- Régis Forgione
Bien content de te retrouver Hélène, ainsi que toutes nos poditrices et tous nos poditeurs. Et tu as raison, c'est justement de ça qu'on parle aujourd'hui, de ce petit truc en plus, pas si petit. qu'on appelle le sentiment d'appartenance, ce lien un peu invisible mais qui change tout.
- Hélène Audard
Oui, et qui nous fait dire je suis à ma place ici, on me voit, je compte, je fais partie du groupe. Et ça, ce n'est pas juste du confort émotionnel, c'est un vrai levier de réussite, de motivation, voire un rempart contre le décrochage.
- Régis Forgione
Et ce sentiment-là, il ne tombe pas du ciel, il se construit, ou pas. Alors on a voulu comprendre comment naît ce sentiment d'appartenance en contexte scolaire, comment on peut le cultiver. Et qu'est-ce qui peut l'abîmer ?
- Hélène Audard
Et pour ça, sont avec nous un chercheur expert de cette thématique, un proviseur d'un lycée lyonnais où l'appartenance est bien plus qu'un mot dans un projet d'établissement. Et nous entendrons aussi une professeure de collège qui a lancé un système de maisons dans son établissement.
- Régis Forgione
Bref, dans cet épisode, on explore l'école comme un lieu, mais surtout comme un lien. Bienvenue dans Parlons Pratiques, le sentiment d'appartenance, moteur discret, mais puissant pour la réussite. Jean Heutte, bonjour.
- Jean Heutte
Bonjour.
- Régis Forgione
Vous êtes professeur des universités en sciences de l'apprentissage des adultes et directeur adjoint de l'équipe Trigone-Cirel, le centre interuniversitaire de recherche en éducation de Lille, de la faculté de psychologie, des sciences, de l'éducation et de la formation de l'université de Lille. Est-ce que j'ai juste jusque-là ?
- Jean Heutte
Tout à fait.
- Régis Forgione
Alors, question express pour commencer cet épisode. Le contraire du sentiment d'appartenance, ce serait quoi ?
- Jean Heutte
Alors, d'abord pour dire que cette question n'est pas évidente pour un chercheur, pour une raison simple, c'est que généralement on ne définit pas les choses par leur contraire. Mais du coup je me suis prêté à l'exercice. Et donc je vais revenir sur la recension exclusive des écrits, sur le travail de Roy Baumeister et de Marc Leary, paru en 1995. qui reste un article de référence sur cette recension et sur ses travaux, qui souligne en fait plusieurs émotions vécues, tant positives que négatives, qui sont liées au sentiment d'appartenance sociale. Et donc le sentiment d'être accepté et compris par les gens qui nous entourent génère des émotions positives comme le bien-être, la joie ou le contentement, alors que le sentiment d'être rejeté, exclu ou ignoré par les autres mène à des émotions négatives. telles que l'anxiété, la dépression, la solitude et la jalousie. Donc en paraphrasant Roy Baumeister et Marc Leary, je dirais que le contraire du sentiment d'appartenance, ça tient probablement au sentiment d'être rejeté, exclu ou ignoré par les autres.
- Hélène Audard
Pierre Ronchail, bonjour.
- Pierre Ronchail
Bonjour.
- Hélène Audard
Vous êtes proviseur du lycée Dr Charles Mérieux à Lyon, un lycée tout récent qui a ouvert ses portes en 2021 et dont vous avez été le premier chef d'établissement. Petite question rapide pour vous aussi, est-ce que l'expression culture d'établissement vous parle et qu'est-ce que vous y mettriez ?
- Pierre Ronchail
Alors culture d'établissement oui bien évidemment ça me parle, moi je dirais que cette culture d'établissement elle est basée sur un lieu, sur une histoire écrite et à écrire et sur une adhésion à un projet.
- Régis Forgione
Allez je vous propose qu'on se lance dans le premier temps de cette émission, le sentiment d'appartenance ça veut dire quoi ? L'idée là c'est vraiment de jeter un petit peu les bases théoriques et quelques éléments pratiques du sentiment d'appartenance avec une première question là pour le coup qui va vous faire plaisir, j'espère monsieur Heutte, définitoire. Comment est-ce qu'on définit réellement ce sentiment d'appartenance et spécifiquement en contexte scolaire puisque c'est ce qui nous intéresse ?
- Jean Heutte
Alors je reviens donc sur l'article paru en 95 de Roy Baumeister et Marc Leary, cet article c'est vraiment un article de référence, unanimement reconnu par la communauté scientifique, qui permet de mettre en évidence que le sentiment d'appartenance d'une personne peut avoir un impact considérable sur ses émotions physiques, émotionnelles, psychologiques, voire même spirituelles. Et donc, l'appartenance est une motivation humaine si fondamentale que le fait de ne pas en faire partie entraîne de graves conséquences. C'est le sentiment d'être accepté et compris par des gens qui nous entourent. C'est, si on peut dire, cette base première. Et donc, pour montrer l'importance de ces éléments-là, il y a eu un autre article intéressant de Catherine Finkenauer et aussi de Roy Baumeister, qui est paru en 1997, qui indique qu'en fait, ils ont fait une grosse revue de littérature aussi sur l'effet des variables subjectives sur le bonheur. Et en fait, ce qui ressort de cette recension, c'est que finalement, si on cherche les variables, pour le coup, objectives sur le bonheur ou le bien-être, en fait, on peut écarter tout ce à quoi la plupart d'entre nous peuvent essayer de courir, qui pourrait être la gloire, la fortune, le fait de posséder de nombreux biens matériels. Alors, bien évidemment, j'évoque une culture occidentale dans laquelle les besoins physiologiques de base sont satisfaits. On parle ici strictement des besoins psychologiques de base. Et donc, parmi tous les besoins fondamentaux, en fait, il y en aurait qu'un seul qui apparaît objectivement, c'est que les personnes qui n'ont pas un petit réseau d'amis sont rarement des personnes qui sont en bonne santé mentale, psychique ou personnelle. Et donc on insiste très fortement sur le fait que c'est vraiment un ressenti. Et dans ce ressenti, en fait, il y a plusieurs éléments qui vont rentrer en ligne de compte. C'est notamment sur le sentiment d'acceptation et le sentiment d'intimité. Et il y a aussi quelque chose qui tourne autour de la qualité des relations interpersonnelles, qui peut être un point de départ, sachant que, généralement, la qualité des relations interpersonnelles indique aussi un état personnel et psychique qui peut être moins stable, puisque, généralement, quand les personnes vont mal, elles vont avoir tendance à penser que c'est lié à une mauvaise qualité des relations interpersonnelles avec les autres.
- Régis Forgione
Merci. Alors ça c'est une vision définitoire très large du sentiment d'appartenance, et spécifiquement dans le domaine scolaire alors ?
- Jean Heutte
Là pour le coup, il y a des travaux de Carol Godnew et Kathleen Grady en 93 qui définissent en fait l'appartenance à l'école en tant que telle, comme la mesure dans laquelle les élèves se sentent personnellement acceptés, respectés, inclus et soutenus par les autres dans l'environnement social scolaire. Et donc, dans une recension assez récente, enfin 2018, Kelly Allen et ses collègues, à partir de 623 articles scientifiques, en fait, elles ont pu mettre en évidence que l'appartenance à l'école est considérée comme une construction multidimensionnelle complexe, avec beaucoup de définitions qui se croisent, qui se mélangent et qui ne sont pas toujours stabilisées, centrées sur l'appartenance à l'école, le lien scolaire, l'engagement des élèves, l'attachement à l'école, la communauté scolaire, le climat scolaire, l'orientation vers l'école ou encore la connectivité scolaire. Donc au final, Kelly et ses collègues vont conclure qu'une certaine incohérence de la terminologie a fortement décousu et affaibli finalement les recherches qui les concernent. Mais quoi qu'il en soit, il semble déterminant que l'enfant se sente incompétent au niveau académique, deux, socialement lié et valorisé, et enfin relativement autonome. Et je veux juste conclure sur cette première partie, parce qu'en fait un outil a été développé, qui est le sentiment psychologique d'appartenance à l'école. Et c'est intéressant parce que la version française a été publiée en 2024, donc c'est assez récent : Christine Sanchez, Louise Bossard et Nathalie Blanc, sur une validation d'échelle du sentiment sur l'école. C'est un outil qui peut permettre d'appréhender cet aspect d'une façon relativement pratique, notamment pour la communauté éducative.
- Hélène Audard
Le sentiment d'appartenance, on comprend bien que c'est une notion qui est très systémique, qui est liée à bien d'autres. On parle souvent de bien-être à l'école, de climat scolaire. Mais Pierre Ronchail, vous, dans le projet d'établissement de votre lycée, le sentiment d'appartenance, il a vraiment été posé en tant que tel. Alors dites-nous un petit peu pourquoi, comment vous avez construit ce projet ?
- Pierre Ronchail
Alors d'abord, je reprécise et vous l'avez dit Hélène, que le lycée a ouvert en 2021. C'est un lycée qui n'avait pas d'histoire et l'histoire a dû commencer à être écrite. Et effectivement, c'est le projet d'établissement parce que c'est le document fédérateur, on va dire, en tout cas c'est comme ça qu'on l'envisage au lycée, qui va être la base de la création de ce sentiment d'appartenance. Je rebondis sur ce que disait Jean-Euth, il faut que les élèves, mais pas que les élèves, que tous les membres de la communauté éducative se sentent déjà bien quand ils sont au lycée, quand ils viennent au lycée, pour que ce sentiment d'appartenance puisse naître. Et après, il faut le cultiver dans le cadre du projet d'établissement. Des termes aussi que Jean-Euth a évoqués, qu'on a repris nous dans le projet d'établissement, c'est-à-dire qu'on n'a pas fait un axe qui concerne uniquement le bien-être et le sentiment d'appartenance, mais c'est au travers de termes choisis, avec le souci qu'ils soient applicables à la fois aux personnels et aux élèves, qu'on a créé ce projet d'établissement. Et on parle dans le projet d'établissement... de partage, d'émancipation, de création, de grandir, mais encore une fois, pas que pour les élèves. Et c'est autour de ces mots forts, derrière lesquels on décline des actions, bien évidemment, pour mettre une cohérence, qu'on essaie de faire adhérer, je parlais en préambule, d'adhésion à un projet. Le projet, si bien quand il est écrit, si bien quand il est fait, quand il est formalisé, encore faut-il qu'effectivement les différents acteurs de la communauté y adhèrent. Ça veut dire aussi que ce centre de bien d'appartenance, il part... dans la façon dont on crée le projet. Et ce n'est pas quelque chose qui doit être descendant, on est dans de la collaboration, il faut que les idées et les envies émergent à la fois des personnels, des enseignants, mais aussi des élèves, qui doivent être associés à cela. Et ensuite, une fois que les choses ont été pensées, ont été écrites, on se donne les moyens, on essaie de se donner les moyens, pour que justement, ce soit un projet qui soit partagé. L'adhésion est très... Ce mot d'adhésion est très fort et c'est tout l'enjeu et c'est tout le risque potentiel sur la suite et sur l'avenir. C'est comment fait-on pour qu'il y ait cette adhésion, même si on sait très bien que l'adhésion ne peut pas être totale, mais qu'elle convienne au plus grand nombre. Donc voilà, ce sentiment d'appartenance, en fait, on ne le décrète pas. Il doit naître. Il peut naître facilement. j'ai eu la chance d'être proviseur sur un autre lycée lyonnais qui était... Un lycée lyonnais qui avait une très très longue histoire. Donc effectivement, quand on arrivait dans ce lycée, qu'on soit chef d'établissement, qu'on soit enseignant, élève, on découvrait une histoire forte de l'établissement. Et ensuite, on peut y adhérer, on peut y souscrire, en tout cas on peut s'y intéresser. Donc c'est déjà un socle. Là, dans le cadre de l'ouverture d'un lycée, ça n'existe pas. Mais c'est tout l'intérêt aussi, de partir de cette fameuse feuille blanche et de pouvoir créer les choses.
- Hélène Audard
Ça oblige d'une certaine façon à se poser la question finalement, parce que sinon l'appartenance à un établissement c'est presque un impensé. On y est, on est élève de tel collège ou de tel lycée, puis on n'y pense plus finalement.
- Pierre Ronchail
Alors oui, tout à fait, et d'autant plus que sur une métropole comme Lyon, avec beaucoup de lycées, sur la Presqu'île et sur le centre de Lyon, et encore une fois, un certain nombre de lycées qui ont une histoire longue. L'arrivée d'un nouveau lycée, c'est quelque chose, c'est un peu un ovni. Et l'enjeu était d'autant plus important qu'on a accueilli des élèves la première année qui avaient fait leur seconde dans un autre lycée, qui ont dû, sans avoir trop le choix, venir dans ce nouveau lycée, qui n'avaient pas de réputation, qui n'avaient rien. Donc oui, les enjeux sont très forts. Mais voilà, encore une fois, pour avoir vécu ces deux expériences... de pilotage d'un établissement ancien avec une vraie histoire et d'un établissement neuf. Cette deuxième expérience, on peut créer les choses avec les différents acteurs. Je dirais que l'enjeu, c'est d'essayer de ne pas se louper à ce moment-là. C'est-à-dire, qu'est-ce qu'on instaure ? Comment on amène les différents acteurs à être acteurs, justement ?
- Régis Forgione
Jean Heutte, sur ce type de projet d'établissement qui met le sentiment d'appartenance en leur cœur, dans ce qu'on entend de M. Ronchail, il y a le fait d'adhérer. Mais il y a une question qui me vient, c'est est-ce que adhérer à ce type de projet, c'est une nécessité première ou c'est pas aussi une conséquence finalement du sentiment d'appartenance ? Est-ce qu'il n'y a pas un côté cercle vertueux ou vicieux, si on veut le voir dans le sens négatif, si ça ne fonctionne pas ?
- Jean Heutte
Oui, alors dans les propos qui viennent d'être évoqués, il y a effectivement un aspect qui m'a semblé très intéressant et qui a été très clairement énoncé : en fait, ça ne se décrète pas, ça se mérite. Et du coup, à partir de là, ça me permet effectivement de rebondir. Ce qui a été énoncé, ça illustre tout à fait la théorie de l'autodétermination. À savoir que, pour que ça puisse fonctionner, pour le bien-être, en gros, d'après Édouard Dessy et Richard Ryan, dans une théorie qu'ils ont énoncée dans les années 2000. et qui est relativement reconnue par la communauté scientifique compte tenu de la quantité de publications. Dans une évolution qui est la quatrième mini-théorie, pour rester précis, on est sur la théorie des besoins psychologiques de base et qui énonce que pour être en bonne santé mentale et psychique, en fait, il faut avoir... trois besoins qui soient satisfaits. Et je pense que ça a été très bien décrit par le collègue, à savoir le besoin d'autonomie, le besoin de compétence et le besoin d'appartenance sociale. Alors le besoin d'autonomie, ça a été évoqué, c'est le projet se construire avec les acteurs. C'est-à-dire que du coup, ça réfère au sentiment de se sentir à l'origine ou à la source des actions, de telle sorte qu'elle est en congruence finalement et que chacun peut les assumer. Après, le sentiment de compétence, en fait, c'est le sentiment d'efficacité sur l'environnement. Et donc, le fait de contribuer collégialement, collectivement, à l'élaboration de ce projet fait que chacun sent aussi reconnu l'autonomie dans son originalité et aussi dans sa compétence, à pouvoir concevoir un dispositif, un système dans lequel il va être acteur. Et naturellement... Le fait de le construire ensemble fait qu'on élabore aussi un système de valeurs communes. Et l'adhésion finalement à ces valeurs, ou l'intégration, la compréhension finalement du comportement induit par ces valeurs, ne fait que souder une forme de communauté qui va avoir un effet sur le sentiment d'appartenance sociale. Donc quelque part, tous ces aspects se tiennent de façon tout à fait cohérente. Et je trouve que la description de la construction du projet permet de bien comprendre que finalement, il faut avoir une pensée globale quand on veut créer ce genre de dispositif, puisque quelque part, on est en train de travailler directement sur le climat scolaire. Et puis, il y a un élément qui a été évoqué, à mon avis, qui est important, c'est de se dire qu'en fait, on construit le système ou le dispositif avec les gens comme ils sont et pas comme on les rêve. Et ça, c'est aussi, ça force finalement une capacité d'écoute, de compréhension, si je puis dire, éventuellement d'empathie envers les personnes, qui va aussi renforcer le sentiment d'acceptation.
- Hélène Audard
Justement, alors je vous propose qu'on aille regarder de plus près, puisqu'on sent que c'est une construction à la fois complexe et en même temps très concrète, très quotidienne. Et en même temps qu'il faut aller regarder de près comment ça se passe, alors on va passer dans un temps un peu plus pratique, le sentiment d'appartenance, est-ce que ça se fabrique ? Et pour commencer, là on avait l'exemple de Pierre Ronchail en lycée, on a rencontré aussi une enseignante du collège Langevin-Wallon de Blainville-sur-Lau en Meurthe-et-Moselle, Natacha Strossler, elle a mis en place un système de maisons. Alors ça va sûrement vous parler si vous regardez notamment des séries ou des films anglo-saxons. C'est un peu un système de fraternité. Chaque adulte ou élève volontaire appartient à une maison. Elles s'appellent Griffon, Dragon, Phénix et Sphinx, rien de moins. Et elle nous explique un peu comment ça s'est mis en place.
- Natacha Strossler
Les élèves tirent au sort en début d'année, les sixièmes, ils sont inclus dans des maisons. Donc la première année, on avait juste choisi des couleurs, les enseignants, et ensuite les élèves avaient tiré au sort, on a commencé tout petit. Ensuite ils ont eu le choix de leur nom, on est parti sur des créatures mythologiques, donc c'est eux qui ont choisi. Et donc on s'est retrouvé avec nos quatre petites créatures, et ils ont une mission sur l'année, les sixièmes, pour apporter leurs petites briques. Donc la première année, ils ont fait leur blason. qui ont été peints par notre très cher professeur d'art plastique, qui peint très très bien. Et ensuite, tout au long de l'année, il y a des Olympiades, il y en a trois. Et des défis, donc les Olympiades concernent la totalité des élèves. Il y a les Saturnales en hiver, il y a les douze travaux d'Héraclès au printemps. et qui marche très très bien. Et on a aussi le rallye lecture en fin d'année qui nous permet de montrer les maisons au CM2 qui viennent en visite au collège. Et on a aussi des défis ponctuels sur volontariat. Tous ces défis, toutes ces Olympiades ramènent des points pour pouvoir obtenir la coupe finale. Chaque Olympiade a une coupe aussi, une petite. Et les défis sur volontariat sont récompensés pour tous les élèves participants avec un petit bonus pour les gagnants. Les points sont pondérés en fonction de l'importance du défi.
- Hélène Audard
Alors Jean heutte, votre regard de chercheur sur ce type de dispositif, est-ce que c'est de nature à construire ce sentiment d'appartenance ?
- Jean Heutte
Effectivement, c'est un des moyens qui peut être utilisé. Alors moi je vais plus me centrer sur les effets de ce type de dispositif et éventuellement peut-être aussi les risques de ce type de dispositif. C'est quelque chose qui est effectivement relativement pratiqué dans l'enseignement supérieur. Notamment, on pense à certaines grandes écoles, écoles d'ingénieurs et autres, même en France. Le fait de considérer qu'on est une tribu, moi j'ai eu la chance d'avoir des étudiants qui parfois se constituaient en tribu avec le choix d'un d'une mascotte, avec le choix d'un patronyme, si on peut dire, qui allait même jusqu'à proposer aux enseignants d'adopter des tenues qu'ils avaient eux-mêmes définies, si je puis dire, pour le meilleur comme pour le pire, là, pour le coup, et qui allaient jusqu'à décorer certaines salles dans lesquelles ils s'étaient appropriés un espace. Ça aussi, c'était un élément. Alors, pas forcément facile à l'université, quand on voit qu'on est surpeuplé, j'imagine aussi dans les établissements scolaires, ça ne doit pas être facile à mener. Alors, ce qu'il faut voir, c'est que ça a effectivement un effet, un effet booster, et ce qu'on peut même constater, c'est que dans certaines circonstances, ça peut permettre à des groupes d'étudiants, voire même, ça doit pouvoir exister peut-être dans certaines entreprises, de bien réaliser le travail malgré l'incurie de ceux qui sont responsables de leurs conditions de travail ou d'études. C'est-à-dire qu'on a des exemples de communautés d'étudiants qui se sont organisés en marge finalement de ce que préparait l'équipe pédagogique parce que pour eux, certains enseignants n'étaient pas suffisamment au niveau ou pas suffisamment présents. Et donc, ils s'auto-organisaient pour pouvoir avoir une meilleure réussite et surtout pour pouvoir étudier les sujets qui les intéressaient le plus et qu'ils estimaient ne pas être présents dans le curriculum. Alors, je pense que dans l'enseignement scolaire, c'est un peu plus délicat à réaliser mais à l'université, ça marche très bien. Donc ça, c'est un élément qui peut être positif. Par contre, ce qu'il faut savoir, c'est que ce genre de fraternité, ça fonctionne aussi sur des règles qui imposent une conformité. Et là, pour le coup, il peut y avoir un vrai risque, qui fait que pour faire partie de cette communauté, on peut se retrouver à devoir réaliser des actions ou à adhérer à des valeurs qui ne sont pas exactement les bonnes, ou pas les siennes, et pas en congruence, voire quelquefois partir sur des comportements qui peuvent être des comportements pas toujours complètement éthiques. Donc, je dirais, il y a, comme dirait l'autre, du pour et du contre. Donc ça peut être bon enfant, ça peut être amusant, ça peut être pris au second degré. Et généralement, c'est là où c'est le plus loufoque et le plus amusant. Par contre, si c'est pris premier degré, tribu, avec une forme de rivalité exacerbée, là, ça peut aller sur des dérives qui peuvent être dangereuses.
- Régis Forgione
Pierre Ronchail, sur les éléments que vous vous mettez en œuvre dans le cadre de votre projet, sur des éléments très concrets, en préparant l'émission, vous nous avez parlé de journée thématique. d'un laboratoire pédagogique, tout un tas de perles, j'ai envie de dire, qui misent bout à bout, contribuent à ce sentiment d'appartenance. Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire ?
- Pierre Ronchail
Alors, je débuterai un petit peu sur, plutôt, ce à quoi, à titre personnel, je n'adhère pas. La question, par exemple, de l'uniforme. C'est une question qui a été d'actualité, qui a été testée dans les établissements. À titre personnel, je reste convaincu que ce n'est pas parce qu'on porte une tenue commune qu'on a ce sentiment d'appartenance. Il est bien plus intéressant de prendre chaque individu, chaque jeune tel qu'il est, et de l'amener à travailler et avoir ce sentiment d'appartement à un collectif. Voilà, donc c'est beaucoup plus complexe. C'est aussi accepter de faire face à des situations, parce qu'il y a un cadre qui existe, et heureusement qu'il existe ce cadre. Mais en tout cas, je pense que c'est beaucoup plus intéressant et c'est beaucoup plus respectueux de ce que sont les élèves quand ils arrivent au lycée. Alors après, pour répondre concrètement à votre question, c'est vraiment une somme de beaucoup de choses. Très symboliquement, nous le lycée, il a été conçu, c'est un lycée récent, moderne, avec une entrée du numérique, mais qui a amené à penser les espaces d'apprentissage et de vie au lycée, avec concrètement par exemple le principe que chaque classe a sa salle. Alors bien évidemment, au lycée, avec la notion de groupe, les élèves ne sont pas en permanence ensemble dans la même salle de classe. En revanche, le principe, c'est que quand leur salle de classe est libre et qu'eux-mêmes n'ont pas cours, c'est leur salle. Et donc, ils sont dans cette salle en autonomie pour travailler, pour échanger entre eux, etc. De la même façon, même si ça existe aussi dans d'autres établissements, il n'y a pas de sonnerie dans l'établissement pour marquer le rituel de début de fin de cours. Ça responsabilise tout le monde. Là aussi, il y a une notion de responsabilisation, d'autonomie. C'est un petit quelque chose qui fait qu'au quotidien, c'est une petite particularité. mais qui a aussi une vraie incidence sur le comportement des uns et des autres, adultes ou élèves. Et puis après, au-delà de ça, je reviens sur la notion de projet d'établissement et d'adhésion au projet d'établissement. L'idée qui a émané, et encore une fois ce qui est très intéressant, c'est qu'elle est venue des enseignants, des équipes pédagogiques elles-mêmes, c'est de se dire maintenant on a construit, on a écrit un projet d'établissement, quels moyens on se donne pour le réaliser, pour l'évaluer. Comme dans beaucoup d'établissements du second degré, le premier constat c'est le temps de concertation et le temps de travail en commun. Ce qui a été décidé, ce qui a été validé à titre d'expérimentation, c'est qu'on a dégagé des heures de la dotation globale horaire. C'était un vrai choix des enseignants de dire on dégage des heures non pas pour faire des groupes, pour alléger les groupes, mais on dégage des heures pour pouvoir se réunir. Et donc le choix a été fait de ce que les équipes pédagogiques, les enseignants, pas que d'ailleurs, parce qu'aussi vie scolaire, aussi AESH, cette communauté se réunit tous les 15 jours, deux heures pour mettre et concrétiser les actions qui ont été prévues au projet d'établissement et autre symbole fort aussi de mon point de vue, et encore une fois, ce n'est pas moi qui ai décidé ça, ce sont les équipes, c'est de positionner ces deux heures de concertation le vendredi de 16h à 18h.
- Hélène Audard
C'est un défi quand même.
- Pierre Ronchail
Oui, c'est un défi et qui fonctionne pour le moment. Je ne sais pas combien de temps il va fonctionner. Mais parce qu'il fait sens, encore une fois, on en revient toujours aux mêmes choses. C'est-à-dire que cet effort et cette implication, elle se fait concrètement dans le cadre de ce labo, mais pas que, dans la façon dont il a été pensé, parce qu'il y a une envie, parce qu'il y a une envie de faire les choses. Voilà, donc pour le moment ça fonctionne et moi j'en suis ravi bien évidemment. et alors Pour terminer aussi, peut-être de manière un peu plus systémique, encore une fois, je pense que pour... Et là, j'en reviens aux élèves. Le cadre de l'école, le cadre du lycée, il existe. Les élèves sont formatés depuis leur entrée dans le système scolaire. Et le cadre, il est là, il est rassurant, il est utile. Et il ne s'agit pas du tout de le faire voler en éclats. Voilà, je suis un représentant de l'État. Et les élèves ont de toute façon inculqué en eux ces notions-là. En revanche, dans ce cadre, leur laisser la possibilité d'interagir Projet interdisciplinaire, on en revient au projet d'établissement. D'avoir un rapport à l'adulte qui peut-être est un peu différent aussi, c'est-à-dire casser un peu ce rapport qu'ils ont connu souvent, parfois, avant, d'un rapport descendant d'adulte à élève. La posture d'adulte, bien évidemment, est très importante. Mais en revanche, savoir qu'ils peuvent assez facilement solliciter tel enseignant pour telle question, telle personne de la vie scolaire pour telle question, l'agent d'accueil. J'ai eu la chance aussi de travailler au moment de l'ouverture avec la région pour recruter les agents d'accueil. N'oublions pas que ce sont les premières personnes que les élèves et les personnels et les parents d'élèves, quand ils les ont au téléphone, sont les personnes... la première personne qui représente le lycée. Si dès le départ, à l'entrée du lycée, que ce soit physiquement ou au téléphone, les agents d'accueil ne sont pas intégrés à cette philosophie, à cette démarche, déjà, ça part mal et ça va compliquer beaucoup les choses. Donc encore une fois, pour moi, ça reste à la fois des choses très pragmatiques, très concrètes au quotidien, mais c'est quand même une démarche globale. Et on en reparlera tout à l'heure, mais avec des points de vigilance, bien évidemment. Parce qu'avoir la prétention que 100% des usagers adhèrent au projet, ce n'est qu'une prétention.
- Régis Forgione
Je vous propose qu'on écoute un petit extrait toujours de Natacha Strossler qui parle de la façon dont les élèves s'emparent du dispositif, les conditions un peu pour que ça fonctionne et le fait aussi qu'effectivement, il y a des élèves qui sont un peu réfractaires et ça, c'est un fait.
- Natacha Strossler
Les élèves qui sont ultra motivés, c'est des élèves... Alors on a tout, on a des élèves qui sont déjà ultra motivés, qui aiment l'école à la base, et on a aussi des élèves qui sont un peu plus en difficulté, mais qui trouvent leur compte parce qu'on essaye de varier vraiment le type de défi pour qu'ils puissent s'investir dans quelque chose dans lequel ils sont bons. Cette année, on a eu vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup de catégories. Il y avait un peu de sport, il y avait de la lecture, il y avait de l'anglais, il y avait... Beaucoup de choses, il y avait de l'escape game, il y avait de l'adresse. Du coup, on les rassure en leur disant, mais il y a d'autres choses dans lesquelles vous pourrez montrer ce que vous savez faire autrement. Alors, on s'est rendu compte quand même que tout ne s'accroche pas. Après, c'est quelque chose qu'on leur impose en sixième, on n'est pas obligé d'aimer. Ils n'y trouvent pas forcément leur intérêt, mais alors ceux qui aiment, ils sont à fond. Et vraiment, ils adorent. On a fait des t-shirts, des sweatshirts à l'effigie des maisons. Donc là, sur la deuxième année, cette année. Et ça a plutôt bien marché, tous les doyens ont leur t-shirt, leur sweatshirt, ils les mettent dès qu'il y a une occasion. Et il y en a qui sont vraiment très très fiers parce qu'en fin d'année, on a des élèves qui réclament à être mentors. On a quatre mentors par maison, par niveau. Et voilà, on essaye de leur inculquer petit à petit ce que c'est des élèves de confiance, sur qui on peut compter, sur qui on va compter pour les réunions, pour passer les messages et pour véhiculer l'esprit d'appartenance aux maisons.
- Pierre Ronchail
Jean Heutte, sur ce dispositif, enfin ces dispositifs d'une manière générale, et vous l'évoquiez aussi sur des éléments qui pourraient paraître comme des artifices, vous parliez de mascottes, là il y a des noms d'équipes, il y a des mugs, il y a des t-shirts, des petites choses encore une fois qui n'ont l'air de rien, des choses souvent matérielles, mais qui ont l'air de contribuer fortement, en tout cas d'hameçonner les élèves, et peut-être les adultes aussi, à créer leur équipe et à nourrir ce sentiment d'appartenance.
- Jean Heutte
Je ne connais que ce que je viens d'entendre de l'expérience qui a été énoncée et je reconnais aussi l'enthousiasme quand quelque chose se met en place. Donc pour avoir vécu, moi-même en tant qu'enseignant, où à chaque fois qu'on met de la nouveauté, ça crée effectivement de l'engouement, en sachant que c'est ce qu'on appelle souvent l'intérêt situationnel, c'est-à-dire que c'est... Un truc tout bête, si dans la salle de classe je change la disposition des tables, d'un seul coup ça va créer un effet qui fait que les élèves vont dire « tiens, aujourd'hui on travaille différemment » . Sauf que si on ne fait que changer les tables, cet effet a un effet à très court terme. Donc, entre l'enthousiasme de l'enseignant qui met en place un dispositif, et le fait que ça puisse effectivement avoir un effet sur la construction des valeurs et de la compréhension des comportements par les élèves, il y a un temps qui, à mon avis, est nécessairement plus long pour pouvoir en apprécier la juste valeur, si je puis dire. Dès qu'on met de l'enthousiasme, ça ne peut forcément que faciliter un certain nombre de choses. Par contre, ce sur quoi je voudrais revenir, c'est sur les éléments évoqués par Pierre Ronchail, parce qu'ils me semblent, sur un plan systémique, vraiment tout à fait pertinents. Je trouve que l'idée de prendre sur la dotation de l'établissement pour garantir deux heures de concertation et considérer que ça, ça fait partie du temps de travail, que ce n'est pas un truc en plus, que c'est quelque chose qui n'est pas marginal, qui n'est pas anecdotique, que c'est même central. À mon avis, c'est une démarche managériale qui est fondamentalement importante. C'est prendre aussi les enseignants pour des personnes cadre A, cadre concepteur, et pas uniquement agent d'application, donc co-construire son environnement de travail. Après, il y a aussi un autre aspect qui a été énoncé, qui me semble fondamental, c'est de considérer que tout le monde compte dans l'établissement. Et le fait de dire l'agent d'accueil, les personnels, les personnels qu'on appelle biats, dans les universités, le personnel administratif, comme on dit un peu de façon péjorative. En fait, ce sont des personnes, même pour reprendre les termes fonctionnaires catégorie B ou C, en fait, ce sont des personnes sans qui le système ne fonctionne pas. Et ces personnes-là ont aussi besoin d'une reconnaissance, d'un sentiment d'acceptation et d'un sentiment d'appartenance sociale. Et donc, on doit aussi reconnaître leur autonomie, leurs compétences et le fait qu'ils font partie de la communauté éducative. C'est pour ça que je voulais revenir sur la description qui a été faite par Pierre Ranchail, parce que l'importance, je dirais presque de façon caricaturale, peu importe l'activité qui est le point de départ de ce qui va se mettre en œuvre, comme par exemple l'idée de construire des maisons, pourquoi pas, du christier, des communautés, pourquoi pas. Mais il ne faut pas perdre de vue que le véritable objectif, c'est de faire évoluer le système.
- Régis Forgione
Justement, chacun apporte sa pierre à l'édifice. Je vous propose qu'on se dirige vers le troisième temps de cette émission. où on va voir justement cette pierre que chacun peut apporter, cultiver le sentiment d'appartenance à toutes les échelles. Et l'idée là, c'est vraiment d'ouvrir un peu les perspectives, même si on l'a dit dans les parties précédentes de l'émission, où ça ne s'adresse pas qu'aux élèves, ça s'adresse aussi aux enseignants, aux formateurs, aux chefs d'établissement et au-delà. Peut-être en deux mots, M. Heutte, sur cet aspect heuristique du sentiment d'appartenance qui va bien au-delà justement de l'appartenance à une classe ou à un groupe d'élèves et d'enseignants ?
- Jean Heutte
Alors ce qu'il faut voir c'est que globalement, tous ceux qui n'ont pas eu la chance de travailler dans des milieux extraordinaires et qui travaillent dans les milieux ordinaires, eux ils subissent une pression permanente et on peut noter cette dégradation finalement de la confiance envers les enseignants. Dans le système, on parle de qualité des relations interpersonnelles, sentiment d'appartenance sociale par rapport aux élèves, par rapport aux enseignants. Mais très concrètement, dans un établissement, combien d'enseignants ont ce sentiment d'appartenance sociale par rapport juste à l'établissement ?
- Hélène Audard
Effectivement, on peut faire ce constat qu'il y a une appartenance peut-être un peu faible, ou en tout cas que l'institution ne favorise peut-être pas le sentiment d'appartenance des enseignants eux-mêmes. Mais justement, qu'est-ce qu'on peut proposer ? Qu'est-ce qu'on peut amener ? Merci. Par rapport à ça ?
- Jean Heutte
Oui, alors effectivement, en fait, comme on est sur quelque chose qui doit se construire de façon systémique, alors bien sûr l'échelle de l'établissement ou l'échelle de l'école, si on est dans le premier degré, est à mon avis effectivement le premier maillon. Et on a des ambiances d'école où les collègues expliquent très clairement que ce sont des milieux qui ne sont pas forcément des milieux faciles, mais comme il y a une vraie équipe et qu'on s'entend bien, alors on reste. Cette ambiance d'équipe qui fait que chacun ressent que finalement il n'arriverait pas à créer ce qui se passe dans cet établissement ou dans cette école s'il était tout seul, mais qu'avec l'appui des collègues et l'appui de sa hiérarchie, alors on arrive à créer un climat d'établissement, ça c'est quelque chose qui est fondamental et qui joue un rôle très important.
- Régis Forgione
Justement Pierre Ronchail, sur ce sentiment d'appartenir à une équipe, de faire partie d'un projet, et surtout sur le fait peut-être d'enrôler des enseignants qui arrivent dans une équipe qui est déjà soudée, comment on les enrôle, comment on les emmène dans ce type d'établissement que vous tenez ?
- Pierre Ronchail
Alors, il n'y a pas de recette miracle et c'est une vraie question. C'est-à-dire que la dynamique qui s'est créée, l'envie... de porter ce projet d'établissement. Il a été porté par une équipe qui était là au départ et puis qui a été rejointe par des collègues enseignants, mais pas que, qui sont arrivés après et qui ont été un peu pour le coup, contraints et forcés de venir et d'entrer dans ce projet, dans ce travail d'équipe. Si je parle des enseignants qui nous ont rejoints dans le temps, ce sont des enseignants qui ont une histoire passée, qui ont un vécu. qui viennent d'établissements parfois sur lesquels leur quotidien était difficile. Et quand ils arrivent dans un lycée comme Dr Charles Merieux avec ce projet, certes le cadre est beaucoup plus a priori favorable, etc. Mais ils sont pris dans cette, je dirais presque cette obligation de participer à la réflexion et la mise en place des actions. Et ça, c'est un vrai enjeu. Est-ce qu'on va être capable, est-ce qu'on est capable et est-ce qu'on va être capable dans le temps de faire en sorte que ses collègues aient envie d'adhérer ? Je vais prendre un exemple concret pour illustrer mes propos. L'an passé, j'ai accueilli un enseignant qui a été nommé en tant que titulaire dans la discipline de sciences économiques et sociales, qui était très content d'arriver au lycée et donc qui a découvert assez rapidement qu'il allait en tant que titulaire devoir participer à ce labo pédagogique. Un vendredi, toutes les deux semaines, de 16h à 18h. Et il est venu me voir et très justement, il m'a dit « Monsieur le proviseur, ça me paraît très intéressant, mais moi, en gros, je débarque, je ne connais pas trop le projet. C'est une contrainte aussi qui n'est pas anodine. Je n'ai pas très envie et je ne me sens pas de participer à cette instance dès maintenant. » Moi, je lui ai dit Écoutez, je comprends, je me mets à votre place et je comprends tout à fait. Et puis, je comprends que vos arguments, je reçois complètement vos arguments. Maintenant, ça peut être aussi une occasion, si vous acceptez de le faire, de pouvoir justement commencer à intégrer un peu cette démarche collective, etc. Donc je dis, je vous demande de réfléchir et surtout, avant de prendre une décision que j'accepterai, quelle qu'elle soit, discutez avec vos collègues. C'est-à-dire que ce n'était pas à moi de convaincre cet enseignant, ce n'était pas à moi de lui imposer, même si c'était prévu dans son service. Et donc c'est ce qu'il a fait, et donc je ne suis plus du tout intervenu, et il est revenu me voir une semaine après, et il m'a dit, écoutez, ok, je ne suis pas forcément convaincu, mais ça m'a donné envie, et j'ai envie de voir. Et il est venu. Donc voilà, encore une fois, ce n'est pas le chef d'établissement, c'est le collectif qui peut éventuellement persuader. Imposer comme ça ne sert à rien, c'est aussi être à l'écoute. Et je me suis attaché, pour tous les collègues qui nous ont rejoints après l'ouverture, à faire des petits entretiens assez réguliers, sans que ce soit trop... Mais au moins une fois, deux fois par an la première année, pour simplement qu'ils puissent exprimer librement la façon dont ils se sentaient dans le lycée par rapport à ce qu'on leur demandait, etc. Mais la page, bien évidemment, n'est pas du tout refermée. Ça va être un vrai enjeu sur les années qui viennent. Les conditions, j'en le disais, le quotidien des enseignants n'est pas simple du tout. C'est un doux euphémisme. Il y a aussi une forme d'usure, une forme de fatigue, parfois. Donc, dans le temps, il va falloir voir comment on arrive à maintenir un peu ces dynamiques qui nécessitera des ajustements. Ça, c'est clair. Et puis aussi, dernier point, et je crois que c'était important, c'est que les premiers temps, on n'a pas eu trop de regard institutionnel sur la façon dont on travaillait. Donc on a essayé de se donner un peu de lisibilité, de lumière, notamment en ayant un projet NEFLE, qui a fait aussi en lien avec le projet d'établissement. Et ce regard institutionnel, il est très important aussi. Donc cet accompagnement de l'institution, ce regard, les cours d'inspection, alors on a été très accompagnés par la DRAN dès le départ et ça c'était une très très belle chose. Parce que je pense aussi qu'au-delà de ce que l'on vit au sein de la petite structure qu'est le lycée, à un moment donné on est tous des professionnels et il faut qu'on ait aussi ce regard extérieur.
- Régis Forgione
J'aimerais qu'on écoute un troisième extrait du projet de Madame Strossler, en précisant effectivement, que j'espère qu'on fait suffisamment honneur, on n'a passé que des petits extraits de l'entretien, vous disiez tout à l'heure, Jean-Euth, la question de la nouveauté, je précise qu'ils se posent beaucoup de questions sur l'évolution de leur dispositif, mais là pour le coup je vous propose qu'on écoute ce qu'elle nous dit du rôle des adultes.
- Natacha Strossler
Tout au long de l'année, les doyens, parce qu'il faut savoir qu'on a des doyens. Alors pas forcément qu'enseignants, on a aussi des ESH, on est ouvert à tout le monde, donc tous les personnels adultes du collège peuvent s'y coller. Donc on est entre deux et trois doyens par maison. Et donc voilà, ils font des réunions tout au long de l'année, sur le temps de midi quand ils peuvent, les élèves qui peuvent venir viennent. Et puis on travaille sur les projets, ils expliquent, on les prépare, on les entraîne. Tout ça c'est du plus. S'il y a une chose qui me paraît essentielle, c'est l'exemplarité en termes de motivation. En fait, c'est l'image que les adultes vont véhiculer aux enfants. Moi, j'ai toujours appris que si le chef s'assoit, les soldats se couchent. Donc ça veut dire que si nous, on n'est pas à fond, alors comme j'ai dit, on est humain, donc des fois on ne l'est pas, on a tous des soucis, des temps un peu plus sport au collège, donc on n'est pas toujours à fond. Mais les doyens y arrivent et si on leur montre vraiment que nous on est motivés, que nous on y croit, eh ben on les aura pas tous, mais ceux vraiment qui veulent et qui s'accrochent seront motivés.
- Régis Forgione
Jean Heutte, j'aurais envie de tirer un fil ténu, et peut-être qu'il est trop ténu, vous me le direz, sur cet extrait et sur le lien entre sentiment d'appartenance et sentiment d'efficacité personnelle. Déjà, est-ce qu'il y a un lien ? Est-ce qu'il est mécanique ? Est-ce que ça peut aider à le nourrir ?
- Jean Heutte
Le modèle que j'ai construit, qui est le modèle heuristique du collectif individuellement motivé, le point de départ, c'est le sentiment d'appartenance sociale, qui effectivement a un effet sur le sentiment d'efficacité personnelle et sur le sentiment d'efficacité collective, et qui fait que les individus vont s'impliquer dans des actions qui sont plus complexes que ce qu'elles auraient fait si elles étaient toutes seules, parce qu'elles sentent que le groupe peut les soutenir et devenir une ressource. Et à partir de là, s'engager dans des activités ou des actions qui sont finalement un peu hors normes pour le sujet, sortir de la zone de confiance, ce qui va générer en fait le bien-être. Alors moi c'est la théorie du flot d'expérience optimale, qui fait que le fait de réussir quelque chose qui a priori au début semblait peut-être inaccessible, fait que ça génère une émotion et un sentiment de réussite et d'accomplissement. qui va rejaillir aussi sur le fonctionnement du groupe, notamment si on pense que les autres sont une ressource qui nous aide à réaliser des choses qu'on n'aurait pas pu faire tout seul.
- Hélène Audard
Pierre Ranchail, le projet de votre lycée, c'est peut-être aussi, dans ces conditions qui sont peut-être un peu idéales ou en tout cas difficilement reproductibles, c'est peut-être quand même aussi de donner des pistes à ceux qui ne sont pas exactement dans les mêmes conditions. Il y a des choses que vous avez peut-être repérées. Alors, est-ce que vous auriez, on va dire, trois clés, trois conseils que vous aimeriez mettre en place si vous étiez dans un autre établissement ou donner à un chef d'établissement qui serait dans votre situation ?
- Pierre Ronchail
D'abord, c'est surtout de ne pas être donneur de leçons. On accueille beaucoup de collègues dans des formations, etc., au lycée. Et encore une fois, on n'a pas la science infuse. Et on a des conditions qui nous ont permis, en tout cas pour le moment, de penser et de mettre en... les choses en place telle qu'on avait envie de le faire. Donc ne pas être donneur de leçons. Ensuite, moi j'en suis persuadé, je rappelle souvent que la racine latine de proviseur c'est pourvoir. Un chef d'établissement, un proviseur, un principal de collège, un directeur d'école, et monsieur Euth l'a dit aussi, on est tous qu'à droit. Je pense qu'on ne peut pas faire les choses sans le collectif et sans l'intelligence collective. Alors quand le collectif a envie, c'est beaucoup plus simple. Quand le collectif n'a pas envie, pour des tas de raisons, et j'ai connu à titre personnel des situations de ce genre, c'est bien évidemment beaucoup plus compliqué. Donc ne pas donner de leçons, s'appuyer sur l'intelligence collective. In fine, qu'est-ce que ça apporte à nos élèves ? Est-ce que ça les aide à s'épanouir ? dans le système scolaire ? Est-ce que ça les aide à grandir ? Est-ce que ça les aide à s'insérer plus tard ? Est-ce que ça les aide à réussir, quel que soit ce qu'on veut mettre derrière le mot de réussite ? Donc l'humilité. Donc, les trois conseils, si je peux me permettre. Ne pas être donneur de leçons, s'appuyer sur le collectif et rester humble, quoi qu'il en soit, dans l'intérêt des élèves.
- Hélène Audard
Ça se rejoint, les trois se rejoignent il me semble. Alors je vous propose qu'on passe au dernier temps d'inspiration de cet épisode. Jean Heutte, je commence avec vous. Quelle serait votre inspiration ?
- Jean Heutte
Donc le premier que je vous suggère, c'est un article remarquable, me semble-t-il, de Philippe Sarrazin, Damien Tessrier et David Trouilloux, qui est paru en 2006 dans la Revue française de pédagogie, et qui s'appelle « Climat motivationnel instauré par l'enseignant, implication des élèves en classe, état de la recherche » . Et donc c'est à mon avis l'un des premiers vraiment articles de fond ... Ils parlent à la fois des méthodes pédagogiques, et notamment tout ce qui peut être l'objectif de maîtrise par les élèves par rapport à tout ce qui peut être les objectifs de performance, notamment de mise en concurrence sur les buts d'apprentissage. Mais surtout, vous pourrez y trouver, et les enseignants peuvent y trouver, quelque chose, quand j'étais moi sur la formation des enseignants, ça les intéressait vraiment toujours. qui est en fait un résumé des éléments permettant de soutenir l'autonomie, la compétence et la proximité sociale des élèves. Après, je vais le faire très vite, il y a un deuxième article qui est très intéressant, qui est à ma connaissance le seul traduit en français d'Edouard Dessy et Richard Ryan, qui s'appelle « Favoriser la motivation optimale et la santé mentale dans divers milieux de vie » , et donc qui est paru en 2008. dans la revue canadienne de psychologie. Et donc c'est une traduction d'une allocution d'Edouard Dessy, qui à mon avis est tout à fait intéressante et remarquable. Et puis éventuellement pour terminer, si je peux me permettre, le pilote et l'innovation de l'intérieur, qui est là plutôt quelque chose d'un peu cocasse de ma part et qui peut apparaître amusant. Mais quand je l'utilise en formation de cadre, et notamment de cadre de l'éducation nationale ou des services publics, Ça fait réfléchir, beaucoup.
- Hélène Audard
Alors on va retrouver toutes ces références dans le descriptif de l'épisode. Et Pierre Ronchail, à votre tour, je vous demande quelle est l'inspiration que vous avez envie de partager.
- Pierre Ronchail
Alors pardon, mais c'est une aspiration qui n'a rien à voir avec le monde de l'éducation. C'est bien aussi. C'est une référence littéraire, un livre qui m'a marqué beaucoup pour plein d'aspects différents. C'est Le Christ s'est arrêté à Éboli de Carlo Lévy. Pourquoi je fais référence à ce bouquin ? C'est parce que c'est l'histoire d'un opposant au fascisme italien qui se retrouve en résidence surveillée dans un petit village du sud de l'Italie isolé. Et je l'ai souvent en tête parce que ce personnage qui a existé, qui a été médecin, journaliste, etc., a dû s'adapter à son environnement. Et par ses compétences, notamment de médecin, parce qu'il a été respectueux des gens qui étaient très différents de lui. et qui vivait avec qui il a dû apprendre à vivre, parce qu'il avait des compétences. Non seulement il a fait sa place dans cette communauté, mais il a été reconnu pour ce qu'il était et ce qu'il pouvait apporter à cette communauté. Voilà, donc c'est un bouquin que j'avais lu il y a très longtemps, que j'ai relu il n'y a pas si longtemps que ça. Et peut-être que dans ma façon d'être en tant que chef d'établissement, je pense souvent à Carlo Lévy et à son bouquin, puisque c'est son histoire, sur cette expérience.
- Hélène Audard
Merci. Et puis c'est vrai que dans cet épisode, on a aussi touché du doigt d'autres sujets qu'on a abordés dans des parlons pratiques. Le faire collectif, la coopération, la santé mentale des élèves. Donc voilà, je vous renvoie aussi à quelques autres épisodes qui font sans doute partie aussi de la construction de ce sentiment d'appartenance. Et je te laisse la parole Régis.
- Régis Forgione
Tu fais presque la conclusion Hélène J'allais dans ce sens - Non mais c'est parfait - J'allais dire que le sentiment d'appartenance, on l'a bien compris, c'est quelque chose de complexe. On espère avoir levé un bout du voile, donné quelques clés de lecture et de mise en œuvre. Et effectivement, plein de liens avec d'autres thématiques à retrouver dans les épisodes d'Extra Classes. Tu vois, là, j'allais le dire, donc je ne me prive pas de le redire. Un grand merci à tous les deux, Pierre Ronchail et Jean Heutte, pour votre participation à cet épisode. Merci beaucoup. Merci à vous.
C'était le sentiment d'appartenance, moteur discret mais puissant pour la réussite, préparé et animé par Hélène Audard et Régis Forgione.