Carole BergerAu début de ma carrière, je me suis plus protégée, sans doute, parce que je sais que les élèves nous cherchent sur les réseaux, googlisent notre nom, cherchent des photos, sont curieux. Puis quand on est proche en âge, quand on est un jeune professeur, la limite enfant-adulte, elle est assez ténue. Je sais que je suis proche de mes élèves, je leur parle beaucoup, beaucoup de moi, beaucoup de mes expériences, de mes enfants. Mais je garde la bonne limite, le bon seuil, sans leur donner les moyens de connaître ma vie personnelle. Parce que les élèves, ils ont quelquefois besoin de se confier, d'être entendus. Et après, on rentre dans une communication qui est trop intime et qui n'est pas de notre ressort. Parce que tout simplement, on n'est pas formé, on n'est pas des professionnels capables de leur répondre à ce niveau-là. Il ne faudrait pas aussi, par exemple, donner son numéro de téléphone personnel à l'enfant. Donc ça, ça reste de l'ordre de la communication avec les parents. C'est une façon de se préserver aussi, et de préserver son statut d'enseignant. En fait, on est dans le feu de l'action, et on doit réagir aux demandes des élèves, à leurs questionnements. Du coup, quelques fois, on peut dire un peu plus, ou alors on peut se dire, non, tiens, là, je ne vais pas aller sur ce terrain. Il faut que je me contrôle, il faut que je m'arrête. Donc c'est vrai que c'est quelque chose qui n'est pas fixe. et qui fait partie de notre expérience personnelle et de nos envies du moment, tout simplement, de partage ou pas. Tout ce qui va être de l'ordre des émotions, bien sûr, on va le donner aux élèves. Par exemple, quand on va lire un texte qui a envie de nous faire pleurer, c'est de l'ordre de l'intime, mais on peut pleurer en classe. Et ça m'est déjà arrivé, de pleurer par rapport à la lettre du journaliste qui écrivait sur la mort de sa femme pendant les attentats, par exemple. C'est de l'ordre de l'intime et je leur ai expliqué pourquoi, c'est parce que moi-même j'ai un petit garçon et que lui s'est retrouvé seul avec son petit garçon. Je pense que ça il faut le laisser aller parce que les élèves doivent aussi écrire et parler avec leurs émotions. Après, tout ce qui va être très personnel, de l'ordre du couple, de l'ordre des moments de week-end, des moments de vacances, de l'ordre aussi de l'émotionnel mais qui ne va pas par exemple quand on ne se sent pas bien. On peut dire aux élèves qu'on ne se sent pas bien, mais peut-être pas leur raconter pourquoi on ne se sent pas bien. Ça serait de l'ordre trop intime. Et puis, ça pourrait mettre les élèves mal à l'aise aussi. Il y a des élèves, en fait, quelquefois, sans qu'on le veuille, nous, on est modélisant en tant que professeur. Et du coup, il peut arriver que des élèves s'identifient à leur enseignant parce qu'ils le voient tous les jours et qu'ils sentent qu'ils peuvent se confier à eux. Et il ne faut pas trop être dans cette perspective-là. Parce qu'on peut être modélisant, mais il ne faut pas qu'on soit modélisant dans l'intime. Il faut qu'on soit modélisant dans le travail, dans la façon d'évoluer, dans la réussite des élèves, dans les compétences.