nicolas tout à l'heure, penser le futur, c'est surtout penser le présent. Et en fait, la manière dont on pense le passé, c'est aussi beaucoup penser le présent. En fait, tout est lié. Alors, le mythe d'un âge d'or, je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est qu'il y a une culture de l'impératif, c'est-à-dire qu'il y a une pensée très pragmatique. et de dire bon ce qui se faisait avant ça se faisait avant parce que ça pouvait se faire avant et en fait nous on fait ce qu'on fait maintenant parce que c'est ce qui doit se faire maintenant et donc moi je trouve que ce que disait Nicolas autour de l'expérience c'est fondamental c'est à dire que je pense qu'il faut être très modeste quand on mène ces projets là les représentations des élèves, bon comme tout à chacun mais en l'occurrence chez les élèves c'est très vrai elles sont très ancrées et c'est Ce n'est pas un projet de réflexion sur le futur qui fait fondamentalement bouger leur vision du futur et leurs idées. Mais par contre, l'expérience qu'ils vivent va faire bouger des lignes et va venir enrichir leur culture au sens large du terme. C'est-à-dire leur capacité à imaginer des choses, va venir enrichir leur regard tout simplement et peut-être les sortir de certaines conceptions un peu monolithiques et simplistes aussi des situations. Donc il y a un enrichissement qui est aussi une entrée dans la nuance, c'est-à-dire qu'on ne bouge pas forcément ce qu'on pense, mais on voit que les possibles et les situations sont plus complexes que ce qu'on pouvait imaginer. Et d'ailleurs, pour finir là-dessus, il y a aussi justement toute cette question de l'imagination qui est en soi à interroger, c'est-à-dire qu'en fait les élèves, ce n'est pas forcément facile pour eux... d'imaginer quelque chose. On se dit c'est chouette, on va imaginer quelque chose, mais on se rend compte que souvent leur tendance première dans l'imagination, ça va être d'imaginer quelque chose qui est le prolongement d'aujourd'hui, c'est-à-dire de quelque chose on est dans un monde effectivement qui est baigné d'une culture tournée vers la solution technologique et eux, ils vont vraiment aller vers ça. Leur projection est finalement très bornée. Et donc ces projets-là, c'est aussi une manière d'ouvrir un peu le prisme et de voir qu'on va aussi enrichir, au sens propre du terme, c'est-à-dire donner des éléments qui vont permettre sur la durée d'imaginer les choses de manière plus ouverte.

  • Régis Forgione

    Nicolas, vous voulez rebondir ?

  • Nicolas Hervé

    Oui, parce qu'en fait, les expériences, on en a mené avec différents élèves de différents niveaux. Dans l'enseignement agricole, on a la chance à la fois d'avoir de la quatrième jusqu'aux écoles d'ingénieurs, presque, d'agronomie. Et ce qui est assez frappant, c'est que finalement, ce rapport à l'imagination, en tout cas cette faiblesse, le fait que leur imagination soit quand même tournée vers des imaginaires qui soient dominants, qui soient les mêmes, ça on le retrouve en fait, quels que soient les élèves. C'est-à-dire, on peut avoir des élèves en bac... pro-service à la personne et des élèves ingénieurs, finalement, on va retrouver les mêmes types d'imaginaires qui sont activés. Donc, ça prouve bien aussi l'importance des verrouillages autour de la manière dont les jeunes et les moins jeunes, enfin notre société, en fait, produisent des imaginaires qui sont vraiment très fortement ancrés chez nous. Mais tous disent aussi, après l'expérience, que finalement, cet exercice-là, il est nouveau pour eux. C'est qu'un exercice explicite autour ... De la manière dont ils se voient ou ils voient le monde dans le futur, c'est quelque chose qu'ils ne font jamais. Et ça aussi, ça participe de l'idée de se dire qu'il y a quelque chose d'intéressant, malgré toute l'humilité qu'on peut avoir sur les conséquences vis-à-vis des élèves, comme le dit Marie, c'est quand même quelque chose d'assez intéressant à noter.

  • Marie Cadou

    Si je peux me permettre, pour finir ce que disait Nicolas, justement dans cette idée aussi de rentrer en discussion. C'est-à-dire qu'on est toujours dans cette idée qu'on travaille des questions socialement vives et qu'on est dans une éducation à la citoyenneté. Et qu'en fait, ces projets-là, ils mettent aussi les élèves dans des configurations où ils vont rentrer dans une forme d'échange, en fait, contextualisé à un projet de projection dans le futur. Et donc, tout à coup, comme ils sont pris par ça, ils ne se rendent pas forcément compte tout de suite qu'en fait, les échanges qu'ils ont sont des échanges politiques, en fait. C'est-à-dire, ils vont se mettre à parler de leur vision du monde, à des paramètres qu'il faudrait pour que ça arrive, des leviers qu'il faudrait activer. Et qu'en fait, si cette discussion, on voulait les avoir de manière stricte, avec un débat sur un sujet, elle ne se passerait pas du tout de la même manière. Parce qu'elle serait conscientisée comme étant un débat politique, et il y a plein de représentations, là encore à l'œuvre, qui feraient que leurs paroles ne seraient pas du tout délivrées de la même manière. Alors que là, les dispositifs pédagogiques les mettent dans des configurations où ces effets en change là vont avoir lieu, où ils vont écouter aussi des intervenants, ils vont être en relation avec des paroles. Et l'écoute et la prise de parole va se faire et se construire. Et pour moi, c'est ce qui est intéressant dans ces projets, c'est qu'à travers ces projets-là, on construit aussi leur capacité, justement, à rentrer dans du travail de délibération et du travail d'échange citoyen.

  • Nicolas Hervé

    On pourrait être étonné, effectivement, et se dire qu'à cet âge-là, ils seraient très révolutionnaires ou disruptifs, pour utiliser ce mot. Et vous nous dites que non, au contraire, ils sont tellement nourris de... de SF, de technosolutionnisme, d'univers hollywoodien, quelque part qui envahit un peu le monde et qui se dirige plus vers ce type de récits dominants. Et vous dites qu'effectivement, c'est dans leurs échanges et dans ce côté politique, les citoyens qui se nourrissent. Mais qu'est-ce que vous apportez d'autre ? Est-ce qu'il y a des apports culturels différents pour essayer de nourrir leurs imaginaires et un peu, j'ai envie de dire, ouvrir leur chakra de ce côté-là ?

  • Marie Cadou

    Moi, je suis prof d'éducation socio-culturelle, donc c'est mon travail, en fait. Je suis là. exactement, c'est ma mission d'enseignante c'est ça c'est de venir enrichir leur culture au sens très large du terme donc que ce soit par le biais artistique que ce soit par le biais de la formation l'esprit critique, que ce soit sur le travail sur les médias, en fait on est là pour ça donc bien sûr en fait l'idée c'est toujours d'offrir des références d'offrir des perspectives et d'apporter en fait de la matière L'idée selon laquelle on parle de la pratique du jeune, c'est bien et c'est très important, mais il faut aussi la nourrir d'autres choses. Et d'ailleurs, ils adorent ça. Ils adorent qu'on vienne leur raconter des choses, qu'on vienne leur montrer des choses. Et ils sont très preneurs de tout ça. Donc, bien évidemment, on apporte de la matière dans tous les sens du terme. Donc, ça peut être de la matière stricte, ça veut dire de la ressource documentaire pour qu'après, ils construisent leur projet. Mais ça peut être aussi de la matière artistique, de la matière sensible. C'est fondamental.

  • Hélène Audard

    Nicolas ?

  • Nicolas Hervé

    Peut-être quelque chose dont on n'a pas parlé, en tout cas un trait dont on n'a pas parlé sur le rapport des élèves au futur, c'est aussi peut-être une tendance au fatalisme, c'est-à-dire que vis-à-vis du futur, quelque part, il y aurait cette idée que les carottes sont cuites, on se dirige tranquillement mais sûrement vers une catastrophe écologique, politique, etc. et qu'on n'y peut rien. Et donc nourrir leurs imaginaires, c'est aussi leur montrer que cette vision du futur, elle est à décrypter, à nuancer, mais c'est cette idée de comment leur montrer que non, des alternatives existent. que le futur n'est pas écrit, que justement ce travail autour de différents futurs possibles conduit à imaginer des leviers d'action, d'autres possibilités. Et le terreau, au-delà des exercices pédagogiques qu'on leur fait faire, c'est bien ce rapport à la culture. Comme le disait Marie, les cultures, elles sont aussi leur montrées peut-être différents exemples dans le passé, donc les expériences du passé peuvent nous nourrir. D'autres cultures, l'interculturalité, que dans d'autres pays, dans d'autres cultures, on voit les choses différemment. Et puis d'autres imaginaires, notamment par les par les récits ou les fictions, qui peuvent amener les élèves à avoir d'autres regards sur les possibles d'évolution du monde.

  • Hélène Audard

    Oui, ça se confronter à d'autres visions du monde, ça a aussi pas mal de bienfaits. On voulait juste vous demander de nous dire, parce qu'en fait tous les deux, on ne l'a pas forcément dit, mais vous êtes reliés par quelque chose entre autres, qui est un Léa autour de l'éducation au futur. Est-ce que vous pouvez nous en dire quelques mots, Marie ?

  • Marie Cadou

    Oui, alors Léa, ça veut dire lieu d'éducation associée. C'est un dispositif qui associe des chercheurs et des enseignants. Et en l'occurrence à l'ENSFEA, il y a un Léa qui a été monté il y a deux ans maintenant, Nicolas, on va rentrer dans la troisième année, et donc qui est tourné sur l'éducation au futur. Donc en fait, les enseignants qui font partie de ce Léa mènent des projets dans leur classe autour de l'éducation au futur et travaillent en collaboration avec des chercheurs. qui viennent observer certaines séances, interrogent les élèves et en fait les travaux menés viennent enrichir les travaux de recherche de ces chercheurs. Donc l'année prochaine sera la troisième année de ce Léa et c'est dans le cadre de ce Léa que j'ai mené les projets dont j'ai parlé tout à l'heure. Avec l'idée que j'avais c'était aussi de voir au-delà des projets ponctuels menés sur une année, de voir si en menant ces projets-là avec une classe, Sur de la seconde à la terminale, on pouvait voir aussi une progression, le fait qu'il y ait une récurrence dans l'exercice, même si les dispositifs sont différents, mais d'activer ce levier de la projection dans le futur, si le fait de le faire de manière récurrente, on pouvait voir une progression.

  • Régis Forgione

    Nicolas ?

  • Nicolas Hervé

    Juste quelques précisions, c'est sept établissements, sept lycées agricoles qui sont impliqués dans le réseau. C'est dix enseignants, c'est quatre chercheurs et c'est six disciplines différentes qui vont aussi bien du côté de l'enseignement professionnel et technologique, des enseignants d'agronomie ou de zootechnie, que des disciplines qui sont plutôt tournées vers la créativité comme l'éducation socio-culturelle. Et on a un blog, peut-être que vos auditeurs sont intéressés aussi pour justement, prendre connaissance des différents travaux qui sont menés et différents comptes rendus d'expérimentation pédagogique. Donc, on vous enverra le lien pour que vous le mettiez sur l'émission.

  • Hélène Audard

    Donc, on rentre directement dans le temps d'inspiration, parce que ça me paraît, ce blog, une très bonne source d'inspiration. Et je vous demande, Marie, pour commencer, quelle serait la référence que vous avez envie de partager avec nos auditeurs et auditrices ?

  • Marie Cadou

    Alors, je vais faire un peu dans la facilité, mais c'est une belle référence. En fait, dont je parlais avec Nicolas il y a peu, ce sont les travaux d'Olivier Hamand, qui est biologiste et qui est directeur de l'Institut Michel Serres, et qui, en fait, développe le concept de robustesse, en opposition à celui de la performance et de l'efficacité, en se basant sur le modèle de la nature. Il explique ce qui fait que la nature a une très forte capacité d'adaptation et de tenue dans le temps. C'est le fait, non pas qu'elle soit performante, mais le fait qu'elle soit robuste. C'est-à-dire qu'elle déploie des mécanismes qui peuvent être considérés comme parfois du gâchis ou du gaspillage. Mais c'est avec tous ces mécanismes qui sont d'une très grande complexité qu'elle construit sa robustesse et sa capacité. à tenir longtemps. Et donc, c'est un concept qui est très intéressant et qui me semble inspirant aussi quand on réfléchit à ce qu'on veut faire en termes d'éducation.

  • Hélène Audard

    Merci Marie, Nicolas.

  • Nicolas Hervé

    Alors moi, ce n'est pas un ouvrage scientifique, c'est plutôt un ouvrage de fiction. C'est un livre de Camille Le Boulanger, qui est un auteur de science-fiction de la nouvelle vague, on va dire, française, un jeune auteur, qui a écrit un livre qui s'appelle « Utopia » , et qui décrit l'histoire d'une personne depuis sa petite enfance jusqu'à sa vieillesse, dans un monde qui serait entré en transition, et dans lequel la propriété n'existe pas. plus, dans lequel on a refondé à la fois nos pratiques de consommation agricole et nos modes de vie etc. Et qui justement m'a beaucoup plu parce que c'est une source d'inspiration aussi pour montrer que bah oui en fait un autre monde est possible et que finalement les connexions aussi avec nos modes de vie actuelles paraissent pas non plus si orthogonaux. Donc ça peut nous donner l'espoir aussi que, oui, il est possible de changer notre société.

  • Hélène Audard

    Merci Nicolas. Alors très exceptionnellement, et parce que je pense que ça fera plaisir à Régis, je vais lui demander, parce qu'il y a une figure un peu tutélaire au-dessus de cet épisode qui nous a donné envie de faire cet épisode sur le futur. Donc je te laisse Régis nous donner cette inspiration.

  • Nicolas Hervé

    Oui, en deux mots, quelqu'un qui peut nourrir tous ces débats, je pense que vous ne nous direz pas non, chers invités, c'est Alain Damasio. On a, voilà, figure tutélaire de cet épisode, elle l'a dit Hélène, on pense à sa zone du dehors, à ses furtifs, qui imaginent justement, au-delà du technosolutionnisme, qu'il n'aime pas du tout, comment il dénonce ces choses-là et comment il imagine des futurs, des futurs qui chantent, malgré des technologies qui déchantent, je vais dire comme ça. Donc on aurait adoré qu'il soit là avec vous, d'ailleurs, tiens, pour échanger autour de cet épisode, peut-être dans un épisode du futur, Hélène.

  • Marie Cadou

    D'autant qu'Alain Damasio a fondé une école, l'école des vivants.

  • Régis Forgione

    Exactement, qui réfléchit à ces questions notamment. On se dirige gentiment vers la conclusion de cet épisode. Alors, que dire ? J'ai envie de dire une chose. On a parlé de capsule temporelle, on a parlé de crayon de papier, on a parlé de clé USB. Quel sera l'objet du futur ? Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, que c'est le crayon de papier et que le passé sera notre futur. Mais en tout cas, on a réfléchi à tout ça. Là, on a très envie de se dire que... cet épisode sera toujours légitime en 2100 et que quand vous l'écouterez, il sera éclairant. Nous, en tout cas, on va le mettre dans la capsule temporelle d'Extra Classe et on l'ouvrira le plus tard possible, Hélène, pour voir s'il fait encore toujours son oeuvre. Un grand merci à tous les deux, Marie Cadou et Nicolas Révé pour cet épisode et pour vos éclairages.

  • Hélène Audard

    Merci beaucoup à tous les deux. C'était Éducation au futur, futur de l'éducation, préparée et animée par Hélène Audard et Régis Forgione.

Chapters

  • Penser le futur pour transformer le présent

    02:43

  • Les méthodes pour éduquer au futur

    11:43

  • Pourquoi c'est si dur d'imaginer demain ?

    28:38

  • Inspirations

    43:10

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