- Régis Forgione
Hélène, ne te leurre pas, tu ne feras jamais de sciences, toi.
- Hélène Audard
Non, Régis, tu n'iras pas aux toilettes maintenant, fallait y penser avant.
- Régis Forgione
Ou encore, j'ai mis les copies dans l'ordre du classement, comme ça au moins c'est clair.
- Hélène Audard
Et le fameux « c'est pas grave, c'était pour rire » .
- Régis Forgione
Des mots du quotidien, des gestes minuscules, des presque rien.
- Hélène Audard
On appelle ça des micro-violences éducatives. Des paroles, des attitudes, des oublis aussi, qui passent sous les radars, mais laissent des traces.
- Régis Forgione
Des noms qui ferment, des regards qui éteignent, des silences qui excluent. Et parfois la simple habitude d'une école qui parle trop et qui écoute trop peu.
- Hélène Audard
Mais il y a l'autre face de la médaille, les micro-attentions, ces petits gestes de rien du tout, qui eux, préviennent, voire réparent.
- Régis Forgione
Un, je t'écoute. Un, tu as raison de dire ça. Une main posée sur l'épaule, un mot bienveillant glissé à la fin du cours. Ce sont eux, les véritables petits moteurs du lien.
- Hélène Audard
Alors comment reconnaître ces micro-violences, comprendre pourquoi elles persistent et surtout comment les éviter ?
- Régis Forgione
Pour en parler, nous recevons deux invités, un maître de conférence en sciences de l'éducation et une inspectrice.
- Hélène Audard
Microviolence et microattention en éducation, c'est petit rien qui change tout. C'est parti !
- Régis Forgione
Laurent Muller, bonjour !
- Laurent Muller
Bonjour !
- Régis Forgione
Vous êtes maître de conférences en sciences de l'éducation au sein du laboratoire Interpsy à l'Université de Lorraine. Vous êtes co-auteur avec Jean-Michel Pérez de « Comprendre les microviolences en éducation », un impensé de l'institution scolaire, un livre paru aux éditions Champ Social, sur lequel on s'est largement appuyé pour construire cet épisode. Une question expresse pour vous. Quel a été le déclic qui vous a fait prendre conscience de l'existence de micro-violences dans l'institution scolaire ?
- Laurent Muller
Alors, il y a trois choses. Déjà, une sensibilité aux questions de la violence éducative ordinaire, initiée par les travaux d'Olivier Morel. Ensuite, une rencontre à l'université avec le professeur Jean-Michel Pérez, qui a attiré mon attention sur ce que Christine Schull appelle les douces violences. Elle a travaillé là-dessus dans les crèches. Et puis également, puisque j'ai été professeur de philosophie en lycée pendant 15 ans, des échanges avec mes élèves de terminale qui me rapportaient ce qui se passait dans d'autres classes et comment ils vivaient leur scolarité.
- Hélène Audard
Lucie Perrin, bonjour.
- Lucie Perrin
Bonjour.
- Hélène Audard
Vous êtes faisant fonction d'IEN ETEG, c'est-à-dire enseignement technique et professionnel et enseignement généraux, si je ne me trompe pas. Vous étiez auparavant professeur de lycée professionnel, formatrice académique ASH. Question aussi rapide pour vous, une micro-attention qui change tout pour vous, ça serait laquelle ?
- Lucie Perrin
Alors, difficile d'y répondre parce qu'il y en a tellement qui changeraient tout, mais j'ai envie de dire que ça se joue à l'accueil. Les premières minutes, ce bonjour qui n'est pas systématique. Au moment de rentrer en classe, on va attacher de l'importance au fait qu'il n'y ait pas de bruit, que les élèves rentrent dans le calme. Et finalement, on peut négliger, je ne dis pas que c'est systématique, mais on peut négliger ces cinq premières minutes où on va avoir un sourire, un bonjour. Voilà, pour moi, ce serait celui-ci. Ça va vraiment instaurer un climat de confiance et mettre les élèves dans de bonnes conditions pour poursuivre la séance.
- Régis Forgione
Merci. Je vous propose qu'on se lance tout de suite dans la première partie de l'émission : nommer pour mieux voir : micro-violence ou micro-attention. Alors, dans cette partie, l'idée, c'est un peu de comprendre les termes qu'on utilise. Et en commençant par vous, M. Muller, pourquoi ? Pourquoi ce mot de micro-violence et en quoi ce mot est important à faire exister pour le coup ?
- Laurent Muller
Alors les micro-violences, vous l'avez rappelé dès le départ, ce sont des presque-riens, mais précisément ce sont des presque-riens qui ne sont pas des riens. Ce sont des violences qui sont banalisées, qui passent en dessous du radar et qui consistent en des attitudes, en des mots, qui dégradent la personne à petit feu. Simplement, les micro-violences ne relèvent pas simplement des micro-violences de nature pédagogique. elles relèvent d'une dimension de nature institutionnelle qui fait que les enseignants peuvent être également victimes. Je rappelle qu'une des définitions possibles établies par Eliane Corbet des violences institutionnelles consiste à privilégier l'intérêt de l'institution sur l'intérêt des usagers. Donc l'idée des micro-violences, c'est que ça entrecroise différents niveaux d'analyse qui concernent aussi bien les relations interpersonnelles que la logique biopolitique. qui fait fonctionner l'institution, quand je parle de biopolitique je l'entends au sens de Michel Foucault, qui parle de gestion des flux de population qui sert à normaliser les corps et les pensées. Et dont les enseignants et les directions dans les établissements scolaires peuvent faire aussi les frais.
- Hélène Audard
Alors il y a quelque chose peut-être d'un peu étonnant et peut-être même choquant à parler de violence, qui serait le fait notamment des enseignants mais dont ils peuvent aussi être victimes. Lucie Perrin, quand vous êtes en formation et que vous parlez de ce type de violence, vous nous disiez que souvent les enseignants étaient un peu bouche bée quand on déroule la liste de ces gestes potentiellement blessants. Est-ce que vous pouvez nous dire un peu quelles sont les réactions que vous recueillez dans ces cas-là ?
- Lucie Perrin
Alors effectivement, quand je présente les travaux de Christophe Marsollier, qui est inspecteur général, sur la vulnérabilité et notamment la violence pédagogique ordinaire, il a recensé des faits qui sont venus d'élèves, vécus comme des violences pédagogiques ordinaires. Et c'est vrai que face à cette liste, les enseignants sont étonnés parce qu'ils se reconnaissent. Donc moi, j'essaye de rassurer en disant qu'il y a des tas de gestes professionnels qui se font dans un certain contexte et qui ne sont pas toujours maîtrisés. Et si tout était facile, on ne serait peut-être pas là aujourd'hui non plus. Il faut rassurer, on est humain, on a affaire à des humains, des élèves qui parfois sont imprévisibles et on réagit comme on peut. Par contre, conscientiser ces gestes-là, ça veut dire aussi pouvoir les maîtriser à l'avenir. Effectivement, l'idée, c'est de ne pas être dans le contrôle à chaque fois qu'on fait quoi. cours, mais en tout cas, avoir conscience que ces gestes-là peuvent avoir un impact sur l'élève. Effectivement, moi, je rejoins M. Muller sur le fait qu'on dégrade à petit feu l'état psychique de ses élèves par des petits gestes qui peuvent être différents au quotidien. Donc, c'est vrai que le retour, il est souvent, les enseignants sont étonnés et puis se disent jugés aussi parce qu'on met en lumière certains gestes qu'ils pratiquent, que j'ai pratiqués aussi. Donc, on essaye de rassurer en disant que là, on arrive à un stade où on conscientise et après, on agit.
- Régis Forgione
En termes d'impact sur les élèves, une petite remarque, un regard un peu de travers, un souffle exaspéré, ça peut marquer durablement un élève. Qu'est-ce qui rend ces petites blessures si impactantes, si puissantes ?
- Laurent Muller
Alors déjà pour commencer, l'âge des élèves, c'est-à-dire ils sont à un âge où ils sont en construction, donc on parle du devenir des élèves, ça c'est le premier point. Le deuxième point c'est que les violences, c'est un spectre dans lequel il y a la partie émergée de l'iceberg, ce qui est conscientisé, ce qui est objet de sanction, ce qui est conscientisé donc. Et il y a la partie immergée qui relève donc des micro-violences, ces violences qui sont invisibles, qui sont normalisées, banalisées. Et le problème de ces violences, micro ou macro, c'est qu'elles heurtent des besoins. Les besoins des élèves, les besoins des personnes humaines sont des nutriments psychiques qui, lorsqu'ils sont heurtés, produisent cette dégradation dont il a été question. Alors on peut, peut-être juste pour préciser les différents types de besoins, on peut s'appuyer sur les travaux notamment de Deci et Ryan qui évoquent les besoins d'autonomie, les besoins d'appartenance et les besoins de compétence. On peut peut-être juste en prendre un, le besoin d'appartenance, qui consiste en un besoin de se sentir respecté, reconnu, accueilli. Et lorsqu'il est heurté, ce besoin-là génère de l'isolement, qui est un des premiers facteurs de morbidité dans les pays occidentaux. Donc, c'est tout sauf anodin.
- Hélène Audard
Ça renvoie d'ailleurs à un épisode tout récent de Parlons Pratiques sur le sentiment d'appartenance. Et justement, quand vous faites appel à cette notion de besoin, c'est une façon peut-être d'objectiver ? Parce qu'en fait, quand même, la première chose qu'on se dit, c'est... Tout le monde est sensible à quelque chose d'une façon ou d'une autre. Est-ce que pour autant, on risque de blesser tout le monde à tout moment ? Où est-ce qu'on met ce curseur, Laurent ?
- Laurent Muller
C'est une excellente question qui consiste à essayer d'objectiver un petit peu la notion de violence de manière à éviter de lui donner un spectre purement subjectif. Ce qui d'ailleurs me fait dire qu'il ne faut pas rabattre la notion de micro-violence sur celle de micro-agression. Et bien précisément s'appuyer là-dessus sur les travaux de la psychologie, et notamment de la psychologie, je l'ai cité tout à l'heure, de Deci et de Ryan, qui ont fait des méta-analyses et qui ont estimé au terme de leur analyse qu'il y avait un certain nombre de besoins psychiques, de nutriments psychiques, pour reprendre leur vocabulaire, qui sont universellement partagés par les êtres humains et qui ont donc une consistance, on va dire, scientifiquement reconnue.
- Hélène Audard
Donc c'est ça qui permet de se dire que... On doit être attentif à ces nutriments psychiques. Lucie Perrin, ça vous parle, cette notion de besoin ? C'est ce sur quoi vous vous basez aussi ?
- Lucie Perrin
Oui, complètement. Moi, c'est le point de départ. De toute façon, on part des besoins de l'élève. C'est-à-dire que l'enseignant, quand il arrive dans sa classe, il veut transmettre, transmettre des connaissances, faire acquérir des compétences. Mais pour moi, l'essentiel, c'est de comprendre aussi comment il fonctionne, de quoi il a besoin pour acquérir ses compétences et ses connaissances. Il faut le prendre dans sa globalité. Alors effectivement, le retour des enseignants, c'est dire oui, mais je ne connais pas individuellement chaque élève. L'idée, ce n'est pas ça non plus, mais c'est de créer du lien avec ces élèves pour arriver à les mettre dans les meilleures conditions d'apprentissage possibles.
- Régis Forgione
Et comment on peut conscientiser justement ? Je raconte l'anecdote. Moi, je suis un ancien enseignant et puis un jour, j'ai mis une caméra au fond de ma classe et j'ai été choqué de voir certaines de mes attitudes me pensant extrêmement bienveillant. Mes élèves m'adorent, j'adore mes élèves. Enfin, plein d'enseignants se reconnaissent là-dedans. Et il y a des petits gestes, des choses comme ça, mais au-delà du fait de se filmer, comment prendre conscience, comment on peut faire prendre conscience à la communauté éducative de ces micro-violences, M. Muller ?
- Laurent Muller
Alors déjà, commencer par reconnaître que ce n'est pas parce qu'on est animé par une excellente intention qu'on dispose des outils, tout simplement pour pouvoir incarner cette bienveillance dont il est question. Et qu'à ce titre, la communication la plus ordinaire est en fait teintée de rapports de force. Tout simplement qu'on a engrammés en nous, qu'on a introjectés, pour reprendre la terminologie de Paolo Frere. Et cette introjection fait qu'on est dans une forme de reproduction sociale. Et à ce titre, il faut commencer par se rendre compte des micro-violences qu'on a subies soi-même déjà, et qu'on a ensuite très certainement générées. Et en disant cela, j'insiste, effectivement, je crois qu'il est crucial de... Pour moi, de rappeler que je ne suis pas exemplaire et que je n'ai pas prétention d'être exemplaire, que certainement, enfin, je sais que j'en ai commis à l'égard de mes élèves, certainement j'en commets encore aujourd'hui à l'égard de mes étudiants, et donc que c'est un travail sur soi qui doit s'engager et être en permanence réitéré.
- Hélène Audard
Oui, parce qu'il faut dire que, par exemple, quand on a parlé de cet épisode à des collègues, très vite, on se dit, bon, attention à ne pas culpabiliser, l'idée ce n'est pas de culpabiliser les collègues. Comment est-ce qu'on prend conscience, sans forcément passer par cette phase de culpabilisation ? Comment est-ce qu'on fait ça, Laurent Muller ?
- Laurent Muller
Effectivement, la tentation de la culpabilisation risque de conduire au déni. Au déni de tous ces mécanismes qu'on met en place également pour se protéger. Mais effectivement, le but de ces analyses sur les micro-violences consiste à nous responsabiliser, c'est-à-dire à reprendre des marges de liberté. et à éviter cette fuite en avant qui va entretenir finalement le cycle de la violence.
- Régis Forgione
On le faisait en introduction de cet épisode, et ça ne vient pas de nulle part, ça vient de votre livre comme on l'a dit. Il y a des ressorts un peu du quotidien qui sont le langage, les expressions toutes faites et l'humour, sans s'en rendre compte ou peut-être en s'en rendant compte de manière légère, qui sont des ressorts importants de ces fameuses micro-violences ?
- Laurent Muller
Oui, tout à fait. Alors là, ce sont les travaux de Hannah Arendt qui m'ont mis sur la piste, notamment lorsqu'elle évoque le cas Eichmann. Elle évoque cette capacité à l'automystification qui passe par le langage et qui est corrélée, d'après Hannah Arendt, à une incapacité ou des difficultés à penser. Et donc, en élargissant ces analyses, on s'est rendu compte qu'il y a des automatismes de langage qui constituent en quelque sorte des mécanismes de défense contre les réalités de ce qui est fait. Et qui donc, vous l'avez évoqué, consiste déjà dans des phrases toutes faites, c'est-à-dire des poncifs, du prêt-à-penser, qui autorisent la personne qui utilise ces phrases, qui l'autorisent à faire mal en quelque sorte, pour faire faire et pour faire penser. Et qui ont comme fonction d'invisibiliser ce que l'autre ressent. Alors on peut peut-être donner des exemples, même si vous l'avez déjà évoqué, mais on a la phrase fameuse qui a donné d'ailleurs lieu à un titre d'un ouvrage d'Alice Miller, et cette première formule, c'est « c'est pour ton bien » . On anticipe des conséquences favorables, on va s'autoriser finalement à faire mal pour le bien de l'autre. Une autre version, c'est tu me remercieras plus tard. On anticipe toujours les conséquences favorables et en général quand on entend ça, ce n'est pas bon signe pour la personne qui l'entend. On a d'autres choses, on a la version accusatoire, c'est à moi que ça fait mal par exemple. Alors qu'évidemment quand on dit ça, c'est qu'on s'apprête à faire mal précisément. Ou alors on a une espèce de fatalisme, on va dire sous couvert. je dirais pseudo-philosophiques, qui consistent à dire, c'est la vie, c'est comme ça. On n'a pas le choix. Ou alors d'autres stratégies qui consistent à minimiser. On n'en est pas mort quand même. Moi aussi, je suis passé par là et alors... Ou alors des techniques d'exagération. C'est bon, t'exagères. Ou au contraire, des techniques d'ironie. Voilà, mon pauvre chou, tu fais ta princesse, etc. Ce qui nous conduit finalement à la question de l'humour. Parce que derrière l'humour, on a cette possibilité de détruire l'autre. et en l'accusant de manquer d'humour s'il ne rigole pas à l'humiliation qu'il est en train de subir. Donc ça peut être particulièrement puissant, on va dire, ce vecteur de l'humour, d'autant plus que la culture populaire a quand même, je dirais, a quand même placé des personnages supérieurement intelligents, on peut penser à Doctor Who, par exemple, qui avaient cette capacité de manier l'humour, et qui donc pouvaient s'autoriser en quelque sorte également par leurs compétences pouvaient s'autoriser à humilier complètement leurs patients. Donc il y a quelque chose derrière la pratique de l'humour qui peut, qui ne l'est pas nécessairement bien entendu et heureusement, mais qui peut effectivement faire passer à des micro-violences que l'élève va introjecter très facilement.
- Hélène Audard
C'est des choses qu'on voit dans beaucoup de films aussi, de personnages d'enseignants dans des films. Lucie, vous voulez y réagir ?
- Lucie Perrin
Moi j'ajouterais aussi des mots que j'entends souvent au moment où on distribue une évaluation ou un exercice et l'enseignant va dire « allez-y, c'est facile » . Et là, vous avez des élèves qui se décomposent parce que la facilité, pour certains, elle est inaccessible. Et pour revenir à ce que vous disiez tout à l'heure sur cette prise de conscience, je pense qu'il faut qu'il y ait une forme d'acceptation aussi de l'enseignant, comprendre que ces gestes-là peuvent avoir un impact et qu'ils sont importants à prendre en compte. Donc, on peut faire une analyse réflexive de sa partie, on peut inviter des collègues dans nos cours pour nous faire réagir sur... sur certains fonctionnements qui seraient à revoir. Mais il faut accepter avant tout de faire bouger les choses. Et ça, c'est un travail qui est extrêmement compliqué. Arriver à dire, oui, effectivement, je n'ai pas la bonne intonation de voix, je n'ai pas le bon positionnement, je suis systématiquement debout face à mes élèves parce que moi, ça me sécurise. Il faut accepter de laisser de la place à l'élève dans sa classe. Et ça, c'est un vrai travail qui se fait dans la durée. Moi, je le vois en formation, je l'ai vu encore ce matin. C'est rassurant, en fait, d'être devant, de parler plus fort que l'élève. On avait une discussion sur le bonjour. Une enseignante qui nous disait, moi, je veux qu'ils me disent bonjour. Ils ne passent pas la porte tant qu'ils n'ont pas dit bonjour. Donc, il y a peut-être des combats à mener ou pas. Il y a peut-être des questions à se poser au-delà de ce qu'on a en tête aussi. Il faut voir un travail sur la durée par rapport à ces... à ces micro-gestes, micro-violences, micro-attentions, parce que ça touche vraiment à la professionnalité de l'enseignant. Et ce n'est pas simple.
- Laurent Muller
Oui, j'aimerais ajouter une chose. Je suis pleinement d'accord avec ce qui vient d'être dit. Et je dirais que peut-être le meilleur moyen de parvenir à prévenir ces micro-violences consiste à laisser la parole aux élèves, à leur laisser la possibilité de s'exprimer et de dire leurs ressentis. Et effectivement, personnellement, en tant qu'enseignant de philo, ça m'est déjà arrivé parfois de faire ce que j'estimais être de mon côté des bonnes blagues, etc. Un petit peu critique, mais qui me paraissait être bien animé par des bonnes intentions. Et une fois, j'avais le sentiment d'avoir été trop loin. Et j'ai dit aux élèves, je suis peut-être allé un peu trop loin. Et là, les élèves se sont autorisés à me dire, oui, en effet. C'est là vraiment que j'ai pris conscience qu'il y avait potentiellement un écart, voire un gouffre entre ma représentation de ce que j'étais en train de faire et... comment c'était réceptionné ?
- Hélène Audard
On va rentrer dans une deuxième partie, justement, on va aller un peu plus loin, comprendre pourquoi c'est si difficile cette prise de conscience et donc comprendre les logiques qui entretiennent les gestes. L'idée, c'est qu'on explore un peu ces ressorts systémiques, culturels, psychologiques qu'on a déjà un peu perçus dans ce que vous nous avez décrit. Laurent Muller, vous évoquez un métier de conformisme et de soumission à l'autorité. Alors c'est peut-être un peu sévère, mais est-ce que c'est cela qui, selon vous, nourrit les micro-violences à l'école ?
- Laurent Muller
Oui, absolument. L'idée ici vient des expériences célèbres de Stanley Milgram sur la soumission à l'autorité et sur ce qu'il nomme techniquement la conversion à l'état agentique. C'est un état dans lequel on ne se sent plus à l'origine de son action et on s'en remet à une volonté étrangère qu'on considère légitime. Donc on devient littéralement un agent d'exécution. et la tentation est très forte pour un agent qui intègre ce grand corps qu'est l'éducation nationale de... de se soumettre à l'autorité, ou est-ce qu'ils croient être l'autorité, et avec une grande difficulté à faire dissidence, ce qui conduit à une forme de culture, de la reproduction des attitudes. Surtout, si je peux me permettre, que les enseignants ont été sélectionnés, on va dire, par rapport à cela, et ce sont des survivants du système scolaire. Donc à ce titre, ils sont porteurs d'un biais particulier. J'aimerais ajouter aussi l'idée que les normes scolaires ne sont finalement que des normes qu'il faut faire vivre pour en faire des valeurs. et être au service du devenir humain. Donc il y a une appropriation de ces normes à faire, de la part des enseignants, et de la part d'ailleurs de tous les acteurs du système éducatif.
- Régis Forgione
Madame Perrin, vous qui avez travaillé ou travaillez encore dans l'ASH, et notamment auprès de Segpa, est-ce qu'il y a une autre vision de l'élève ? Est-ce que cette notion de micro-violence systémique est différente ? Elle n'existe pas, du fait que justement on est dans un système et une vision un peu différente de ces élèves ?
- Lucie Perrin
Alors effectivement, avec le temps, elle existe moins parce qu'on apprend à fonctionner avec ces élèves-là qui, eux, ont un fonctionnement différent qu'une classe, on va dire, même si je n'aime pas trop le terme, mais ordinaire. Quand on est dans le spécialisé, j'ai envie de dire, on est un peu dans la maîtrise de tous ces gestes parce qu'on sait que les répercussions peuvent être plus importantes parce qu'on a des élèves plus vulnérables, plus fragiles. Donc, on va faire davantage attention à ces gestes et on cherche tout de suite à créer du lien. On sait que si on veut faire passer quelques compétences que ce soit, on est obligé de créer du lien, on est obligé de les motiver, de les enrôler. Donc, on est déjà dans une pédagogie qui va être différente. Après, pour les jeunes enseignants que j'accompagne, qui arrivent en SECPA, qui ont une représentation du système scolaire qui renvoie à leur propre expérience d'élève. C'est vrai qu'on a envie de fonctionner de manière classique. On est plein d'attentes et les lignes bougent parce que ces élèves-là n'adhèrent pas forcément et parce qu'on se rend compte que si on ne change pas sa pratique, à un moment donné, on n'arrivera pas à avancer avec ces élèves. Donc, j'ai envie de dire que pour ces enseignants spécialisés, pour la plupart qui interviennent en SECPA, oui, il y a un fonctionnement qui va être différent. Après, le fonctionnement, il est différent aussi parce qu'on a un groupe classe. qui est réduit. On a 16 élèves, donc les espaces de parole sont privilégiés parce qu'on a une bonne connaissance de l'élève aussi bien dans son environnement familial. C'est une proximité qui est différente et qui permet aussi de fonctionner autrement.
- Hélène Audard
Du coup, ça met quand même en relief le rôle de la forme scolaire, c'est-à-dire que si on est 30 dans une classe ou 16, ben les micro-violences, peut-être, le terrain, disons, va être peut-être favorisé ou pas. Laurent Muller, c'est quoi l'influence de, effectivement, cette forme scolaire dans toutes ses dimensions, le temps, l'espace ?
- Laurent Muller
Vous venez de le citer, effectivement, le rapport à la temporalité est un rapport crucial pour penser les micro-violences et les micro-attentions, c'est-à-dire ces micro-gestes. Une des manières de penser les micro-violences consiste à dire qu'on privilégie, finalement, la gestion du temps collectif sur la gestion du temps propre de chaque élève. Donc à ce titre, effectivement, dans une classe de 30 ou de 35, comme ça arrive en terminale générale, la gestion du temps collectif est prioritaire et les besoins propres de l'élève sont laissés un petit peu dans l'implicite, pour ne pas dire autre chose. Et donc, dans nos analyses, notamment dans « Comprendre les micro-violences en éducation » de 2024, avec Jean-Michel Pérez, on a appuyé l'idée que les micro-violences, il y avait une dimension de temporalité, de rapport au temps qui était vraiment cruciale. Et c'est quelque chose que Christine Schull avait déjà remarqué au niveau des crèches, quand une espèce d'injonction à l'efficacité, par exemple dans le fait de finir les programmes, quitte à parfois peut-être aller finir seul dans les classes à examen, et qui peut être générateur finalement de micro-violences, puisqu'on laisse en ombre la question on va dire des besoins d'apprentissage qui sont ceux des élèves en propre.
- Régis Forgione
Quand on arrive avec ce discours auprès d'enseignants et de cette notion de micro-violence, on l'a tous vécu et on est en autodéfense tout de suite à se défendre, vous le disiez un peu tout à l'heure, mais qu'est-ce qu'on protège en faisant ça ? Qu'est-ce qu'on essaye d'empêcher pour le coup ?
- Laurent Muller
On protège une manière de faire qui a fonctionné pour nous puisqu'on en est là quand on est enseignant. Comme je l'ai dit tout à l'heure, on est des survivants du système scolaire et on protège donc une manière de penser le rapport, une manière d'exercer sa professionnalité parce que c'est extrêmement confrontant de regarder en face déjà peut-être ce qu'on a subi et de regarder également en face ce qu'on a pu faire subir aux autres. Donc cette confrontation, ça a été évoqué. risque de dégénérer en culpabilité et c'est le pire obstacle finalement à la conscientisation des micro-violences. Parce que cette culpabilité risque de générer, de renforcer les mécanismes de défense qui ont été présentés précédemment.
- Hélène Audard
Lucie Perrin, c'est quelque chose que vous travaillez, vous par exemple, maintenant que vous êtes inspectrice, c'est une chose que vous observez, mais à laquelle vous travaillez aussi, ce respect du temps individuel, à la fois le temps de l'enseignant et celui des élèves, par exemple ? Ces facteurs un peu, on va dire, qui suscitent des micro-violences ?
- Lucie Perrin
En tout cas, quand on vient dans les classes pour des visites conseils ou des rendez-vous de carrière, on ne s'attache pas uniquement à vérifier que l'enseignant met en œuvre un référentiel, qu'il est dans les clous au niveau des examens. Il faut prendre vraiment la mesure des choses et se dire qu'on est sur les compétences académiques, mais aussi on lui fait prendre conscience qu'il y a d'autres enjeux. Et donc on peut mettre en lumière effectivement ces micro-gestes qui pourraient apporter, qui pourraient lui permettre de faire évoluer sa pratique. Moi je suis des enseignants des filières de l'alimentation, des professeurs de lycées professionnels, ce sont des experts de leur discipline. sauf cas exceptionnels, erreurs de recrutement, mais on en est rarement là. Mais en tout cas, je leur fais confiance sur les compétences professionnelles. Par contre, les amener à prendre conscience que les compétences transversales sont tout aussi importantes, ça, c'est notre rôle en tant qu'IEN. Et c'est vrai que rédiger un rapport en les mettant en avant, ces compétences-là, ça peut être aussi une prise de conscience.
- Régis Forgione
Et Lucie, vous disiez en préparant cette émission que sur ces questions, il faut faire preuve de beaucoup d'humilité.
- Lucie Perrin
Complètement, je pense que c'est pour tout sujet, j'ai envie de dire. À un moment donné, effectivement, on a été nous aussi à l'origine de gestes qui ont pu générer du stress chez les élèves. Je pense que quand on débute, on a tendance à avoir un ton de voix plutôt élevé, le « c'est facile, tu vas y arriver » , je pense que c'est plutôt courant. Alors classer les copies, moi j'en étais pas là parce que je pense que je l'ai mal vécu aussi en tant qu'élève, donc ça nous renvoie aussi à notre vécu. Oui, il faut être prudent quand on aborde ces points-là parce qu'on peut vite décourager aussi, c'est-à-dire qu'il ne faut pas non plus pointer tout ce qui ne va pas. On est rassurant et puis on vise une évolution. On ne fait pas le procès en formation de ces enseignants qui ont toutes les mauvaises pratiques. Il faut toujours repositionner aussi les choses dans leur contexte. C'est-à-dire qu'à un moment donné, on peut être excédé par certains comportements d'élèves, c'est sûr. On ne gère pas des machines. On est avec des adolescents, des enfants qui ont eux-mêmes des vécus qui ne sont pas toujours très simples. Il faut en tenir compte. Donc, les réactions parfois des enseignants, elles sont justifiées. Ce n'est pas quelque chose de stable. Ce sont des choses qui évoluent et qui évoluent en fonction d'un contexte.
- Régis Forgione
Et bien je vous propose, puisque vous nous offrez sur un plateau d'argent la transition vers la troisième partie de l'émission, transformer sans culpabiliser avec les micro-attentions. Et l'idée de cette partie c'est effectivement d'ouvrir des pistes concrètes, montrer qu'il est possible de transformer, de se transformer. Et une piste que vous travaillez beaucoup Laurent Muller, c'est la communication non-violente, en quoi elle peut aider ?
- Laurent Muller
C'est un processus qui a été mis au point par Marshall Rosenberg, un psychologue humaniste, et qui propose un processus qui se donne comme objectif de faire de la clarté sur un ensemble de pratiques, de langages, qui sont susceptibles d'induire à son corps défendant de la violence. Donc c'est-à-dire que l'idée de la communication non-violente, c'est que nous sommes micro-violents sans nous en rendre compte. Et ce processus, je crois qu'il y a un point sur lequel il faut que j'insiste tout de suite, c'est que ce n'est pas un processus miraculeux. C'est-à-dire que ce n'est pas un processus qu'on... pourrait observer qu'il produirait de lui-même automatiquement des résultats positifs s'il n'est pas irrigué par une culture éthique de l'attention. Mais cependant, c'est un processus qui est vraiment susceptible d'être efficace lorsqu'il est approprié, lorsqu'il est maîtrisé par les enseignants, qu'on ne peut pas toujours utiliser, mais qui permet de faire le point en quelque sorte et de se détacher précisément des pratiques qu'on a l'habitude d'utiliser.
- Hélène Audard
Lucie Perrin, je ne sais pas si vous êtes familière de cette communication non violente, mais en tout cas vous êtes plus familière de cette attention aux vulnérabilités. Quels sont selon vous les outils, enfin quels outils vous utilisez pour être dans cette démarche ?
- Laurent Muller
Je pense qu'après, c'est plein de petits gestes au quotidien. La voix, le regard, l'attention qu'on peut porter aux élèves, un mot sympathique, essayer de détecter des signaux qui peuvent nous alerter sur l'état d'un élève. Voilà, être à l'écoute, en fait. Mais c'est très global. Alors, dit comme ça, ça paraît très simple. Dans un contexte de classe, c'est un petit peu plus compliqué, mais c'est se montrer. se montrer avec une certaine forme d'humanité. En fait, on n'est pas que le prof, on est aussi celui qui peut comprendre.
- Régis Forgione
Mais c'est vrai que ça, c'est une attitude que certains enseignants vont peut-être ne pas oser prendre en se disant « ce n'est pas mon rôle » ou « je sors finalement de ma posture » . Donc, comment est-ce qu'on concilie ça, cette posture d'autorité peut-être qu'on cherche à conserver et puis cette attention, cette bienveillance ? Lucie, peut-être si vous avez des pistes par rapport à ça ?
- Lucie Perrin
C'est vrai que c'est le retour qu'on a parfois de certains enseignants en disant oui, mais si on accorde 10 minutes à chaque séance, en début de séance, à laisser la parole aux élèves, c'est 10 minutes de moins sur le cours. Et si je ne finis pas le programme, on retombe toujours dans les mêmes schémas. À un moment donné, se dire que ce temps qu'on va accorder aux élèves est du temps de gagner pour la suite, parce que derrière, il y aura un climat de confiance et que les apprentissages vont être facilités. C'est le dire, mais après il faut que les enseignants expérimentent, il faut oser. Je le disais encore ce matin, c'est votre laboratoire, tentez des choses, allez-y. Faites-vous plaisir en enseignant. Sortez de vos compétences académiques, osez des choses.
- Régis Forgione
On vous voit acquiescer, M. Muller ?
- Laurent Muller
Oui, tout à fait. Je voudrais rebondir là-dessus. Par rapport à la question du temps, c'était Jean-Jacques Rousseau qui écrivait dans Émile ou de l'éducation que le paradoxe de l'éducation, le plus important paradoxe en éducation, ce n'est pas de vouloir gagner du temps, c'est de savoir en perdre. Et précisément, lorsqu'il vient d'être évoqué l'idée de perdre du temps, de perdre 10 minutes en début de cours, à demander simplement aux élèves comment ça va, comment est-ce que vous vous portez aujourd'hui, ce n'est pas du temps perdu. Parce qu'on croit que c'est du temps perdu sur les apprentissages, mais en fait, si on met les élèves en condition d'apprentissage, on va dire en condition qui favorise le bien-être, tout simplement, où ils peuvent exprimer et faire remonter des besoins particuliers qu'on ne peut pas deviner. tout simplement parce qu'on n'est pas dans leur tête, on ne peut pas le savoir si on ne leur demande pas et si on ne leur laisse pas la parole, et bien cette perte de temps, entre guillemets, c'est précisément ce qui va nous en faire gagner et ce qui va nous faire gagner énormément au plan des apprentissages. J'aimerais ajouter encore autre chose par rapport à cette question des micro-attentions. Si on veut être, on va dire à un niveau même institutionnel, si on veut que les élèves puissent se nourrir de ces micro-attentions prodiguées par les enseignants, il faut que l'institution puisse également soutenir les enseignants, c'est-à-dire ce monde micro-attentif vis-à-vis de ces enseignants-là. Ce qui veut dire, pour le dire encore autrement et pour rebondir sur ce qui a été dit encore précédemment, la bienveillance, lorsqu'elle est bien ordonnée, elle doit commencer par soi. Les enseignants doivent commencer par prendre soin de leurs besoins, s'ils veulent ensuite pouvoir prendre soin des besoins de leurs élèves.
- Régis Forgione
Et entre guillemets, quand le mal est fait, quand on... Quand on a mis en œuvre, quand on a perpétré une micro-violence, est-ce qu'on peut la réparer ? Est-ce qu'il y a des mécanismes pour revenir et corriger les choses quelque part ?
- Laurent Muller
Alors, déjà pour commencer, je vais rebondir sur votre terme. Je trouve que le terme réparer ne convient pas parce qu'on est dans un paradigme mécaniste. Et lorsqu'il est question de relations interpersonnelles, lorsqu'il est question du vivant, on ne répare pas, on essaie de raccommoder, on essaie peut-être de restaurer, on essaie de régénérer quelque chose. Donc ce n'est pas quelque chose de mécanique avec une solution clé en main. C'est-à-dire que c'est la réserve que j'ai par rapport au processus de communication non-violente. Une solution mécanique, en quelque sorte, ne peut pas fonctionner. Ceci dit, oui, je suis absolument convaincu qu'il est tout à fait, non seulement possible, mais qu'il est même précieux d'essayer de restaurer quelque chose, de restaurer une qualité de confiance, en fait, une qualité de relation. Et ça commence tout simplement par la reconnaissance explicite, peut-être, de ce qui a été fait, et de présenter, je sais que ça peut paraître surprenant, mais de présenter simplement ses excuses. Lorsqu'on s'est trompé, parce que, eh bien voilà, Charité Bien-Ordonné commence par soi-même, eh bien, il en va de même de la bienveillance, il en va également de même des micro-violences qu'on peut peut-être, à son corps défendant, répandre. Commencer par les reconnaître, les conscientiser, mettre les mots dessus. Voilà, parce que c'est avec les mots, M-O-T-S, eh bien qu'on pourra commencer à soigner les mots M-A-U-X qui peuvent se répandre au sein des relations interpersonnelles entre élèves et enseignants.
- Hélène Audard
Lucie Perrin, je pense que dans votre expérience, que ce soit en SEGPA et dans l'enseignement professionnel de manière générale, j'imagine que vous êtes face à des élèves qui ont vécu pas mal de ces micro-violences, qui ont un passif, on va dire, un passé en tout cas peut-être un peu compliqué avec ça. C'est quelque chose que vous avez vu, vécu et comment est-ce que vous les prenez ces élèves-là ?
- Laurent Muller
Oui, effectivement, on a des élèves qui ont des parcours. cours compliqués qui arrivent au collège avec plein d'appréhensions, avec une démotivation, démobilisation. Il faut les raccrocher au système scolaire pour certains. J'ai aussi travaillé avec un groupe d'élèves décrocheurs. Ils n'y croient plus en fait parce qu'à un moment donné, c'est ce qu'on disait tout à l'heure sur la motivation, mais le besoin de compétence n'est plus du tout soutenu. C'est-à-dire qu'à un moment donné, on va enchaîner des notes qui vont être très mauvaises, on va s'absenter, donc on n'est même plus plus évaluées, on n'y croit plus. Donc, il y a un gros travail à faire pour les accrocher ou les raccrocher, ces élèves-là. Donc, effectivement, il faut tenir compte de leur vécu scolaire à ces élèves-là. Si on veut construire l'avenir, il faut tenir compte de ce qui s'est passé parce qu'à un moment donné, c'est ce pourquoi ils en sont là. Et leur rapport aux apprentissages, elle s'explique. Il y a toujours des raisons. Mais si on veut les rassurer, effectivement, il va falloir les mettre dans les meilleures conditions possibles. Il faut qu'eux arrivent à comprendre aussi ce qui a pu jouer ou pas. et puis avancer en fait, leur laisser quand même une porte grande ouverte en leur disant il y a encore de l'espoir, il y a encore des compétences à acquérir, rien n'est perdu, ce serait dommage de baisser les bras parce qu'on va aller chercher en vous des compétences que d'autres ne sont peut-être pas allées chercher encore et nous on va y aller, on a 4 ans au collège, que ce soit en CEQPA ou après en lycée professionnel, on va aller chercher ces compétences-là.
- Hélène Audard
Ce que je trouve fou, c'est qu'en fait dans tout ce que vous dites, ça croise beaucoup de... thématiques qu'on a abordées, effectivement, le décrochage, le sentiment d'appartenance, la punition, la sanction. En fait, ces micro-violences, elles croisent énormément de thématiques qu'on a traitées dès qu'on parle de ce qui se passe au quotidien, finalement, dans des classes. Alors, on aimerait vous demander pour, parce qu'on arrive en fin d'épisode, une inspiration. Quelque chose qui pourrait nous aider à mieux comprendre, peut-être à mieux agir, en tout cas micro-agir. Laurent Muller, pour commencer, votre inspiration ?
- Laurent Muller
Alors moi je pense à la psychologie humaniste, je pense à Carl Rogers, je pense à Marshall Rosenberg, donc le fondateur de la communication non-violente, dont le processus, quand bien même il ne peut pas être tout puissant, peut nourrir une approche vraiment attentive, attentionnée. on va dire, dans la relation aux élèves, et c'est précisément ce dont ils ont besoin. Et je dirais même, de manière générale, savoir prendre le temps. Donc, voilà, prendre le temps d'écouter les élèves, parce qu'en fait, ils ont tout à nous apprendre par rapport à cette question-là.
- Hélène Audard
Merci Laurent. Lucie ?
- Lucie Perrin
Eh bien, moi, je ferai référence aux travaux de Rebecca Shankland, qui travaille sur le bien-être à l'école. Moi, ça a été une grande source d'inspiration pour... Alors, pour m'inspirer... Pour nourrir ma propre pratique d'enseignante et puis aussi de formatrice, montrer que les élèves passent du temps en classe, ils passent du temps avec leurs enseignants, ils voient parfois plus les enseignants que leur propre famille dans une journée et que ces temps-là, ils doivent être privilégiés, ils doivent être de qualité. On doit les comprendre, on doit leur laisser du temps. Il faut sortir des fois de tout ce qu'on a en tête pour garder un cadre ferme. Il faut avant tout de la bienveillance et veiller à une qualité dans le rapport qu'on peut avoir à l'élève.
- Hélène Audard
Merci beaucoup, c'est très inspirant, effectivement, tout ce que vous nous avez dit là. Et je laisse la conclusion à Régis.
- Régis Forgione
Pour une fois, Hélène, en forme de conclusion, j'ai envie de demander à nos poditrices et poditeurs, posez-vous, vous venez d'écouter cet épisode, prenez un post-it, je n'ai pas une note sur votre smartphone, et demandez-vous quelles sont les micro-attentions, les micro-violences que vous mettez en œuvre ou que vous vivez au quotidien et demandez-vous ce que vous... ce que vous pouvez en faire. Vous voulez rebondir sur ça, M. Muller ?
- Laurent Muller
Oui, tout à fait. C'est-à-dire, à l'Université de Lorraine, il y a une enquête qui vise justement à recueillir des témoignages qui nous permettent de travailler dessus et de pouvoir comprendre de manière plus fine ce qui se trame à travers ces micro-violences et ces micro-attentions.
- Régis Forgione
Eh bien, on va mettre cela dans les notes de l'émission. Un grand merci, Lucie Perrin et Laurent Muller, d'avoir partagé vos expertises, connaissances et compétences autour de cette notion dont on avait très envie de parler avec Hélène dans cet épisode. Merci beaucoup.
- Hélène Audard
Merci à tous les deux.
- Régis Forgione
Merci. Merci à vous.
- Hélène Audard
C'était micro-violence et micro-attention en éducation, ces petits riens qui changent tout. Préparé et animé par Hélène Audard et Régis Forgione.